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« Les plantations d’espèces exotiques vont renforcer les effets du réchauffement climatique »

L’ingénieur écologue Jean-Claude Génot critique dans une tribune le plan de relance de la filière bois du gouvernement. Selon lui, il y aura des conséquences sur les forêts alsaciennes.

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« Les plantations d’espèces exotiques vont renforcer les effets du réchauffement climatique »

Fin 2020, Julien Denormandie, le ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Forêts a annoncé un plan de « repeuplement » des forêts françaises avec des chiffres qui donnent le vertige : 50 millions d’arbres à planter, 45 000 hectares à reboiser, 200 millions d’euros. « Le volet de repeuplement des forêts est, je pense, le plus grand depuis l’après-guerre » a ajouté le ministre.

Est-ce que le sort de tous ces arbres sera le même que celui des centaines de milliers d’épicéas, plantés il y a quelques décennies, morts affaiblis par les sécheresses et tués par les scolytes (insectes) en 2019 et 2020 ? Car si la forêt a encaissé ces pertes massives, ce n’est ni la faute du réchauffement climatique que nous avons déclenché, ni celle des scolytes qui font partie de l’écosystème forestier, mais bien celles des sylviculteurs qui ont planté l’épicéa sur des sols inadaptés et en peuplements purs, fragiles et non résilients.

Un plan pour la forêt à visée uniquement économique   

Travailler contre la nature nécessite d’en payer le prix, tôt ou tard. La vision de la forêt du ministre de l’Agriculture a le mérite de la clarté en nous rappelant : « qu’une forêt, ça se protège, tout comme le sol, et ça se cultive, tout comme le sol ». Si la culture de la forêt vue par le ministre a pour modèle l’agriculture industrielle française, on peut avoir des craintes légitimes quant aux effets de ce plan sur la biodiversité forestière.

Cultiver la forêt signifie la plupart du temps, planter des résineux à croissance rapide, donc créer des champs d’arbres et certainement pas des forêts. Une forêt pousse toute seule et n’a nullement besoin de plantation pour exister, c’est ce qui la différencie d’un champ d’arbres.

La forêt est composée d’espèces autochtones d’âges divers, adaptées au sol et au climat local, issues de régénération naturelle, où vivent une faune et une flore spécifiques liées à l’ambiance forestière. C’est un espace multifonctionnel pour la production de bois, la protection de la nature et l’accueil des populations.

Mélanges d’espèces, d’âges et de couleurs : une forêt (photo Jean-Claude Génot, document remis).

Un champ d’arbres, à l’inverse, est une monoculture d’espèces allochtones d’âge unique, très pauvre en biodiversité forestière et fragile face aux tempêtes, aux insectes et aux herbivores. C’est un espace monofonctionnel dont le seul but est de produire de la biomasse pour l’industrie. Ce programme de « repeuplement » est en fait un plan de relance de la filière bois qui souhaite majoritairement des résineux, alors que la forêt française est dominée par les feuillus. Il ne sert pas l’intérêt général mais les intérêts des pépiniéristes, des coopératives forestières et de l’ONF (Office nationale des forêts), aux abois sur le plan économique depuis que l’Etat ne compense plus son déficit.

Plantation d’épicéas, avec un couloir pour l’abatteuse, tous les 10 à 15 mètres : un champ d’arbres ( photo Jean-Claude Génot, document remis).

Des espèces exotiques, aux effets néfastes sur la biodiversité…

Il faut en finir avec cet argument simpliste selon lequel planter un arbre est bon pour la nature si on ne précise pas l’espèce, le lieu et l’objectif. Il est bénéfique de planter des arbres ayant vocation à devenir plus que centenaires, dans des paysages appauvris par l’agriculture ou dans des villes très bétonnées. Par contre, en forêt il est calamiteux sur le plan écologique de planter des résineux à la place des feuillus autochtones, sous peine de diminuer drastiquement la biodiversité. Idem si l’on plante ces mêmes résineux sur les surfaces d’épicéas éliminés par les scolytes et coupés à blanc, sous peine de reproduire les mêmes erreurs que dans le passé, avec cette fois des espèces encore plus exotiques, censées mieux s’adapter au changement climatique.

L’ONF a d’ailleurs établi une liste d’espèces exotiques envisageables, censées mieux réagir au réchauffement climatique. Pour la chênaie, il y a 53 espèces, parmi lesquelles : les sapins de Céphalonie, d’Espagne et Cilicie, les cèdres de l’Atlas, à encens et du Liban, l’eucalyptus du Mont Dalrymple, les pins noirs d’Autriche, de Monterrey et de Brutie, sans oublier le Douglas et les chênes du Caucase, de Hongrie et de Turquie.

Comment peut-on miser sur des espèces soi-disant « miraculeuses », dont on ne sait rien du comportement à moyen et long terme vis-à-vis du sol et des autres espèces de flore et de faune, sans aucune étude d’impact préalable ?

À l’heure où les spécialistes de la biodiversité insistent sur la nécessaire attention à porter avant d’introduire des espèces exotiques, les forestiers foulent allègrement le principe de précaution inscrit dans la Constitution. Pourtant dans ces listes, figurent le févier d’Amérique au caractère envahissant reconnu, des eucalyptus, réputés assécher les sols, le frêne de Mandchourie qui serait à l’origine de la chalarose du frêne en France et enfin le cyprès de l’Arizona, au pollen allergène pour les humains.

Il y a déjà des précédents en forêt avec des exotiques envahissants comme le robinier, le cerisier tardif, le pin de Weymouth et le sumac de Virginie. À ce propos, l’agence fédérale allemande de l’environnement a classé le Douglas dans les espèces envahissantes.

