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Les recommandations en ligne provoquent des tensions dans l’accès aux gynécologues

Le mouvement #balancetongyneco et les sites de recommandation déstabilisent et divisent les gynécologues. À Strasbourg, il faut attendre plus de quatre mois pour un rendez-vous chez un soignant bien noté. Un effort que sont prêtes à faire de plus en plus de patientes pour que leur consultation et leur suivi se déroule bien. 

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Les recommandations en ligne provoquent des tensions dans l’accès aux gynécologues

« Aujourd’hui, pour débuter un suivi gynécologique, je dois choisir entre avoir un rendez-vous rapidement et risquer d’avoir une mauvaise surprise, ou chercher quelqu’un de sûr, mais devoir attendre des mois », résume Léanne, 25 ans. Depuis quelques années, les recommandations en ligne pour les médecins, et particulièrement les gynécologues, se sont multipliées. Elles prennent la forme d’avis sur Google ou de recensement sur des sites comme Gyn&Co – un blog participatif sur lequel des patientes recensent les gynécologues et les sages-femmes qu’elles jugent bienveillants. 

Le nombre de gynécologues chute depuis plusieurs années : en 2018, le conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) constatait qu’il n’y avait plus que 1 054 gynécologues médicaux en exercice en France, 82 de moins qu’en 2017 et 891 de moins qu’en 2007 !

« Strasbourg a longtemps été préservé de cette situation tendue, car plusieurs cabinets ont été créés dans les années 80 et accueillent aujourd’hui de nouveaux praticiens qui ne veulent pas s’installer seuls. De plus, la ville est riche et attractive. Mais l’accès au soin se fait de plus en plus difficilement, car toute une génération de gynécologues commence à partir à la retraite. À cela, on peut ajouter le fait que la profession n’attire plus autant les jeunes qu’avant. »

Dr Frédéric Labouz, Gynécologue obstétricien à Strasbourg

Des délais 4 fois plus longs pour les soignants bien notés

En outre, des différences sont apparues dans les délais de consultation entre les soignants bien notés et ceux qui n’ont pas les faveurs des sites de recommandation. En comparant des disponibilités sur Doctolib, ces différences atteignent plusieurs mois ! Ainsi, sur les 13 soignants au centre-ville de Strasbourg recensés comme bienveillants par le site Gyn&Co, le délai pour un premier rendez-vous de suivi gynécologique est de deux mois chez l’une, de cinq mois chez un autre et jusqu’à 10 mois pour un troisième ! En comparaison, au moins dix gynécologues strasbourgeois non recensés sur Gyn&Co ont des disponibilités dans le mois. 

« Attendre, c’est le prix à payer pour avoir un gynéco “sûr” pour son suivi. Après, un problème peut se poser lors de situations d’urgence. Personnellement, j’ai des ovaires polykystiques et on me soupçonne une endométriose. Quand j’ai besoin d’être auscultée rapidement, ce qui m’est arrivé quand j’ai eu mes règles plusieurs semaines d’affilée, je sais que ma gynécologue libère quelques moments dans son emploi du temps pour les impératifs. Sinon, je suis déjà allée aux urgences de l’hôpital qui ont aussi pu m’aider de manière ponctuelle. »

Anne, 23 ans, étudiante.

Une organisation et des délais qui n’ont pas refroidi Juliette, 22 ans, quand elle a voulu changer de gynécologue après une mauvaise expérience, lors de son arrivée à Strasbourg. Alors âgée de 18 ans et venant de d’emménager pour ses études, elle s’est cherché un nouveau médecin pour un nouveau moyen de contraception :

« J’ai commencé à prendre la pilule deux mois et j’ai rapidement su que ça ne me convenait vraiment pas. J’ai eu beaucoup d’effets secondaires : mon caractère a énormément changé, j’ai commencé à être très agressive, j’avais des boutons, parfois, j’avais la tête qui tournait… »

Juliette s’est fait poser son stérilet il y a trois ans et demi. Depuis, elle ressent de l’appréhension avant ses examens gynécologiques. Photo : ACC / Rue89 Strasbourg / cc

Des patientes ne se sentent pas toujours écoutées

Juliette pense alors au stérilet en cuivre, qu’elle avait déjà envisagé avant de tester la pilule. Après discussion avec sa nouvelle gynécologue, elles en arrivent à la même conclusion : « Je n’avais pas de contre indications, ni maux de ventre ou flux important. C’était la meilleure chose pour moi ». Mais le jour de la pose, c’est un autre gynécologue du cabinet qui la reçoit, car sa soignante est alors retenue à l’hôpital. Dès le début du rendez-vous, il s’oppose à la pose de son stérilet :

« Il a tout de suite commencé à me dire que ce n’était pas normal de se faire poser un stérilet à 19 ans. Je lui ai expliqué que je ne supportais pas la pilule, je lui ai fait la liste de mes effets secondaires et il m’a répondu que ça ne suffisait pas. Voyant que je ne changeais pas d’avis, il me l’a mis de manière un peu brutale et j’ai eu très mal. À ce moment, il m’a regardé dans les yeux en déclarant : c’est le prix à payer quand on veut un stérilet alors qu’on a jamais eu d’enfants. »

La consultation se termine avec des recommandations que Juliette réfute : « Il m’a dit que je ne pouvais plus avoir de rapports pendant mes règles, ni mettre de tampons. Par la suite, j’ai découvert que c’était faux. » 

« J’ai vécu la pose de mon stérilet comme un traumatisme »

