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Le Racing rendu inoffensif après son rachat par l’Américain BlueCo

Le Racing est en grande difficulté en ce début de saison 2023-2024. Durant l’été, le club a vendu ses joueurs capables de mener le jeu sans en recruter d’autres. Ces incohérences correspondent à ce que craignait la Fédération des supporters avec le rachat du club par le multipropriétaire BlueCo.

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Le Racing rendu inoffensif après son rachat par l’Américain BlueCo

Le public ne demandait qu’à s’embraser. Chaque action, même anodine, créait une impressionnante ferveur dans le stade de la Meinau. Mais les supporters du Racing n’ont pas pu exulter vendredi 6 octobre face à Nantes, qui s’est imposé 2 buts à 1. L’équipe strasbourgeoise a semblé impuissante, incapable de se projeter vers l’avant, de percuter, de créer des occasions de but. Une sensation déjà perçue la semaine précédente contre Lens, qui avait alors battu le Racing 1 à 0.

Début septembre, à la toute fin du mercato estival (période où les clubs de football peuvent acheter et vendre des joueurs), le Racing a vendu son meilleur joueur, le milieu de terrain Jeanricner Bellegarde, au club de Wolverhampton. Morgan Sanson, prêté par Aston Villa, également très percutant au milieu, était parti quelques semaines plus tôt vers l’OGC Nice. En janvier 2023, le milieu offensif Adrien Thomasson s’était engagé au Racing club de Lens.

Plus de 25 000 personnes étaient présentes pour assister à la défaite contre Nantes. (Photo remise)Photo : Fédération des supporters du Racing club de Strasbourg / doc remis

Plus de 30 millions d’euros dépensés

En toute logique, les dirigeants du club alsacien auraient dû profiter du mercato pour recruter des milieux de terrain. Mais le Racing club de Strasbourg (RCSA) a été racheté par le groupe américain BlueCo, déjà propriétaire du Chelsea Football club. L’objectif de cette manœuvre était selon Marc Keller, président du RCSA, d’augmenter la puissance financière du club afin d’être capable de jouer le haut du classement en Ligue 1.

Sauf que malgré les 36 millions d’euros dépensés par BlueCo, aucun accord avec un nouveau milieu de terrain en capacité de mener le jeu n’a été trouvé. Les attaquants Emmanuel Emegha, Dilane Bakwa et Angelo Gabriel, les défenseurs Junior Mwanga et Abakar Sylla… Tous sont des footballeurs prometteurs âgés de 20 ans. Mais pour façonner une équipe solide, BlueCo devait aussi chercher des joueurs expérimentés, d’autant plus depuis les départs de Habib Diallo et Alexander Djiku cet été. Seule nouvelle tête au milieu : Jessy Deminguet, 25 ans, mais l’accord avec Caen, son ancien club, avait été finalisé en février 2023, avant l’arrivée de BlueCo.

Le Racing club de Strasbourg est 11e du classement de Ligue 1 début octobre, un résultat qui s’explique en grande partie grâce à des victoires engrangées lorsque Jeanricner Bellegarde était encore présent. On voit mal désormais comment les bleus et blancs peuvent se ressaisir, à moins de changer radicalement d’organisation sur le terrain. Ou d’attendre le mercato hivernal en janvier.

Les supporters interrogent le projet du club. Photo : remise

« Nous avons décidé de travailler sur l’avenir »

Loïc Désiré, responsable recrutement du Racing depuis 2016, décrit à Rue89 Strasbourg la logique derrière le mercato estival :

« Nous avions la saison passée une moyenne d’âge assez élevée, 28 ans et demi, avec une équipe en fin de cycle. Il faut reconstruire et nous avons décidé de travailler sur l’avenir, en recrutant des jeunes joueurs à fort potentiel. Il faut simplement leur laisser du temps, et laisser aussi le temps aux plus anciens de devenir des leaders. Djiku, par exemple, l’est véritablement devenu la saison dernière. […]

Nous devons progresser dans le contenu c’est vrai, et nous le ferons. Il faut que tout se mette en place. Rien ne se fait en un jour, le Racing est bien placé pour le savoir, lui qui, il y a onze ans seulement, était encore en CFA 2 (cinquième division, aujourd’hui appelé National 3, NDLR). Il faut beaucoup de travail, de la confiance et un peu de patience. »