… et qui renforcent les effets du réchauffement climatique

Enfin, ces plantations ne permettent pas de lutter contre les effets du réchauffement climatique. En effet le stockage de carbone est bien meilleur dans une forêt à cycle long que dans une plantation gérée sur un cycle court. De plus, les arbres d’une plantation font l’objet d’une coupe rase, et la débauche de travaux (dessouchage, labour, épandage de fertilisants ou de pesticides) liés à l’exploitation perturbent fortement les sols, ce qui provoque un relargage du carbone contenu dans la biomasse, le bois mort, l’humus et le sol. Sans parler de la dépense d’énergie fossile, plus importante dans le cas de la plantation que pour une forêt âgée.

C’est même l’inverse qui se produit : la plantation de résineux renforce les effets du réchauffement climatique, car elle diminue la capacité des arbres à réfléchir les rayons du soleil, elle augmente la capacité des arbres à laisser passer la lumière et elle favorise l’évapotranspiration du sol, plus soumis à la lumière dans les plantations de résineux que dans les forêts de feuillus.

L’Alsace n’est pas épargnée

En Alsace, la part des feuillus représente 64% en surface, et celle des résineux 36%, mais en volume, les feuillus ne représentent plus que 53% et les résineux 47%. On le voit, l’Alsace et en particulier le massif Vosgien a déjà fait l’objet d’un enrésinement important dans le passé, à base d’épicéas, de Douglas, de pin sylvestre et de sapins alors que la forêt vosgienne était naturellement feuillue (hêtre, chêne, érable), avec ça et là du sapin en mélange ou du pin dans les stations sèches orientées plein sud.

Annik Schnitzler, professeur d’écologie et spécialiste des forêts naturelles, a parlé de « boréalisation » pour le massif Vosgien, car les forêts boréales sont composées de conifères. Il est clair que ce plan qui fait la part belle aux plantations, donc surtout aux résineux, pourrait voir ces derniers augmenter significativement en surface dans l’avenir, voire dépasser les feuillus en volume.

Un programme FuturForEst pour tester 10 espèces exotiques

Dans la région Grand Est, 74 parcelles forestières d’environ 2 hectares ont été sélectionnées pour tester dix espèces d’arbres exotiques dans le cadre d’un programme baptisé FuturForEst, soutenu par la Région avec des fonds européens à hauteur de 1,7 millions d’euros.

Les premières plantations « climatiques » ont déjà eu lieu. Les dix essences testées sont : le chêne zéen, le chêne de Hongrie, le chêne pubescent, le frêne de Mandchourie, le copalme d’Amérique, le sapin de Cilicie, le pin de Macédoine, le calocèdre, le cyprès de l’Arizona et le séquoia toujours-vert.

Ces plantations effectuées en forêt publique et privée sont des tests. Au bout de 5 à 10 ans d’observation, en fonction des résultats, les espèces exotiques pourront alors être utilisées plus couramment. Elles deviendraient alors plus importantes en surface.

Ces observations ne sont pas effectuées dans un cadre scientifique selon un protocole rigoureux, ce ne sont que des essais, réalisés par des gestionnaires qui n’auront ni les moyens ni les capacités d’étudier l’impact écologique de ces espèces sur l’écosystème. Et que dire de cette période de 5 à 10 ans pour en tirer des conclusions, alors qu’une forêt s’inscrit dans le long terme ?

L’Alsace, cinquième région forestière de France avant la fusion, a également pour particularité l’importance des forêts publiques qui représentent 75% de la forêt alsacienne. Or, c’est justement en forêt publique, gérée par l’ONF, que vont être effectuées des plantations d’espèces exotiques à hauteur de 3% de la forêt domaniale, sur des surfaces de 0,5 à 5 hectares, nommés des « îlots d’avenir ». Ce pourcentage n’est pas négligeable si on le compare au 1% dédié à la nature protégée de façon stricte en forêt. Déjà, certaines coupes rases d’épicéas dans le secteur de Saverne ont été plantées avec des mélèzes ou encore des cèdres de l’Atlas.

Plus d’arbres mais moins de forêt à terme

Après l’échec des plantations d’épicéas, comment peut-on aujourd’hui s’obstiner à planter, quand la forêt fonctionne gratuitement par régénération naturelle ? Comment peut-on croire que des espèces venues de régions plus chaudes vont mieux s’adapter à un environnement changeant, dont personne ne peut prédire exactement les effets sur le climat local?

Tout cela fait penser à un apprenti sorcier qui veut dominer la nature en ignorant les conséquences écologiques, et en jouant à la roulette russe avec de l’argent public. Planter des espèces plus qu’exotiques est un acte contre nature qui nécessite une énergie manuelle, mécanique ou chimique pour être menée à terme ; tout cela est coûteux et sans aucune garantie de réussite quand la nature fait pousser des espèces autochtones gratuitement.

Mais l’homme veut « ses » arbres, qui répondent aux critères industriels et pas la forêt, oubliant qu’une société qui refuse de s’adapter à son environnement naturel n’est pas durable. Assurément planter des résineux sur le modèle agricole revient à avoir peut-être plus d’arbres mais nettement moins de forêts.

La forêt française mériterait un débat citoyen afin de dégager des objectifs de gestion pour ce bien commun. Sous couvert d’adaptation au changement climatique, en introduisant plus de résineux en plantation à cycle court, l’homme va réduire les capacités de la forêt à jouer son rôle de puits de carbone, maximal pour les forêts feuillues âgées à couvert continu.


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