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Revenu de Guadeloupe, où les patients sont triés, un soignant strasbourgeois redoute « une situation similaire à la rentrée »

Après un aller-retour en Guadeloupe pour transférer deux patients atteints du Covid, Stéphane Houmeau, un soignant strasbourgeois raconte et alerte. Selon lui, l’hôpital français n’est pas prêt pour affronter une situation similaire à la rentrée. Il appelle à la vaccination massive pour enrayer une reprise de l’épidémie.

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Stephane Houmeau

Stéphane Houmeau revient de Guadeloupe. Ce cadre supérieur de santé aux hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) a effectué un aller-retour le week-end du 7-8 août pour rapatrier deux malades du Covid d’environ 60 ans vers des places en réanimation d’un hôpital à Paris. Infirmier anesthésiste de formation, Stéphane Houmeau est un habitué des ces missions en tant que membre de la cellule d’opération de crise du ministère de la Santé, ce qu’on appelle aussi la « réserve sanitaire ».

Comme la Martinique, la Guadeloupe connait une très forte résurgence du Covid, plus intense que les trois premières vagues. Un reconfinement strict y a été décrété pour enrayer la montée des cas et des hospitalisations.

Une population moins vaccinée et du tri chez les patients

De ses courts échanges avec les soignants sur place, Stéphane Houmeau décrit une situation « pire que ce qu’a connu l’Alsace » au plus fort de la pandémie au printemps 2020 :

« On m’a expliqué que s’il y avait une situation urgente qui nécessite une réanimation, on n’envoyait plus systématiquement les secours, car il n’y a de toute façon pas de lit. Les soignants sont obligés de faire du tri, de faire face à des choix éthiques au cas par cas. »

En Guadeloupe, la vaccination atteint péniblement les 23% de la population (41% chez les 75-79 ans, la catégorie la plus vaccinée). Un total bien en-deçà de la moyenne nationale de 67,05%.

Pour le rapatriement, les soignants se sont installés comme ils pouvaient à l’arrière d’un avion de ligne. Photo : remise

Cette faible couverture vaccinale ne s’explique pas par un manque de doses, mais une forte réticence de la population locale à se faire vacciner, selon le professionnel de santé :

« Le fait d’être sur une île ou la situation économique peuvent aussi avoir un impact. Mais on retrouve aussi des facteurs culturels en métropole, par exemple dans le Sud le port du masque est parfois moins respecté. Il y a une question culturelle voire religieuse avec des prédicateurs qui indiquent qu’il vaut mieux avoir foi en Dieu davantage que dans la science. »

Stephane Houmeau
Quand il n’est pas en intervention ou à l’hôpital, Stéphane Houmeau officie également au vaccinodrome. « On peut prendre des gens sans rendez-vous », dit-il à ce sujet. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

« L’hôpital français n’est pas prêt »

Dans ce contexte, l’infirmier anesthésiste de formation prévient les 240 soignants volontaires envoyés de métropole :

« Cela peut être difficile sur place. Il peut y avoir le sentiment que ce sont des hommes blancs qui arrivent et donnent des leçons, ce qui peut renvoyer au colonialisme. Même quelqu’un de l’Agence régionale de Santé nous a demandé ce qu’on faisait là… »

Les transferts Photo : remise

En découvrant la situation dans les Antilles, Stéphane Houmeau a eu la crainte de voir avec quelques semaines d’avance ce qui pourrait arriver à la rentrée en métropole. Également délégué syndical Force ouvrière (FO), il s’interroge sur les semaines à venir :

« On envoie 240 personnes, mais 15 jours ne suffisent pas à régler une telle situation. Il faudra donc une deuxième voire une troisième rotation. Ce sera aussi le moment où l’on pourrait avoir besoin de personnel en métropole. Il y a déjà le plan blanc, c’est-à-dire un rappel des salariés en congés, en Corse, en Occitanie et en Paca, et quelques transferts, puisqu’on a accepté à Strasbourg des patients d’Occitanie. À Strasbourg, on a peu de cas de Covid (40 dont 12 en réanimation), mais ça augmente et à cause des fermetures de lits pendant l’été, on n’a qu’une quinzaine de places disponibles. Des personnes voient leurs soins déprogrammés. On voit que les taux d’incidence sont les plus élevés dans le sud, dans les lieux de villégiatures l’été, mais quand tout le monde va rentrer, il y a aura des brassages, des retrouvailles familiales où il y a beaucoup de clusters, et le pire serait un variant plus nocif. Si on a la même résurgence de l’épidémie en France métropolitaine qu’en Guyane et en Guadeloupe, l’hôpital français ne sera pas prêt. Il faut qu’un maximum de personnes soient vaccinées. Là-bas, la situation est plus ou moins conscrite à chaque île, mais le périmètre en France est bien plus étendu, avec plus de déplacements et un été où l’on a laissé partir les gens dans tous les pays. On rapatrie d’ailleurs tous les touristes des Antilles en urgence, mais il faut espérer qu’ils n’ont pas contracté le virus et qu’il n’y ait pas un cluster dans l’avion. »

« Une responsabilité collective »

L’avion justement, Stéphane Houmeau en garde le souvenir d’un moment tendu au retour : « On était au fond d’un vol commercial avec nos deux malades. Les gens avait peur et se plaignaient, y compris le personnel qui se sentait en danger. Le pilote a dû intervenir à un moment. »

Les soignants ont cohabité avec des passagers. « Ce n’était pas un super accueil » témoigne Stéphane Houmeau. Photo : remise

Vacciné depuis janvier, il estime que le vaccin est avant tout une « responsabilité collective », qu’il oppose à des comportements « égoïstes » :

« Avec toutes les missions que j’ai effectuées, notamment en Guyane qui est frontalier du Brésil, j’ai été exposé et pourtant mes 19 tests PCR ont toujours été négatifs. Je pourrais très bien penser que je ne suis pas concerné, surtout que je suis en bonne santé. Si j’ai fait le vaccin, c’est avant tout pour limiter la diffusion du virus. Il y a eu 50 millions de vaccins en France, s’il y avait une mortalité particulière, on le saurait désormais. Ce n’est jamais une science exacte, la santé peut devenir une loterie, mais c’est une protection à 90%. On avait les mêmes débat avec l’hépatite B il y a 20 ans, que l’on soupçonnait de transmettre la sclérose en plaques. Ce vaccin est aujourd’hui obligatoire pour les soignants sans que cela fasse des remous. »

Le soignant s’attend à d’autres allers-retours de ce type dans les prochaines semaines. Mais avant cela, il devrait partir vers le sud ce week-end pour aider la lutte contre les feux de forêts. « Beaucoup de pompiers sont mobilisés contre les incendies en Grèce », explique celui qui est aussi pompier volontaire. Une autre crise à combattre.


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