Les associations de supporters opposées à la multipropriété

Mais chez les supporters strasbourgeois chevronnés, l’expérience de changements de propriétaires qui ont nui au Racing crée une grande méfiance. « Effectif rajeuni, expérience appauvrie : quel est le projet ? », interrogeait le groupe de supporters des Ultra Boys 90 (UB 90) sur une banderole lors du match contre Nantes, constatant l’impuissance des joueurs strasbourgeois. Dès juin, les Ultras distribuaient un tract hostile au rachat du club par BlueCo :

« Il n’est pas imaginable que le Racing devienne une sorte de sous-club ou filiale, dépendant d’un autre club. […] Lorsqu’un club est racheté par un propriétaire de club plus “huppé”, les moyens sont investis dans le grand club et le sous-club ne ramasse que les miettes, ou des joueurs de seconde zone. Prenez l’exemple de Troyes, qui appartient à City Group (également propriétaire de Manchester City, NDLR) : une franche réussite, aux dépens de Troyes… »

Le club de Troyes, racheté en 2020, est descendu en Ligue 2 pour la saison 2023-2024, alors que Manchester City a été sacré champion d’Europe en juin. Des joueurs remplaçants à Manchester viennent évoluer sous les couleurs de Troyes. Les supporters troyens considèrent que les décisions prises par le nouveau propriétaire sont responsables de la descente de leur équipe. Du côté de Strasbourg, toutes ces jeunes recrues jouent-elles à la Meinau simplement pour se former avant d’aller jouer à Chelsea plus tard ? Si c’était le cas, BlueCo ne s’y prendrait pas autrement.

Les UB 90, comme de nombreux ultras, sont opposés au modèle de la multipropriété. (Photo remise)Photo : document remis

Le Racing est-il un vivier de joueurs pour Chelsea ?

La fédération des supporters craint que le RCSA n’ait plus de projet sportif indépendant et fasse des choix sportifs incohérents à cause du modèle de la multipropriété. « Le Racing doit suivre sa propre ambition sportive. Ce n’est pas un centre de recyclage qui nourrit l’ambition d’un autre club. » Ces mots ont été prononcés par Philippe Wolff, président de la Fédération des supporters interrogé par Rue89 Strasbourg début juin.

Le modèle de la multipropriété prend de l’ampleur en France : huit clubs, dont Strasbourg, appartiennent à des groupes qui possèdent au minimum deux clubs en cette saison 2023-2024. Interviewé par So Foot fin juin, Loïc Ravenel, chercheur au Centre international d’études du sport (CIES), analyse quelles sont les raisons qui poussent des investisseurs à s’établir en France :

« Il y a beaucoup de formation de joueurs. C’est une manière d’accéder à un important vivier de footballeurs dans un pays où les clubs sont assez sûrs, au sens où il y a du contrôle en France (une commission indépendante est chargée de surveiller les comptes des clubs, NDLR), les clubs font moins faillite qu’ailleurs. Est-ce que les propriétaires américains ne voient pas la Ligue 1 comme une ligue mineure ? Est-ce que ce n’est pas une solution pour eux d’avoir des clubs satellites pour faire jouer leurs joueurs prometteurs et les récupérer après dans une ligue majeure qu’est la Premier League ? »

Les supporters de Nantes ont soutenu les Strasbourgeois avec une banderole dénonçant la multipropriété le 6 octobre au stade de la Meinau. Photo : remise

Une lettre ouverte destinée à Marc Keller

De nombreux clubs de basket aux Etats-Unis fonctionnent ainsi. Les supporters alsaciens avertis ont bien compris cela. À chaque match, les ultras strasbourgeois déploient des banderoles opposées au modèle de la multipropriété. Dans la tribune des supporters de l’équipe visiteuse également, les Nantais ont arboré une banderole en soutien aux Strasbourgeois le 6 octobre. « La multipropriété est un fléau qui finira par tuer les clubs et leur identité. »

La Fédération des supporters du Racing a publié une lettre ouverte destinée au président Marc Keller mardi 10 octobre. Elle s’inquiète de voir le club alsacien devenir « un centre de post-formation et une pièce secondaire d’un business global ». Les fans demandent des éléments concrets et rassurants et disent être toujours dans l’attente d’une rencontre avec BlueCo.


#Racing Club de Strasbourg Alsace

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