
Toucher une prime de l’État si le réfugié que vous accueillez se suicide proprement ? C’est possible, du moins dans le présent pas si lointain imaginé par l’auteur et metteur en scène Pierre Notte. Une comédie macabre à découvrir au Point d’Eau à Ostwald vendredi 17 mars.
L’homme qui dormait sous mon lit, est une fable à peine dystopique qui pousse les comportements hypocrites de notre société à l’absurde dans une écriture incisive et rythmée. Une femme, interprétée par Muriel Gaudin, accueille, dans son minuscule appartement, un réfugié joué par Clyde Yeguete. S’il se suicide, elle recevra une prime de la part de l’État. Le spectacle d’un peu plus d’une heure sera présenté vendredi 17 mars au Point d’Eau à Ostwald. Pierre Notte, lauréat du prix Beaumarchais, est l’auteur et metteur en scène du spectacle. Il sait faire rire jaune ou aux éclats, mais surtout faire grincer des dents.
Une comédie noire et dystopique
Le postulat de la pièce rappelle celui de L’hiver sous la table, une pièce de Roland Topor écrite en 1994, où une traductrice parisienne accueille dans son minuscule appartement parisien un réfugié qui vit sous sa table jusqu’à nouer entre eux une relation de complicité.

Dans la pièce de Pierre Notte, l’accueil d’un réfugié est encouragé et subventionné par l’État pour service rendu à la patrie. L’hôte a la possibilité de toucher une prime supplémentaire à une condition : le suicide du réfugié. Un problème de moins et un soulagement pour l’Europe toute entière. Ainsi, tout est mis à la disposition de celui-ci ; lames de rasoirs, sacs poubelles pour y enfouir sa tête jusqu’à l’asphyxie, morts aux rats. Si ça ne suffit pas, il y a toujours une fenêtre par laquelle se jeter.
Le troisième personnage joué par Sylvie Laguna est une modératrice. Elle incarne la neutralité, pour ne pas dire la Suisse. Sa présence permet d’apaiser les tensions et tisser des liens. Par ses rappels à la loi et aux droits de l’Homme, elle amène une forme de burlesque sur la scène et casse par moment le quatrième mur en s’adressant directement au spectateur.
Minimalisme au service du surréalisme
Un plateau plutôt dépouillé. Seul un chic tabouret de piano se trouve au centre de la scène. Il donne une assise à celui qui dicte les règles et un lieu de trêve pour celui qui a été trop éprouvé. Le tabouret trône au milieu de découpes de lumières symbolisant les différents éléments de l’appartement : un lit sous lequel le réfugié cultive son potager, un évier et des « merdouilles » chères aux yeux de l’accueillante.

Tout comme la mise en scène, le jeu des comédiens ne laisse pas de place au naturalisme. Ils interprètent des entités plus que des personnages, caractérisés par leur gestuelle surréaliste et des déplacements chorégraphiques, parfois clownesque. De plus, la musique composée par Pierre Notte est très présente durant le spectacle, menant à une dernière scène de danse et de fête entre les comédiens.
Une fable tirée d’une sombre réalité
Pour Pierre Notte, la pièce est née de sa honte, de notre honte, de celle de l’Europe : « Devant l’immensité du drame qui se joue, chacun y va de ses excuses, de ses justifications. Chacun se positionne, comme il peut où il peut. » Pierre Notte écrit pour sortir de cette inertie, comme il le raconte dans un entretien avec le théâtre du Rond Point :
« C’est encore écrire contre, jamais pour. Contre l’impuissance et l’inaction. Ou en réponse, en écho. Faute de mieux, faute d’agir. Ici, faute d’une parole politique, d’un geste engagé, il reste l’invention possible d’un dialogue entre les parties… On ne fait rien, on fait semblant, mais c’est déjà ça. Et on en rit, aussi. C’est la moindre des choses, par souci de décence… »

L’auteur ne cache pas ses propres travers. Il raconte avoir un jour demandé à un migrant qui campait sous ses fenêtres de baisser sa musique pour qu’il puisse écrire paisiblement.
Dans cette fable très noire, il est difficile de ne pas reconnaître nos propres hypocrisies et lâchetés. Cependant, Pierre Notte ne se souhaite pas moralisateur ou défaitiste, la fin du spectacle esquisse une possibilité d’amélioration si l’on sait s’écouter et si on trouve la volonté de se comprendre.
La Suisse n'est pas nécessairement un exemple: il suffit de suivre le travail documentaire de Fernand Melgar
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Forteresse_(film,_2008)
Par ailleurs, mon ami Jean-Charles Paras me signale que
"l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris qui vient d'annuler l’attribution de la subvention de la Ville de Paris à SOS Méditerranée.
Cela pourrait consacrer l’idée que, désormais, le soutien public des actions humanitaires ne serait plus compatible avec la liberté d'expression, avec la liberté d’affirmer son désaccord, y compris par l’action strictement humanitaire, … y compris à une politique publique dont chacun sait qu’elle a depuis 2014 conduit plus de 20.000 personnes à mourrir des les eaux de la Méditerranée (Source Nations Unies).
Humanitaires, associations, collectifs d’aide aux exilés, si vous espérez être soutenus dans votre action par une subvention publique, gardez vous d’user de votre liberté d’expression et de critique des politiques publiques en matière de migration !
Collectivités locales, si vous entendez soutenir l’action de ces mêmes humanitaires prenez garde, "alors même (que votre subvention serait) accordée au titre des aides d’urgence, (d’être regardées) comme ayant entendu prendre parti et interférer dans des matières relevant de la politique étrangère de la France et de la compétence des institutions de l’Union européenne, ainsi que dans des différends, de nature politique, entre Etats membres » (Arrêt CAA Paris 3 mars 2023)
https://paris.cour-administrative-appel.fr/decisions-de-justice/dernieres-decisions/ville-de-paris-la-subvention-de-100-000-euros-a-sos-mediterranee-est-annulee"