Après ce rendez-vous, que Juliette a vécu comme une violence gynécologique, elle décide de ne plus retourner au cabinet. Elle intègre un cabinet de sages-femmes dont elle est aujourd’hui très heureuse : 

« Le rendez-vous dure 30 minutes au lieu de 15, on discute plus et j’ai du temps pour me mettre à l’aise. Elles m’expliquent chacun de leurs gestes, attendent de savoir quand je suis prête. Tout se passe extrêmement bien, mais malgré ça, j’appréhende aujourd’hui les auscultations, alors qu’avant, je n’avais aucun problème. J’ai compris que j’avais vécu la pose de mon stérilet comme un traumatisme. »

Émeline Ludmann est l’une des trois sages-femmes qui suivent Juliette. Formée à Strasbourg, elle a rejoint le cabinet à la fin de ses études, en 2018. Elle confirme qu’elle reçoit couramment des jeunes femmes qui ont vécu de mauvaises expériences. « Environ une fois par semaine, nous recevons une jeune femme dans ce cas, qui n’a parfois plus consulté depuis longtemps, car elle a développé une peur de l’examen gynécologique », déplore-t-elle.

Émeline Ludmann a été évalué avec 4,9 étoiles sur 5 sur Google. Son cabinet, qu’elle partage avec Walter Laura et Woelffel Aline, est référencé sur Gyn&Co. Photo : Document remis

Les femmes s’investissent davantage dans leur suivi gynécologique

La sage-femme a observé des allongements de délais de prise de rendez-vous pour tout le cabinet. Trois ans auparavant, elle pouvaient proposer un rendez-vous en quinze jours, il faut 8 à 9 semaines actuellement. Un résultat, d’après elle, de leur bonne réputation :  

« En discutant avec nos patientes, on se rend compte qu’elles s’investissent de plus en plus dans leurs soins. La parole s’est beaucoup libérée autour des violences gynécologiques, notamment grâce aux réseaux sociaux. Il y en a qui pensaient être les seules à mal vivre certaines pratiques, et qui se rendent compte qu’elles sont effectivement problématiques. Elles se renseignent davantage, découvrent des sites de recommandation et viennent plus sereinement chez nous. C’est agréable en tant que soignante, car on voit que la bienveillance paie. »

« La gynécologie est devenue politique »

Une analyse que ne partage pas le docteur Jean-Louis Katz, gynécologue-obstétricien depuis 31 ans, qui travaille au cabinet de l’Association de gynécologues libéraux (Agyl). Il associe l’essor des sites de recommandations gynécologiques à une « pression médiatique et militante » :

« Je ne dis pas que les patientes ne doivent pas s’informer, mais l’utilisation d’internet a des effets très négatifs. Je suis de plus en plus confronté à des jeunes filles qui viennent avec une idée fixe, pensent savoir ce qui est le mieux pour elles et veulent presque tenir le stylo à ma place pour faire la prescription. Il faut aussi qu’elles sachent écouter un spécialiste. »

Un des sujets sur lequel il entre souvent en conflit avec ses jeunes patientes : la pose d’un stérilet en cuivre, une demande de plus en plus courante alors que ce dispositif de contraception est contre indiqué en cas de règles douloureuses ou abondantes et qu’il comporte des risques, notamment pour les femmes nullipares.

« Il n’y a plus de relation de confiance », déplore Jean-Louis Katz en pointant la responsabilité des réseaux sociaux et des avis en ligne. Jean-Louis Katz n’est pas référencé sur le site Gyn&Co – qu’il ne connaît pas – et a 3,4 étoiles sur 5 sur Google avec 34 avis, dont plusieurs très critiques. Le Dr Katz regrette :

« Maintenant, dès qu’on est en désaccord avec une patiente, il y a le risque qu’elle déverse sa colère sur internet et cela reste… Tandis que les patientes satisfaites n’ont pas le réflexe d’aller me noter. »

Le docteur Frédéric Labouz a une note de 3,9 étoiles sur 5 sur Google et n’est pas recensé sur Gin&Co Photo : ACC / Rue89 Strasbourg / cc

Autre gynécologue, le Dr Frédéric Labouz ajoute :

« On a beau avoir aussi de très bons commentaires, les gens ne vont retenir que le négatif. Je ne sais parfois même pas à quoi font référence certains de mes avis sur Google. Ce n’est pas représentatif. »

Les syndicats professionnels demandent de plus en plus fréquemment aux gynécologues de recourir à une assurance pour préserver leur réputation numérique. Un service qui entame ensuite les démarches pour supprimer les commentaires auprès des plateformes notamment en cas de propos diffamatoires ou de cyberharcèlement.

En quelques années, ces deux gynécologues ont l’impression que leur métier a changé. Jean-Louis Katz se sent victime d’un acharnement politique et médiatique : 

« Si on a choisi ce métier, c’est qu’on veut agir pour le bien des femmes. Je trouve très violents des mouvements comme #balancetongyneco. Les violences gynécologiques existent, mais elles sont rares et dues à un manque de temps, parfois de tact, pas à de la malveillance. »

Depuis le mouvement #balancetongyneco, de nombreux comptes Instagram et sites recueillent des témoignages d’agressions lors d’auscultation. C’est le cas du site Balancetonporc qui comprend 454 témoignages dans sa rubrique « Milieu médical » ou encore Balance Ton Uterus qui est consacré aux VOG (Violences obstétricales et gynécologiques) et dont le compte Instagram est suivi par 76 000 personnes.

Les témoignages sont souvent complétés par des conseils, notamment sur la manière de porter plainte ou encore en saisissant le Défenseur des droits.


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