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Avec les randonnées interculturelles, c’est marche et rêve !

Depuis fin 2019, des randonnées interculturelles et solidaires font marcher ensemble des réfugiés et des sportifs de tous horizons. Un bol d’air qui aide à s’échapper du quotidien, et à trouver de la force dans ces liens noués le long des sentiers vosgiens.

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Avec les randonnées interculturelles, c’est marche et rêve !

Tendue, la main offre à la ronde un pain à la pâte épaisse, il est fourré de pommes de terres un peu épicées. « C’est un bolani », explique Tareq qui l’a cuisiné la veille. Nous sommes à 800 mètres d’altitude sur le Rocher du Coucou, pas loin de Lièpvre. En surplomb de la plaine d’Alsace, on aperçoit le château du Frankenbourg. Le soleil tape et un plat afghan passe de main en main. 

Tareq a l’habitude de marcher le week-end. Comme Ali, Najib, Annick ou Brittany, il a rejoint un groupe de randonneurs sportifs et fait régulièrement des trajets costauds dans les Vosges : 20 km environ avec un rythme assez soutenu. 

La particularité ? La plupart des marcheurs sont des réfugiés. Ces randonnées interculturelles et solidaires ont été lancées en septembre 2019 par Brigitte Vialatte et ses amis. Cette Parisienne installée à Strasbourg depuis ses études souhaitait retrouver le plaisir de la marche et de la nature, tout en le partageant avec d’autres.

Les randonnées sont organisées presque tous les week-ends (Photo SW / Rue89 Strasbourg / cc).

Pour les demandeurs d’asiles, ou des réfugiés forcés de quitter leur pays et dont le quotidien est le plus souvent fait de galères et de contraintes administratives en tout genre, c’est un bol d’air encore plus précieux.

Du sport et du lien

Bien rodées, ces randonnées interculturelles sont désormais abritées sous le chapiteau d’une association qui a pris le nom de Tunaweza, « Nous pouvons » en Swahili, créée il y a un an par Thomas Chandesris et d’autres dont Brigitte : « Le projet est financé par la Diair (Délégation interministérielle à l’accueil et à l’intégration des réfugiés) et soutenu par la Ville de Strasbourg. Cela nous permet par exemple de payer une partie des billets de train. »

Les marches font en moyenne 20 kilomètres et les itinéraires sont choisis à 45 minutes de Strasbourg maximum (Photo SW/ Rue89 Strasbourg / cc).

Le Covid et les contraintes sanitaires ont un peu compliqué l’organisation : il faut faire deux groupes, un trajet de 20 km pour chacun et trouver un train qui rentre avant le couvre-feu. Et même lors des périodes où la règle des 10 kilomètres empêche d’atteindre les Vosges, pas question de mettre fin à ces escapades. Selon Brigitte, le lien social est ce que les randonneurs viennent chercher en premier : 

« C’est une manière de s’insérer plus facilement dans la société et dans la vie strasbourgeoise : beaucoup  d’infos s’échangent, mais des liens d’amitié se créent également. Il y a une très bonne ambiance et c’est cette chaleur humaine que viennent chercher les randonneurs et qui leur donne envie de revenir. »

Les randonnées sont ouvertes à tous et les nouveaux sont les bienvenus. On vient souvent par le bouche à oreille, entraîné par un ami, quelqu’un croisé en cours de français ou à la cité U. Se frotter à une diversité de cultures et d’expériences fait partie de l’attraction qui séduit aussi des Alsaciens de plus longue date. 

Langues du monde entier

Dans le petit groupe de marcheurs, ça discute ce matin en plusieurs langues : français bien sûr, mais aussi pachtoune, dari (persan afghan), turc, anglais et arabe. Des langues maternelles enrichies par ce qui a été appris dans les pays où les réfugiés ont parfois vécu des mois ou des années explique Brigitte : 

« On est immergé dans un bain de langues différentes, entre celui qui marche devant et celui qui marche derrière. Parfois une histoire commence dans une langue, se termine dans une autre et va être traduite dans une troisième pour que tous puisse comprendre. Les meilleurs souvenirs sont les éclats de rires partagés, souvent au delà de la langue. »

Un Bolani afghan à partager (Photo SW / Rue89 Strasbourg / cc).

