
1983-2013. Ce pourrait être l’inscription d’une pierre tombale, celle du lynx dans les Vosges. Atteignant une trentaine d’individus dans les années 2000, sa population a ensuite drastiquement chuté. En 2013, la démographie de cette espèce protégée n’est plus viable. En clair, le lynx a disparu du seul endroit où il a été réintroduit en France. Les associations pointent du doigt le braconnage, les fédérations des chasseurs récusent.
La suspicion de disparition du lynx dans les Vosges est née d’une inquiétude. L’ONCFS (Office nationale de la chasse et de la faune sauvage) remarque que les indices de présence du lynx comme les boules de poils, les traces, les carcasses de proie, les dépouilles de lynx et les fèces se font extrêmement rares.
Pour en avoir le cœur net, une étude de grande ampleur a été menée dans les Vosges durant l’hiver 2012, en suivant la même méthodologie appliquée dans le Jura (le lynx jurassien provient d’un programme de réintroduction suisse), permettant de mettre à jour une population vivace, estimée à un individu pour 100 km². Des pièges photos, répartis sur 450 km², ont mesuré sur deux mois l’éventuelle présence du lynx dans le massif vosgien à des emplacements où il aurait dû se trouver. Le constat est cinglant : pas un seul lynx n’a été photographié. Le seul lynx répertorié dans le massif est un mâle évoluant dans les Vosges mosellanes.
Le braconnage pointé du doigt
Les associations ont beau évaluer toutes les hypothèses, pour elles, le braconnage est le premier facteur de l’extinction du lynx – si ce n’est le seul. Anthony Kohler, vice-président de l’association Ferus (association de conservation du loup, du lynx et de l’ours), coordinateur national Lynx, animateur réseau massif des Vosges, estime le nombre de lynx à moins de cinq. Il rappelle que « l’espèce a été braconnée dès 1983 avec une opposition très virulente du monde de la chasse ». En effet, dès 1984, le lynx Boric est retrouvé mort, abattu par une balle. Mais il n’est pas le seul :
« Cette opposition s’est traduite avec 11 ou 12 cas référencés de braconnage sur le massif vosgien. Les services de l’État ont connaissance de ces cas de braconnage mais n’ont jamais pu avoir assez d’éléments pour poursuivre les personnes qui ont réalisé ces actes ».
Crâne de lynx coupé à la scie ou collier émetteur tranché au couteau sont autant d’indices. Stéphane Giraud, directeur d’Alsace Nature, indique que le lynx n’a jamais été le bienvenu dans les Vosges. S’étant occupé du dossier du lynx pendant une dizaine d’année au sein du GEPMA (Groupe d’étude et de protection des mammifères d’Alsace), il rappelle la provocation à l’égard des associations protectrices des animaux :
« On s’est beaucoup préoccupé du lynx, notamment dès 2003 quand un lynx a été retrouvé abattu à Masevaux et déposé à quelques mètres du domicile du président d’Alsace Nature Haut-Rhin de l’époque, Philippe Lacoumette, qui faisait partie des précurseurs du combat des associations pour la réintroduction du lynx. L’étude balistique qui a été menée montre que l’animal n’a pas pu être abattu à cet endroit. On n’a jamais retrouvé les auteurs ».
Les « remontées » des braconniers
Le vice-président de l’association Ferus interroge : « les cas référencés sont la partie émergée de l’iceberg. Combien y a-t-il eu de cas de braconnages au total ? Beaucoup. »
C’est que les associations protectrices n’ont aucune preuve concrète, mais de fortes suspicions. Elles ne souhaitent pas détailler, mais évoquent des « remontées ». Stéphane Giraud corrobore : « On a tous dans nos expériences des choses qui nous remontent, des mecs qui se vantent d’avoir tiré un lynx ».
Une situation toujours et encore tendue entre pro et anti qui, selon Anthony Kohler, a appelé à des mesures de prudence :
« Dans les Vosges, certains garde-chasses ont eu comme consigne dans le cas où ils ont vu des bandes organisées de braconniers de ne pas agir et d’appeler la gendarmerie. Des garde-chasses témoignent de moments chauds et dangereux pour eux ».
