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Pendant la Nuit de la Solidarité, 400 bénévoles à la recherche des sans-abris à Strasbourg

Le 4 mars, 400 bénévoles ont compté les personnes qui dormaient dans la rue. Ils ont également fait passer des questionnaires aux sans-abris pour mieux cibler leurs besoins. L’objectif est de faire pression sur les candidats aux élections et de susciter le débat avec des statistiques précises à l’appui. Reportage.

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Pendant la Nuit de la Solidarité, 400 bénévoles à la recherche des sans-abris à Strasbourg

« Où pensez-vous dormir ce soir ? Allez vous dormir seul ou en groupe ? Faîtes-vous appel au 115 (numéro hébergement d’urgence) ? Si ce n’est pas le cas, pour quelle raison ? Avez-vous des animaux ? » David (son prénom a été changé), vit dans la rue depuis 20 ans. Il répond aux questions qu’on lui pose, « sans grand espoir… mais bon, si ça peut aider, c’est bien. »

« Si on veut trouver des solutions, il faut déjà connaitre la situation et les besoins précis », estime Maxime, bénévole à la Nuit de la solidarité de Strasbourg ce mercredi 4 mars. En 2019, le collectif des morts de la rue a décompté 29 décès dans la capitale alsacienne. « La rue tue et notre opération s’inscrit dans ce contexte grave, » précise Germain, membre du collectif « En Marge », qui lutte contre l’exclusion.

Un comptage fiable

La démarche : compter de manière fiable les personnes qui dorment dehors à Strasbourg. Le questionnaire anonyme permet d’avoir des statistiques et proposer des mesures adaptées.

Pour Jean-Sébastien, membre du comité de pilotage de l’action, la période électorale est propice à cette action :

« On ne pose pas de questions sur le statut administratif ou l’identité. On veut juste des éléments pertinents pour trouver des solutions. Tout est confidentiel. C’est aussi pour imposer le débat sur ce sujet pendant la campagne des élections municipales et pousser les candidats à proposer des mesures fortes. »

Les organisateurs de la Nuit de la solidarité ont réalisé une découpe très précise de secteurs pour n’oublier aucune rue. (Photo TV / Rue89 Strasbourg / cc)

Tout Strasbourg quadrillé par 400 bénévoles

Le collectif Nuit de la solidarité Strasbourg est constitué de 26 associations et collectifs. Au total, 400 bénévoles se sont divisés en 65 équipes de six, avec au moins une personne expérimentée dans chaque équipe. Après une formation et une collation en début de soirée salle de la Bourse, les équipes partent vers 20h15. Celle de Guillaume se dirige vers le centre-ville, dans le secteur entre la Cathédrale et la place Broglie.

« Le 115, ça sert à rien ! »

Après quelques minutes, Guillaume aperçoit David, qu’il semble connaitre. « Ça va toi en ce moment ? Ouais à peu près… Il commence à faire froid. » L’équipe prend le temps de discuter. Gabrielle, dont c’est la première maraude, lui fait passer le questionnaire en 2 minutes. Il est inspiré de celui de la Nuit de la solidarité de Paris, dont la première a eu lieu en 2018.

« Le 115, ça sert à rien. Si t’as de la chance, tu es hébergé quelques jours et après ils te jettent dehors. Moi je ne les appelle plus. » Saïd, qui vit « dans la rue depuis 10 ans, » rencontré après David, commente la démarche :

« J’ai longtemps travaillé, mais là je ne trouve plus de taf à cause de mon genou. Vu de loin, on a l’impression qu’il y a des structures et des dispositifs pour tout… En vrai, si tu as un accident de vie, tu peux vraiment te retrouver à la rue. La Ville et l’État, franchement, je n’attends rien d’eux. Pourquoi ça changerait du jour au lendemain ? Les politiques, qu’ils commencent par arrêter de nous exclure avant de prétendre sortir tout le monde de la rue. Et franchement… il y a des bâtiments vides partout et des centaines de personnes dehors. S’ils voulaient vraiment améliorer la situation, ça serait déjà fait depuis longtemps. Ils n’en ont rien à foutre des gens comme nous, ils veulent se faire bien voir pour être élus c’est tout. »

« L’exclusion crée de la violence »

Saïd préfère plaisanter. Il fait une devinette. « Qu’est-ce qui est plus grand que la tour Eiffel et plus léger qu’une plume ? » Fanny, une autre bénévole, propose « l’atmosphère » ? Au bout de quelques minutes, Saïd donne la réponse. « C’est son ombre ! » Puis il repart « vers une boulangerie qui donne ses invendus : je vais ramener de la bouffe à mes potes ! » L’équipe se dirige vers un autre groupe de personnes.

