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Protection de son patrimoine allemand: Strasbourg tâtonne encore

Longtemps dénigré, le patrimoine allemand de Strasbourg fait depuis 2010 l’objet d’un inventaire minutieux et d’une procédure de classement Unesco. La ville de Strasbourg veut valoriser cette « Neustadt », « ville nouvelle » construite au temps de l’annexion, mais ne s’en donne que timidement les moyens. En cause, des logiques contradictoires de protection patrimoniale et d’aménagement urbain.

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Protection de son patrimoine allemand: Strasbourg tâtonne encore

Le palais du Rhin, place de la République - Strasbourg, mars 2013 (Photo MM/Rue89 Strasbourg)
Le palais du Rhin, place de la République – Strasbourg, mars 2013 (Photo MM/Rue89 Strasbourg)

A la fin des années 1950, il fut question de raser le Palais du Rhin, cet imposant édifice qui domine la place de la République à Strasbourg, symbole de l’annexion allemande de l’Alsace-Moselle entre 1870 et 1918. « Heureusement, note un fonctionnaire qui y a aujourd’hui son bureau, un adjoint au maire de l’époque s’opposa à cette mesure, arguant à juste titre que ça aurait rendu illisible l’aménagement de la place et de ce qu’on appelle « l’axe impérial », qui va du Palais du Rhin au Palais universitaire. »

Longtemps, le patrimoine strasbourgeois a donc été réduit à la cathédrale et à ses abords, classés au patrimoine mondial de l’Unesco en 1988. Mais en 2008, le maire socialiste Roland Ries ambitionne d’élargir cette reconnaissance à la « Neustadt », la « ville nouvelle » planifiée par les Allemands en 1880, une dizaine d’années après l’annexion de l’Alsace à l’empire germanique.

2008-2011 : trois ans pour définir une stratégie

Malgré l’affichage politique, il faut attendre 2011 pour que soit créée une « mission patrimoine » au sein de la direction de la culture de la ville de Strasbourg, dédiée au montage du dossier Unesco et à ses deux corollaires : l’extension du secteur sauvegardé (une zone où l’architecte des bâtiments de France a son mot à dire dès qu’il s’agit de rénover un bâtiment, intérieurs compris) et l’obtention du label national « ville d’art et d’histoire ». La responsable de cette mission, Dominique Cassaz, tente une explication :

« En 2008, le projet Unesco n’était pas mûr. On a d’abord pensé à présenter un nouveau dossier comprenant uniquement la Neustadt, puis un dossier « de série » avec Metz et la ville allemande de Wiesbaden, mais le ministère de la Culture nous a fait comprendre que nous aurions plus de chance d’obtenir le label en proposant l’extension de la zone actuelle, qui comprend tout le sud de la Grande Ile. »

« Se réapproprier le patrimoine » et attirer des touristes

Une fois le principe d’extension posé, entre 2009 et 2011 – on ne sait trop – la ville de Strasbourg a créé la mission patrimoine, embauché enfin une personne supplémentaire, pour venir en renfort de Dominique Cassaz, ainsi qu’une thésarde à mi-temps, dont le sujet de recherches est la Neustadt.

Projet d'extension de la zone labellisée Unesco (Document remis)
Projet d’extension de la zone labellisée Unesco (Document remis)

Validé (ou pas) par le ministère de la Culture d’ici fin 2013, le dossier strasbourgeois sera ensuite entre les mains d’un bureau d’études de l’Unesco, dont le travail pourrait aboutir à l’extension effective de la zone classée d’ici 2015 ou 2016. Tout ça… pour quoi faire ? Selon Daniel Payot, adjoint au maire de Strasbourg en charge de la culture, il s’agit avant tout de permettre aux Strasbourgeois de « se réapproprier leur patrimoine » et donc, leur passé. Il note :

« L’idée, c’est de faire de ce patrimoine une affaire partagée par tous et plus seulement une affaire de spécialistes. Par rapport à l’extérieur, cela permettra une meilleure reconnaissance de la qualité architecturale de Strasbourg dans son ensemble. Cela ne devrait pas drainer des milliers de touristes en plus, mais l’objectif est de mieux faire connaître cette partie de la ville… »

Sur ce point, l’élu n’est pas très précis. Des visites seront organisées – à noter la présence de La Muz’ actuellement dans le quartier – des plaquettes ont été réalisées, des projets en lien avec les scolaires sont sur le métier… Bref, lentement, mais sûrement, il se passera peut-être quelque chose, dans quelque temps.

Deux postes et demi (sur 8 000) pour le service « patrimoine »

Deux postes et demi en charge du patrimoine sur 8 000 agents de la CUS, contre une vingtaine à Lille pour le même service, note Dominique Cassaz elle-même, des programmes pédagogiques et touristiques encore en gestation cinq ans après le début du mandat de Roland Ries, une extension du secteur Unesco restreinte à l’axe impérial et à ses abords immédiats, laissant de côté les quartiers des musiciens, Orangerie, gare, Bourse ou suisse, ou encore l’Hôpital civil, témoin pourtant majeur de cette époque allemande…

Pourquoi tant de timidité ? En coulisses, certains acteurs soulignent les divergences de vue entre services de la culture et de l’urbanisme. De projets urbains changeront profondément le visage de l’Hôpital par exemple, rendant inopportun son classement Unesco. La crainte de « faire un musée à ciel ouvert », dixit Daniel Payot, n’est jamais loin et les élus ont à cœur de permettre à la ville de « continuer à bouger ». Symbole de cette ville musée qui coûte des millions à rénover (une trentaine exactement – lire la tribune du conseiller municipal EELV Eric Schultz, qui proposait la levée « d’emprunts citoyens » pour financer la réfection de ce fleuron de la Neustadt), les Bains municipaux dont le sort n’est toujours pas tranché et risque de ne pas l’être avant 2014…

Aller plus loin

Sur Rue89 Strasbourg : Bains municipaux, Strasbourg navigue en eaux troubles

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#Daniel Payot

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