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Les recruteurs de donateurs, ces nouveaux missionnaires

La Croix-rouge, Amnesty International, Médecins du monde, tous ont recours aux recruteurs de donateurs, ces jeunes plantés partout en centre-ville, disposant toujours d’un bon argument pour arrêter les passants. Le métier est mal payé, demande d’avoir un moral d’acier et même un côté militant. On n’y fait pas de vieux os.

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Les recruteurs de donateurs, ces nouveaux missionnaires

Bertrand n'a fait aucun bulletin aujourd'hui, mais il reste très motivé par sa mission (Photo Nathalie Moga/ Rue89 Strasbourg)
Bertrand n’a fait aucun bulletin aujourd’hui, mais il reste très motivé par sa mission (Photo Nathalie Moga/ Rue89 Strasbourg)

Les « recruteurs de donateurs », ce sont ces personnes sympathiques et sociables, qui lancent des bonjours enjoués à tous les passants qui les croisent. À Strasbourg, ils sont souvent positionnés dans les zones de passage les plus importantes : rue des Grandes arcades et place de l’homme de fer. Par petits groupes, ils tentent des approches en arborant des t-shirts ou des k-way aux couleurs de l’ONG (organisation non gouvernementale) qu’ils défendent et qui les emploie au travers de sociétés prestataires spécialisées.

Car oui, les recruteurs donateurs sont des salariés. Ils ne font pas partie des militants des ONG. Payés 10 euros brut de l’heure, voire 12 ou 13 avec un peu d’ancienneté et de prise de responsabilités, ils travaillent par « missions » le plus souvent de cinq semaines et à temps complet.

100 bonjours par heure, 600 refus par jour, zéro RIB en poche 

Leurs horaires : 11h-19h, avec une pause déjeuner où ils mangent tous ensemble. Ils forment une équipe très soudée car si rester debout pendant 6 heures peut être épuisant, ils subissent surtout une usure psychologique, en raison des très nombreux refus qu’ils encaissent de la part des passants, trop pressés pour écouter leurs discours. Cent bonjours par heure, 600 refus par jour pour un résultat parfois nul.

Car le but du recruteur de donateurs, c’est de faire remplir un formulaire et de récupérer un relevé d’identité bancaire (RIB), qui apportera 10, 20, 30 euros (voire beaucoup plus) chaque mois, à une association ou une ONG. Quand la journée est mauvaise, continuer à converser avec les passants demande une motivation de soldat. Vincent, 25 ans, enchaîne les missions depuis cinq ans. Ils comprend que certaines personnes se sentent harcelées, mais n’en démord pas :

« Quand on me dit « je vous vois tous les jours », je réponds « et bien alors à demain ! » Les gens doivent se rendre compte que l’on ne fait pas ça pour les embêter, mais parce que c’est nécessaire, important. Je donne moi-même 80 euros par mois à diverses associations tellement j’en suis convaincu. Et pourtant ma situation est loin d’être stable. »

« Il ne faut pas être schizophrène »

C’est justement sur la motivation que les recruteurs de donateurs sont sélectionnés. Chez Cause à Effet, une des sociétés sur le marché de l’organisation de missions pour les associations, on tente de déceler un réel engagement. Yves Chevassus, dirigeant de l’entreprise, explique qu’il fait principalement un métier de ressources humaines :

« Notre boulot, c’est de détecter des convictions et une énergie. Si vous n’êtes pas convaincu de quelque chose, essayez-donc de me convaincre ! 80% des recruteurs sont donateurs eux-mêmes et détiennent une réelle culture sur les ONG, la politique et la société. Le recrutement optimal, c’est un recruteur avec un côté cool, déjà militant. Quelqu’un qui sait communiquer et produire un argumentaire contradictoire tout en restant sympathique. Ceux qui n’y croient pas abandonnent très rapidement. »

Cet ancien d’ONG Conseil, le numéro un dans le domaine, se défend de faire du management commercial :

« Chez Cause à Effet, il n’y a pas de pression, d’impératifs de productivité. Ce job est une sorte de compromis entre capitalisme et militantisme. Même très engagés, ces personnes doivent vivre. C’est normal qu’ils soient payés. Ils travaillent 35 heures par semaine, et le travail n’est vraiment pas facile. Il doit bien y avoir la motivation du salaire derrière. Après, il y a bien plus confortable, cela reste très instable. D’ailleurs, s’il y a des coupes budgétaires à faire, nous serions les premiers a être évincés. »

Pour « 1 euro investi, 7€ gagnés » ?