« Sale clodo, t’es une merde, je vais te casser le nez. » La situation est tendue. Un coup de poing part. « Et ouais, la rue c’est moche petite merde. » Franck et « Soul’ » s’interposent pour séparer « leurs deux potes. » Guillaume essaye de comprendre la situation :

« Souvent, il suffit d’une personne qui pète un câble pour qu’une situation dégénère. Il y a des mécanismes très violents qui peuvent se mettre en place dans la rue, avec des rapports de force qui s’installent et qui sont difficiles à vivre. C’est l’exclusion qui crée ça ! »

Pour Soul’, beaucoup de personnes se sentent complètement oubliées. (Photo TV / Rue89 Strasbourg / cc)

Pas de vrai changement sans la politique

Fabrice (son prénom a été modifié) ne décolère pas. « Vous les associations vous êtes juste là pour nous donner de l’espoir, mais nos situations ne s’arrangent jamais vraiment. » Guillaume, qui a déjà travaillé pour plusieurs associations, ne s’indigne pas :

« Pas étonnant que des personnes de la rue ressentent ça. Les associations aident comme elles peuvent mais elles restent tributaires de leurs budgets et des structures qui existent. Tant qu’il n’y a pas de changement politique profond, on ne peut que mettre des pansements sur des plaies. »

Guillaume décide d’appeler la police. Les autres sans-abris sont en danger. « Ils m’ont dit au téléphone qu’ils nous observent avec une caméra de vidéosurveillance depuis une demi-heure… » Des policiers arrivent en fourgon et constatent la situation. « On ne peut pas faire grand chose », disent les agents. Fabrice est contrôlé, puis il s’éloigne. D’après Guillaume, « rien ne garantit qu’il ne reviendra pas. »

« Aller à la rencontre des autres »

Après cette altercation, l’équipe finit son parcours vers 23h30. Elle est de retour salle de la Bourse pour un débriefing d’un quart d’heure. « Je ne m’attendais pas à une situation pareille », explique Laurie. « On est restés soudés à ce moment-là, avec les autres sans-abris présents aussi, c’était le plus important. »

D’après Jean-Sébastien, « aucun autre incident n’a été rapporté ce soir. » Gabrielle se dit « bouleversée » par ce qu’elle a vécu pour une première :

« Il faut aller à la rencontre des autres, notamment des personnes différentes de nous. C’est le seul moyen pour vraiment comprendre la situation et les enjeux. »

L’équipe de Guillaume et Gabrielle a compté 15 personnes qui dorment dehors dans cette partie du centre-ville. Elle a fait passer 7 questionnaires. Les bénévoles rentrent chez eux vers minuit.

À la salle de la Bourse, Jean-Sébastien explique que dans la nuit, les résultats des 65 zones seront étudiés :

« Grâce aux statistiques, on pourra cibler notre plaidoyer. Après on veut aussi rappeler, et pour ça il n’y a pas besoin de chiffres, qu’une des choses les plus importantes, c’est de lutter contre l’exclusion sociale. Il faut faire exactement l’inverse de l’arrêté anti-mendicité par exemple. »

La Nuit de la solidarité était aussi un moyen de faire se rencontrer des personnes qui ne se rencontrent pas habituellement. (Photo TV / Rue89 Strasbourg / cc)

Le 5 mars, au lendemain de la Nuit de la solidarité, un débat public est organisé, toujours salle de la Bourse. « C’est ouvert à tous. On veut que les citoyens, y compris les gens de la rue, puissent proposer des solutions. Des candidats à la mairie vont venir aussi, » décrit Adélaïde Tufuor, une autre membre du comité de pilotage. « C’est la multiplication des actions comme celles-ci, qui peuvent faire pencher la balance au niveau national. On a mis en place une méthode que l’on veut partager, pour que cela se fasse dans d’autres villes. Une Nuit de la solidarité sera très probablement à nouveau organisée à Strasbourg l’an prochain, » conclut Jean-Sébastien.


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