L’État fait la sourde oreille
Le directeur du GEPMA, Bruno Ulrich, estime que « l’État n’a pas joué son rôle » :
« L’État n’a pas répondu aux associations et doit aujourd’hui prendre ses responsabilités. On a eu une partie des fonds qui aurait permis le relâché de lynx mais nous n’avons jamais obtenu d’autorisation. On aurait dû relâcher deux lynx pour chaque animal abattu à l’époque de la mort du lynx Boric (le lynx braconné en 1984). Cela aurait permis de renforcer le pôle génétique et de donner un message ».
L’association Ferus a envoyé des courriers au ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie pour alerter sur la situation. Le 4 janvier, Anthony Kohler reçoit un courrier où l’État indique qu’il sera « très attentif à la situation ». Depuis, silence radio, malgré des relances. Pour Bruno Ulrich, c’est une « fin de non-recevoir ». Ferus et plusieurs associations cosignataires vont prochainement renvoyer un courrier au ministère et au Premier ministre… Sait-on jamais.
Les chasseurs ne se sentent pas concernés
Le président de la fédération des chasseurs du Haut-Rhin, Jean-Marie Boehly propose sans surprise une toute autre interprétation des résultats de l’étude de l’ONCFS. Il pense que l’animal est soit parti pour « échapper aux rigueurs de l’hiver », soit que cela démontre son inaptitude à vivre dans le massif.
De là, se déploie une guerre des arguments entre associations protectrices de la nature et les fédérations de chasseurs qui abouti à une cristallisation des positions. Mais ce qui frappe le plus, c’est la posture des fédérations qui refusent catégoriquement d’envisager que quelques chasseurs aient pu se livrer à des actes de braconnage, même en petit nombre :
« Il y a eu des mouvements divers et variés dans le monde de la chasse suite à l’arrivée du lynx, notamment dans ce que l’on appelle le GIC 6 (vallée de Munster). Mais de là à dire que ce sont ces gens qui ont braconnés le lynx, il y a un pas que nous ne franchissons pas du tout, puisque ces gens-là appelaient leurs membres à rester légalistes. »

Le lynx a subi une forte opposition du GIC de la vallée de Munster. (Photo Axel Rouvin / Flickr / CC)
Pour preuve, Jean-Marie Boehly rappelle que l’enquête du lynx de Masevaux n’a pas abouti même s’il concède qu’il y a bien eu « un faisceau de fortes suspicions pour un groupe de personnes », comme cela avait été le cas pour le lynx Boric. Tant que le glaive de la justice n’est pas tombé, les fédérations de chasseurs lèvent solennellement la main droite : elles rejettent toute responsabilité dans l’extinction du lynx.
La loi du silence
Malgré tout, en gage de sa bonne foi, Jean-Marie Boehly est prêt à aider : « S’il y a un cas braconnage avéré, nous nous porterions partie civile. Nous sommes légalistes et il n’est pas possible de régler ce genre de problème avec le fusil ». Ce qui est fort dommage, c’est que l’homme « n’a pas plus d’informations à donner que les services de police. Je n’ai aucune information sur un braconnage au sein de la fédération ». Les remontées des associations ? « Du flan, du vent ».
Et si Jean-Marie Boehly finit par admettre « ne pas nier que certaines personnes aient pu tirer le lynx », il se ressaisit aussitôt : « les porteurs de fusil ne sont pas tous des chasseurs, il peut avoir un crétin qui fait un carton près de sa maison puisqu’on a vu des lynx proches des zones urbanisées ». Malgré l’excellente couverture neigeuse de cette année, « aucun indice de présence du lynx n’a été trouvé en plaine, comme des traces » explique Anthony Kohler.
Le chasseur menacé d’extinction ?
Elles n’ont beau ne rien avoir à se reprocher, les fédérations des chasseurs sont susceptibles. Soupçonner un chasseur quand un animal sauvage est tué par balle, c’est trop. Gérard Mathieu, président de la fédération des chasseurs des Vosges, estime que c’est « vexant de dire que le lynx est en diminution sur le massif vosgien du fait d’un braconnage soupçonné et non avéré » et campe sur ses positions : « si c’est du braconnage, qu’ils en apportent la preuve ».