Mais les craintes d’Yves Chevassus n’ont pas lieu d’être car le recrutement de donateurs serait rentable pour les ONG. C’est en tout cas ce qu’affirme Jimmy, en mission à Strasbourg avec Cause à Effet. Selon lui, il y a trois moyens pour les ONG de recruter des donateurs. Son action serait la plus efficace des trois :

« Il y a d’abord le courrier postal, pour 1 euro d’investi l’ONG reçoit 2 euros en retour. Un coup de téléphone, c’est plus cher, ils sont passés par des salariés, mais pour 1 euro investi c’est 3 euros en retour. Nous sommes ceux qui rapportons le plus, pour 1 euros investi, c’est 7 euros en retour. »

Des ratios qui n’ont pas été confirmés par les ONG contactées. Yves Chevassus lui-même ne s’aventure pas sur le terrain de la rentabilité. Il rappelle qu’une fois le prélèvement établi entre le donateur et l’ONG, il faut en moyenne une année pour qu’elle récupère son investissement.

Pour Jimmy, s’impliquer dans une cause humanitaire est simple :

« Nous ne sommes pas là pour juger les gens ou les mettre face à leurs habitudes de consommation. Je ne vais jamais dire à quelqu’un qu’au lieu d’acheter cinq paquets de cigarettes, il pourrait en acheter quatre seulement et donner la somme économisée à des causes humanitaires. Aider les ONG à agir c’est facile, même depuis son canapé, il suffit de faire un don mensuel. Parfois, certains tentent de refaire le monde avec nous, prennent mal notre discours et sont franchement chronophages. Mais ils ont affaire à des professionnels de la contre-objection et il y a rarement un argument que l’on a pas entendu. »

Convaincre de donner, sans rien attendre en retour

Si la plupart des recruteurs de donateurs parlent d’une mission très humaine et gratifiante, avec de belles rencontres faites chaque jour, la remplir demande beaucoup d’endurance.  Cécilia, 28 ans, a effectué deux missions pour ONG Conseil. A la seconde mission, elle a décidé d’arrêter avant le terme de son contrat :

« J’en avais assez de demander de l’argent aux gens. Même lorsque l’on propose un flyer, on se fait envoyer balader, alors quand on demande un RIB, sans contrepartie matérielle à offrir, évidemment c’est très compliqué. Ce n’est pas habituel dans notre société de donner quelque chose sans rien attendre en retour. Il faut avoir un moral d’acier pour faire ces demandes, accepter un certain mépris et être à fond dans la séduction. Pour des personnes peu charismatiques, ça ne marche pas. »

Pire, le management des équipes peut être assez musclé selon Cécilia :

« Nous avions un briefing le matin et un debriefing le soir. C’était assez violent comme type de coaching. Pour nous motiver, on nous mettait face à ce qu’on appelle des boosters. Ce sont ces recruteurs de donateurs très efficaces et qui arrivent à faire signer des bulletins à 100 euros, ou qui en font signer 20 en une journée. Forcément, ils sont mieux payés que nous et ils nous mettent une certaine pression. Pour suivre, je faisais signer des bulletins à mes collègues, donc au final, évidemment nous étions tous donateurs mais pas tant par conviction. »

Malgré une certaine précarité, ce business n’est pas prêt de s’arrêter car les ONG y trouvent au moins deux avantages. D’abord, elles assurent une présence dans la rue, se rappellent au bon souvenir des passants et travaillent leur notoriété. De plus, le recruteur de donateurs sensibilise au moins aux causes défendues par les ONG. Mais surtout, certaines organisations comme Greenpeace ont été les premières en 2005 à s’inspirer du « crowdfunding », ce système qui vise à financer un projet grâce à de petits dons, mais très nombreux. Ainsi, elles n’hésitent pas à accepter des dons mensuels d’un euro, voire moins.

Aller plus loin

Sur Rue89 : Enquête sur le business des donateurs

Sur Chick’N’Touch : Job de la crise : recruteur de donateurs


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