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La Région Alsace critiquée pour avoir abandonné Iconoval

Iconoval était utile, pas si onéreux, en avance sur son temps et remplissait ses objectifs de soutien à l’économie numérique, selon la Chambre régionale des comptes qui se demande bien pourquoi la Région Alsace a brutalement mis fin en avril 2012 à cette association qu’elle a créée en 2004.

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La Région Alsace critiquée pour avoir abandonné Iconoval

Le logo d'Iconoval
Le logo d’Iconoval

La Région Alsace aurait-elle fait une boulette lorsqu’elle a mis fin à Iconoval en avril 2012 ? Cette structure s’attachait à accompagner le développement de la filière du numérique, essentiellement autour de l’image puis des industries créatives. Et, selon la Chambre régionale des comptes d’Alsace, elle faisait plutôt bien son boulot. Iconoval avait été créé en 2004 par l’ancien président du Conseil régional, Adrien Zeller, qui voyait dans les « clusters » (c’est ainsi qu’on nomme ce genre de structure) de bons leviers pour agir sur le développement économique.

Manque de chance, Philippe Richert, président du Conseil régional depuis 2010, pense exactement l’inverse. Pas de clusters, jugés trop figés et trop coûteux, mais des subventions ponctuelles et de plus en plus, des prises de participation aux investissements. Du coup, lorsque des divergences sont apparues entre l’administration de la Région et le directeur d’Iconoval, Philippe Richert n’a pas hésité à couper les ressources de l’association.

Dans son rapport (pdf), la Chambre régionale des comptes (CRC) revient sur la fin brutale d’Iconoval :

« Dans un premier temps, le conseil régional a donné l’assurance que les sommes nécessaires pour dissoudre l’association seraient versées. Or, la lettre adressée le 13 juillet 2012 par le président du conseil régional d’Alsace aux salariés d’Iconoval n’évoque plus que le recours à l’assurance garantie des salaires (AGS). Au conseil d’administration d’Iconoval tenu le 16 juillet 2012, la Région Alsace annonce qu’elle ne versera pas le solde de la subvention de fonctionnement à l’association, soit 345 000€. »

Des inimitiés de personnes plutôt que des bilans

À l’époque, le divorce est déjà consommé entre les équipes d’Iconoval et les responsables de la Région. La collectivité territoriale évoque des indemnités de licenciement trop élevées, notamment pour le directeur, Alain Tubiana, inacceptables pour une collectivité publique soumise à des restrictions budgétaires. Mais là encore, la CRC s’en étonne :

« Les responsables régionaux qui ont apporté leur appui à la création de l’association ne sont guère fondés à relever le caractère exorbitant des dispositions du statut des salariés d’Iconoval dont les termes auraient dû leur être connus. »

Les salariés d’Iconoval relevaient de la convention collective des organismes de développement économique. Un statut et des rémunérations normales pour la CRC, qui a ainsi établi les salaires moyens mensuels des salariés entre le 1er janvier 2009 et le 31 août 2012 :

  • « – le directeur général, recruté en juin 2004 par « l’association de développement des technologies de l’image en Alsace » : 6 200€,
  • – la directrice du développement audiovisuel et multimédia, recrutée en juillet 2005 : 3 150€,
  • – l’ingénieur d’affaires, recruté le 8 novembre 2004 : 3 300€,
  • – le responsable en intelligence économique, recruté en mars 2006 : 3 200€,
  • – l’assistante de direction, recrutée en juin 2004 : 1 950€,
  • – la chargée de mission, recrutée en janvier 2011 au titre du projet CLUE : 1 850€,
  • – l’assistante en intelligence économique, recrutée en contrat à durée déterminée en septembre 2011 : 1 150€. »

Au final, la CRC juge sévèrement la méthode choisie par le Conseil régional pour mettre fin aux activités d’Iconoval :

« La Chambre constate que le désengagement total des affaires d’Iconoval par la Région Alsace a généré de lourdes charges pour les partenaires économiques et sociaux de l’association, qui en subissent toujours les conséquences au début de l’année 2014. Elle observe également que si la décision est claire dans sa motivation de réaliser des économies, cette dernière n’est pas appuyée sur une appréciation de la performance et des résultats de l’association Iconoval. »

Pour la Chambre, de bons résultats sur la filière image et numérique

Ouch. Car c’est le deuxième point soulevé par la Chambre régionale des comptes. Iconoval produisait des résultats, et ce avec un budget inférieur à 10% de ce qui était prévu dans l’étude de faisabilité initiale :

  • « – 41 entreprises ont été créées, soit 48 % de taux de réalisation ;
  • – 250 emplois directs et 50 emplois indirects ont été créés, soit 14 % de taux de réalisation.