Jean-Marie Boehly explique doctement le rôle essentiel du chasseur et affirme que la « pérennité de la forêt passe par la pression de chasse ». Une précisions nécessaire, parce qu’il se jouerait un complot contre le chasseur, figure « honnie dans les sociétés contemporaines qui refusent le contact avec la mort », en arrière plan de la disparition du lynx :
« Je sais que le rêve profond de grands environnementalistes, c’est de progressivement viser à supprimer le chasseur et de le remplacer par les grands prédateurs ».
Rétropédalage des associations
Malgré la gravité de la situation, Anthony Kohler insiste pour expliquer que les discours anti-lynx, tenu notamment dans certains GIC (Groupements d’intérêt cynégétique) de chasseurs dans les années 90 (« vous voyez un lynx, vous le butez, vous le cachez »), lui sont arrivés « après-coup » et qu’ils ne sont plus d’actualité aujourd’hui.
Même son de cloche pour Alsace Nature. Stéphane Giraud explique qu’une « minorité de chasseurs alsaciens doit être poursuivie et condamnée comme il se doit mais il n’existe pas, aujourd’hui, de fédération de chasse anti-grands prédateurs ».
Pour sauver le lynx, les associations prennent sur elles et évitent d’attiser les braises du conflit. Après la passe d’armes, l’heure est à la conciliation.
Unique consensus : le retour naturel
Le seul consensus partagé entre les deux parties pour expliquer un éventuel déclin du lynx est celui de l’urbanisme. Les Vosges sont « le massif le plus anthropisé de France, malgré les apparences » explique Jean-Marie Boehly, ce qui empêcherait le lynx – animal à grand territoire – de s’adapter, contrairement au loup.
Pour les associations protectrices des animaux, la croissante lente de la population du lynx dans les Vosges jusqu’au milieu des années 2000 (avant une baisse brutale) est la preuve de son intégration, sans compter la bonne santé démographique du chevreuil, sa source d’alimentation principale. Néanmoins, elles réclament la mise en place de corridors écologiques (trame verte et bleue) afin d’enjamber l’autoroute A36 (Mulhouse-Belfort), le canal de la marne, la ligne LGV ou encore pour réouvrir l’éco-pont de Saverne au-dessus de l’A4, fermé depuis une affaire de grippe porcine. L’idée est de raccorder le massif jurassien aux Vosges avec le Palatinat allemand faire circuler les populations de lynx.
Officiellement, les fédérations des chasseurs ne sont pas contre un retour naturel du lynx. Gérard Mathieu avoue que l’évocation de ces projets le font « toujours sourire », en refusant d’expliquer pourquoi, par « méfiance ». « Oui, dix fois oui aux corridors écologiques, mais pas que pour le lynx » s’exclame de son côté Jean-Marie Boehly, qui se dit néanmoins prêt à « réguler » la population du prédateur pour « maintenir les équilibres ». Sait-on jamais.
J'aime aussi votre chapeau. Je fais moi-même collection de chapeaux et casquettes. J'ai même une chapka en loup de Sibérie : cadeau, pas tué moi-même.
J'aime beaucoup les animaux et particulièrement les prédateurs ( sauf bien sûr ce prédateur pervers qu'est l'Homme) que je respecte trop pour pouvoir les tuer.
A remarquer qu'il y a très peu de territoires pour le lynx en Europe occidentale (Espagne, Suisse-Italie-Allemagne-France) mais qu'il est présent partout depuis les pays scandinaves jusqu'en Sibérie,dans les steppes et les montagnes. Et aussi au Sud de l'Asie (Chine, Pakistan, Afghanistan, etc..)
Là, le commentaire du Monsieur qui dit que "le lynx est parti pour échapper aux rigueurs de l'hiver" vosgien est très drôle...