Il y a un rire qu’on entend beaucoup, c’est celui d’Ali. Le jeune homme au crâne rasé et regard pétillant décrypte la formation des mots « meuf », « reum », « keum » à destination de Brittany, une jeune Américaine. En un an, l’étudiant afghan de 27 ans a déjà un niveau de français C1 et s’il maîtrise des tournures alambiquées, il aime beaucoup aussi partager la richesse des registres du français. Sa curiosité est comblée ici : 

« Chaque personne est comme un livre : elle parle de son pays, de la situation politique, de son expérience, des loisirs, ou de la langue. Ceci n’est pas un groupe typique, c’est un groupe qui nous apporte beaucoup de savoirs. »

Faire connaissance

Le voilà qui enchaîne avec Brittany en anglais sur les promesses du mandat de Joe Biden. Cette jeune Californienne de Berkeley a pris un poste d’assistante de langues dans un lycée strasbourgeois, au moment du deuxième confinement. Pas le contexte idéal pour faire des connaissances. Elle a donc apprécié d’entendre parler de ce groupe par Ali, son voisin à la cité U, et en est à sa quatrième rando. 

Najib, 25 ans, fait partie des randonneurs des débuts (Photo Stéphanie Wenger/ Rue89 Strasbourg / cc).

Obtenir le statut de réfugié n’implique pas la stabilité : après avoir été envoyé par l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration), de Paris à Strasbourg, Najib avait bien trouvé sa place : ses cours de français, des amis et une copine.

Mais faute de revenus suffisants, il a dû quitter sa coloc. On lui a attribué depuis quelques mois un logement à Altkirch, à 140 km au sud. Le jeune réfugié afghan de 25 ans est venu marcher ce dimanche, histoire de retrouver le groupe. Pour lui, c’est aussi un moyen d’améliorer son français. Indispensable s’il veut décrocher un contrat de mécanicien, lui a dit l’assistant social. « Ma copine m’aide aussi », glisse Najib avec un sourire. 

Entraide et bons plans

Il détaille son périple qui a duré un an : l’Afghanistan puis l’Iran, la Turquie, la Bulgarie, la Serbie, la Croatie, la Bosnie, la Slovénie, l’Italie et… la France, où il est arrivé en 2018. Il est l’un des premiers à avoir rejoint les randonnées interculturelles et ne rate presque aucune excursion. 

« J’apprécie de rencontrer du monde, de découvrir les paysages : les arbres, les petits villages. J’aime bien envoyer des photos des randonnées à ma famille. Ils sont surtout contents que je sois en bonne santé et qu’il ne me soit rien arrivé. »

Najib, réfugié afghan de 25 ans, est l’un des premiers à avoir rejoint les randonnées interculturelles.
Une pause avec vue et un point sur l’itinéraire (Photo SW / Rue89 Strasbourg / cc).

Daoud marche d’un bon pas. Il raconte les sommets du Tchad, qui culminent à plus de 3 000 mètres et parle de N’djamena, la capitale, qui est comme Paris, Lyon ou Marseille, organisée en arrondissements. Il a découvert l’activité par un ami, juste après le premier confinement, et est devenu un habitué. Il apprécie bien sûr l’activité sportive, les échanges, mais aussi l’entraide qui règne entre les randonneurs. 

« On m’a indiqué une adresse pour des cours de français, ou encore un centre où j’ai suivi une formation en informatique. Des amis de la rando m’ont expliqué aussi où faire mes inscriptions à l’université, car avec le confinement, c’était très compliqué. »

Offrir des clés

Parfois ce sont des situations dramatiques que le groupe a permis de résoudre. Brigitte se souvient de ce jeune venu à une randonnée en hiver. Les paysages étaient magnifiques, les sapins couverts de neige. Au cours de la promenade le garçon raconte qu’il dort dehors. Température extérieure à l’époque : -15°C. 

Le soir même, il dort chez un randonneur. Le lendemain, l’une d’eux lui trouve un hébergement d’urgence pour quelques jours. De fil en aiguille, et grâce aux échanges et aux contacts, il vit désormais en colocation. Brigitte reconnaît : 

« À nous tous, ensemble, nous avons beaucoup de ressources. On sait que beaucoup de clés ont été trouvées lors de ces randonnées. »  


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