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« Polluants éternels », de nombreux sites à haute contamination identifiés en Alsace

Dix-huit communes alsaciennes sont sérieusement contaminées par des substances chimiques utilisées dans l’industrie. Une enquête d’un consortium de médias, dont Le Monde en France, a révélé cette pollution à l’échelle du continent.

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« Polluants éternels », de nombreux sites à haute contamination identifiés en Alsace

Surnommées les « polluants éternels », les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) sont des composés chimiques de synthèse ultra-toxiques. Invisibles à l’œil nu, ces molécules sont persistantes dans l’environnement et s’accumulent dans les organismes. Des vestes imperméables aux poêles anti-adhésives en passant par les emballages de fast-food, les PFAS relèvent autant d’usages quotidiens que de secteurs plus confidentiels comme la fabrication de mousses anti-incendie. Couramment utilisés par le secteur industriel depuis les années 50, ils sont à l’origine d’une pollution qui durera des centaines… voire des milliers d’années.

Les données concernant la présence de 17 000 sites contaminés par ces polluants éternels en Europe ont été rassemblées dans une base de données par les journalistes du Forever Pollution Project, un consortium international incluant 18 médias dont Le Monde. En France, les bords du Rhin et le bassin du Rhône sont particulièrement touchés par la pollution aux PFAS.

La concentration de pollutions détectées aux PFAS en Alsace sur la carte publiée par Le Monde. (Capture d’écran / Forever Pollution Project)

Sur plus de 900 sites contaminés identifiés en France, environ 200 se trouvent en Alsace, répartis dans 111 communes. Parmi eux, 30 prélèvements font état d’une concentration de PFAS supérieure à 100 nanogrammes par litre (ng/l) — une concentration considérée comme dangereuse pour la santé. Ces sites contaminés sont désignés comme des « hot spots ».

La contamination aux PFAS en Alsace

Sur la carte ci-dessus, chaque point correspond au résultat d’un prélèvement effectué par de multiples sources rassemblées par le Forever Pollution Project. Concernant les mesures alsaciennes, une grande partie des données ont été fournies par l’Association pour la protection de la nappe phréatique de la plaine d’Alsace (Aprona), dans le cadre du projet Ermes-Rhin. Cette étude, menée entre 2016 et 2018 à l’échelle de la nappe phréatique d’Alsace et des aquifères du Sundgau, considère qu’un site est contaminé lorsque la concentration de PFAS est supérieure à 1 ng/l.

4 échantillons positifs sur 5 testés

Victor Haumesser, chargé de la communication de l’Aprona, précise :

« Sur l’ensemble des prélèvements analysés, 80% révèlent une contamination par les PFAS. S’il n’y a pas de point sur la carte, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de contamination, cela veut juste dire qu’il n’y a pas eu de mesure. »

La nappe phréatique d’Alsace alimente près de 80% de la population alsacienne en eau potable, ce qui revient à dire que « toute la population est exposée à des niveaux variables » selon l’Agence Régionale de Santé (ARS) Grand Est qui rappelle qu’une étude de Santé Publique France l’a confirmé en 2019.

Dans la commune du Vieux-Thann dans le Haut-Rhin, les données font état d’une concentration de PFAS atteignant les 941 ng/l. Les communes de Strasbourg, Colmar, Ingersheim, Ribeauvillé, Berrwiller, Bartenheim, Rosheim, Mundolsheim, Village-Neuf, Lauterbourg, La Wantzenau, Sélestat, Seppois-le-Bas, Obernai, Saint-Louis, Chalampé et Burnhaupt-Le-Bas présentent des sites avec une concentration de PFAS allant de 110 ng/l à 525 ng/l.

Daniel Reininger, ancien président d’Alsace Nature, réagit :

« La pollution des eaux aux PFAS, on en parle depuis longtemps mais le sujet n’avait jamais été creusé avant ces enquêtes journalistiques. La qualité de l’eau est dégradée à la fois par l’agriculture et par l’industrie. On a besoin en Europe d’une cellule d’expertise qui régule la mise sur le marché unique de ces produits chimiques. »

Omniprésents malgré leur toxicité pour la santé

Contactée par Rue89 Strasbourg, l’ARS Grand Est précise par écrit les dangers sanitaires d’une présence de PFAS en forte quantité dans l’environnement :

« Il s’agit généralement de risques chroniques, c’est-à-dire liés à une exposition répétée et à long terme. Les principales sources d’exposition sont l’alimentation et l’eau consommée. L’air intérieur et extérieur est aussi une voie d’exposition possible, mais moins importante, ainsi que l’ingestion de poussières contaminées. » 

Quant à leur toxicité, elle est largement établie selon l’ARS, qui indique :

« Les PFAS provoquent une augmentation du taux de cholestérol, peuvent entraîner des cancers, causer des effets sur la fertilité et le développement du fœtus. Elles sont suspectées d’interférer avec le système endocrinien (thyroïde) et immunitaire. Cet effet des PFAS sur le système immunitaire a récemment été mis en exergue par l’EFSA [Autorité européenne de sécurité des aliments, NDLR] qui considère que la diminution de la réponse du système immunitaire à la vaccination constitue l’effet le plus critique pour la santé humaine. »

Contactée la Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement du Grand Est (Dreal), notamment chargée de prévenir « les risques à fort impact humain » et d’œuvrer à la « préservation des ressources naturelles » n’a pas été autorisée à répondre à nos questions par la préfecture du Bas-Rhin.

De graves risques sanitaires, une réaction tardive de l’État

En France, l’intégralité de la population, adultes et enfants, présente des traces de PFAS dans le sang, selon le programme de biosurveillance Esteban publié en 2020 par Santé Publique France. En particulier les PFOS et les PFOA, des PFAS « historiques », interdits depuis 2009 pour le premier et 2019 pour le second. À Vieux-Thann dans le Haut-Rhin, c’est justement ces substances que l’on retrouve en grande quantité — 444 ng/l selon un prélèvement de l’Aprona effectué en 2016.

Le 17 janvier, le ministère de la Transition écologique a publié un « plan d’actions ministériel sur les PFAS ». Développé en six axes, l’un des objectifs du plan est d’encadrer l’utilisation des PFAS et de fixer des objectifs maximaux d’émissions industrielles. Mais le plan n’évoque pas de dépollution.

À l’heure actuelle, aucun PFAS n’est mesuré dans le cadre du contrôle sanitaire de l’eau destinée à la consommation. Une directive européenne (2020/2184) intégrée au droit français en décembre 2022 prévoit de cibler 20 composés chimiques de la famille des PFAS dans les analyses sanitaires de l’eau potable d’ici 2026.


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