Pour les braconniers maintenant, c'est d'autant plus cruel et idiot qu'il n'y a pas, vu le peu de bêtes, de réel "marché" clandestin de la fourrure. Dans la seule Russie il reste plus de 30 000 lynx ! Le fait que le lynx est un félin solitaire qui opère sur un grand territoire rend à la fois le braconnage mais aussi la protection plus difficile.
En tant que félin en voie de disparition, seuls des imbéciles peuvent le tirer dans les Vosges. En tant que prédateur solitaire qui chasse surtout des proies moyennes (lapins etc... ici en France, mais pas de moutons ou alors très rarement) mais des cervidés daims, jeunes rennes, etc dans les contrées du nord, il ne constitue pas un danger pour les éleveurs, comme le loup, canidé grégaire, peut l'être s'il est mal géré.
Il faut peut-être souligner aussi que - paradoxalement - la chasse de certaines espèces lorsqu'elle est contrôlée contribue non à la disparition mais à la survie de l'espèce.
Ainsi en Tanzanie des safaris où on vous propose de "prélever" des spécimens de certaines espèces ((éléphant, buffle, impala, etc..pour des sommes allant de 150 000 à plus de 300 000 dollars le safari, permettent de nourrir la population, de payer les gardiens qui luttent contre le braconnage, d'entretenir des réserves où les espèces sont protégés. L'argent que quelques privilégiés versent pour tuer un éléphant contribue paradoxalement à la survie des éléphants.
Une pareille méthode ne serait pas envisageable pour le lynx dans les Vosges. Le lynx ayant pour lui de grands territoires qu'il ne partage pas.
On pourrait hasarder - c'est une hypothèse - que c'est, de manière paradoxale, le désintérêt des chasseurs pour le lynx qui contribue en partie à sa disparition. De fait, il faut bien distinguer les braconniers des chasseurs en le sens que ces derniers ont tout intérêt à garder une population suffisante de bêtes pour pouvoir les prélever par la chasse sans pour autant que les espèces disparaissent et ont un devoir d'entretien des populations animales. C'est toute la différence entre le braconnier grosse brute et le chasseur intelligent.
Dans les sociétés de chasseurs une grande attention a toujours été portée à la survie du gibier qui conditionne la survie de la communauté.
En tout cas, les deux peuvent exister sur le même territoire d'après les conclusions de cet article de recherche => http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=22642739
Le Massif des Vosges appartient au lynx, messieurs les chasseurs (ou mesdames). Que je sache, le chasseur ne tue pas les animaux malades ou âgés. Le prédateur si. C'est donc lui le régulateur naturel !
Le chasseur - je dis bien le chasseur pas la grosse brute - est tenu de "tirer" des animaux qui correspondent à certains critères souvent très précis. En ce sens le chasseur, tout comme le pêcheur, aussi professionnel, doivent éviter les spécimens jeunes justement pour assurer la reproduction de l'espèce. Du moins tel est le principe.
Les prédateurs choisissent comme proies les animaux les plus à leur portée : donc sans doute effectivement les malades et âgés, mais aussi bien les jeunes. De plus à ne pas confondre le prédateur et le charognard....
Le prédateur est donc généralement un régulateur naturel comme Platon l'avait déjà signalé : "à quelques-uns même il donna d’autres animaux à manger ; mais il limita leur fécondité et multiplia celle de leurs victimes, pour assurer le salut de la race."
Mais parce que les équilibres naturels sont parfois rompus, les Hommes se doivent - d'autant plus qu'ils en sont fréquemment la cause - de réguler avec le plus d'intelligence possible.
Ce qui n'est pas toujours facile.
L' imbécilité, l'avidité, l'inconscience, les rivalités diverses prenant souvent le pas sur le simple bon sens.
J'avoue que l'on mélange souvent les chasseurs respectueux et les "grosses brutes" (ça me rappelle le sketch des Inconnus d'ailleurs).
Comme vous le dîtes plus haut, chasseurs et prédateurs naturels peuvent cohabiter sur un territoire comme les Vosges.
Mais nos décideurs sont sans doute trop occupé avec les requins de la finance pour s'intéresser à des espèces emblématiques, de nature si discrètes.
...Alors, il suffit d'éliminer le braco avant que celui-ci n'élimine le lynx....:-)