En enregistrant une dizaine de nouveaux membres chaque année, l’association est parvenue à structurer un réseau de 95 adhérents représentant plus de 1 600 emplois et 130 M€ de chiffre d’affaires. Iconoval a initié de nombreux projets collaboratifs dans un secteur où chaque compétence renforce la compétitivité et la créativité de toute la filière et développé des partenariats régionauxIconoval est en outre parvenue à rayonner sur le territoire national, présidant notamment l’association des pôles images français, entrant au conseil d’administration de France Clusters, étant répertoriée dans l’annuaire du ministère de l’industrie comme centre de compétences, et obtenant le label “grappe d’entreprises” de la DATAR (la Direction de l’aménagement des territoires et à l’attractivité régionale). »

Bon, c’est tout ? Non, ce n’est pas tout. La Chambre enfonce le clou jusque dans les annexes du rapport, où elle publie une synthèse de la réussite du pôle image Nord-Pas de Calais qui, lancé quatre ans après Iconoval, fédère 65 entreprises du numérique entre Roubaix et Tourcoing en cohérence totale avec un plan de développement de la filière piloté par Lille Métropole et la Région !

À l’heure où le gouvernement promeut les territoires qui ont su mettre en place une dynamique cohérente autour des industries numériques avec le label French Tech, l’occasion manquée d’avoir pris de l’avance en Alsace apparaît criante.

(chiffres fournis par la Région Alsace)
(chiffres fournis par la Région Alsace)

Pour la Région, Iconoval n’avait que « des résultats très contestables »

Pour la Région Alsace, les résultats d’Iconoval étaient « très contestables » et, en supprimant l’association, le Conseil régional a « économisé 418 000€ par an tout en renforçant l’efficacité des actions en faveur de la filière » (voir tableau ci-dessus). Les actions et les actifs d’Iconoval ont été répartis entre le Centre régional pour l’innovation et le transfert de technologie (CRITT) de Saint-Louis, dit Holo3 et l’Agence culturelle d’Alsace qui a « organisé en deux ans 115 réunions avec les acteurs de la filière image ».

Mais il est délicat de combattre les magistrats financiers avec des chiffres. La réplique de la CRC est cinglante :

« En 2012, Iconoval n’a perçu que 115 000€. Et les sommes relevant du Fonds européen de développement régional (Feder) et attribuées à Rhénatic, soit 75 000€ en 2012, doivent être retranchées du montant des aides régionales car elles sont seulement distribuées et non financées par la Région. Ces atténuations ayant été apportées, le total des subventions accordées par la Région Alsace dans le domaine des technologies de l’information s’élève à 3,484 millions d’euros en 2012, 3,486 en 2013 et 3,485 en 2014. Il résulte que l’objectif de moindre coût ayant en partie motivé la suppression d’Iconoval n’apparaît encore atteint ni en 2013, ni en 2014. »

Malgré les observations de la Région (pdf), la Chambre maintient dans son rapport définitif que « le travail d’animation économique mené par l’association pendant huit ans au moyen de 6,6 M€ de subventions publiques (dont 4,45 M€ de la Région) » a été perdu et que « le secteur de l’image en Alsace en est quasiment revenu à son état d’avant Iconoval »

Les anciens salariés sont amers. Alain Tubiana, l’ancien directeur aujourd’hui consultant, juge « évident que la Région Alsace n’a pas de stratégie économique ». Quant à Piotr Szychowiak, ancien ingénieur d’affaires, il note que « l’activité générée par Iconoval faisait rentrer 3,8 millions d’euros par an dans les caisses de l’État, soit 7 fois plus que les subventions… » Mais comme le note la Chambre régionale des comptes, la Région Alsace avait parfaitement « le droit de se désengager d’Iconoval », « même sans appuyer cette décision par une appréciation de performance ou de résultat ».

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