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J’ai testé pour vous la baignade à 8°C à la gravière du Blauelsand

Depuis décembre un petit groupe de baigneurs brave le froid pour se plonger dans l’eau d’une gravière de la forêt de la Roberstau. Reportage en immersion, réalisé sans trucage.

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J’ai testé pour vous la baignade à 8°C à la gravière du Blauelsand

Neuf heures du matin, un dimanche de mars. Il fait 1°C selon mon téléphone. D’habitude à cette heure-ci, je suis sous ma couette, mais là je patiente en maillot de bain, au bord d’un étang dans la forêt de la Robertsau, et je commence à avoir la chair de poule. Je ne suis pas seule, nous sommes une quinzaine, dans la même tenue. Hommes, femmes, tous les âges et tous les physiques, de trente à soixante-dix ans : un homme au cheveux blancs, forte carrure et un collier avec des dents d’animaux autour du cou, une jeune femme blonde plutôt frêle ou encore Sandra, 47 ans, dont c’est le premier bain et qui tente de glaner le maximum d’informations avant de se jeter à l’eau :

 « J’ai peur que mon cœur s’emballe quand je vais rentrer dans l’eau. Même si j’ai pris l’habitude de finir mes douches à l’eau froide. »

François, un habitué, est venu cette semaine. Il a mesuré la température de l’eau : 8°C. Il la rassure et lui donne quelques conseils :

« Je me mets en maillot et je reste un peu dehors pour habituer mon corps au froid, en respirant normalement. Je rentre d’abord dans l’eau jusqu’à mi-corps, puis lorsque je me baisse pour immerger les épaules, je prends une grande expiration. »

Au Blauelsand, un baigneur et un cerisier en fleurs. Température de l’air : 1° C, température de l’eau : 8° C (photo SW / Rue 89 Strasbourg / cc).

L’ambiance est conviviale :  chacun parle de sa première fois et on partage un peu nos appréhensions du début et nos états de service. Certains viennent toutes les semaines. Pour moi, c’est la deuxième fois, j’ai longtemps hésité avant d’y retourner. 

« Prépare-toi à sortir de ta zone de confort »

La première fois c’était fin janvier, même température mais il avait neigé les semaines d’avant. Je m’étais laissée emmener par une amie, qui m’avait juste dit de la suivre, avec comme seule consigne de revêtir un maillot. 

« Prépare-toi à sortir de ta zone de confort », disait sobrement son texto. Je pensais qu’elle m’emmenait dans un spa ou à une séance d’aquabike, pas à  ce genre d’épreuve extrême. Sur place, poussée par la curiosité et la volonté de connaître mes capacités de résistance au froid, portée aussi par l’élan collectif – et parce que je gelais de toute façon et que l’eau était plus chaude que l’air – j’avais suivi le mouvement. Ce matin, me voilà de retour, et finalement bien décidée à me re-baigner, malgré le peu d’entrain que j’ai ressenti pendant la semaine. 

Derrière nous, la buvette où l’été les baigneurs de cette gravière naturiste font la queue pour acheter leur bière. Deux saisons, deux ambiances.  Soudain, le soleil émerge de derrière un nuage, lui aussi a dû avoir du mal à se lever même si nous sommes le premier jour du printemps. Les rayons UV réchauffent immédiatement les corps un peu figés par le froid et donnent du courage. 

« On y va ensemble ? On forme un cercle dans l’eau », lance François. Cette fois-ci j’ai chaussé des claquettes car je me souviens de la sensation terrible de la terre gelée sous les pieds.

Les baigneurs forment un cercle (photo SW / Rue 89 Strasbourg / cc).

On rentre tous, doucement, le froid pince et brûle à la fois, j’avance jusqu’à mi-corps, puis en soufflant, avec les autres, je m’immerge jusqu’aux épaules. Comme la dernière fois, je ressens d’abord comme un corset qui m’enserre brusquement. Je me concentre sur ma respiration pour atténuer le choc.

Le froid mord mes avant-bras, le reste de mon corps est moins touché. Je me mets à genoux pour plus de stabilité, d’autres s’asseyent. C’est parti pour 5 à 10 minutes, voire plus pour les très motivés. Oui c’est très froid, mais tout à fait surmontable, je n’ai pas l’impression que mon corps souffre.

« Le froid a été mon coach »

À l’initiative de ces rendez-vous débutés en décembre 2020, Damien Eissen, 40 ans. Cet ancien informaticien, fatigué du stress et des cadences qu’on lui imposait en entreprise a décidé de tout lâcher pour se former à la méthode Wim Hof. Le Néerlandais, également surnommé « Iceman », enseigne le contrôle de soi et le mieux-être physique par le froid extrême notamment. Sa méthode est aussi basée sur la méditation et la respiration. 

Aujourd’hui, l’Alsacien est instructeur et organise des ateliers de plongeon dans l’eau glacée. On parle-là de lacs de montagne dans les Vosges, dont on brise la glace pour s’y plonger dans une eau à 1°C. À côté, le Blauelsand fait figure de jacuzzi :

« Le froid a été mon coach, si face à lui on a des pensées négatives, si on pense que cela ne va pas alors cela devient une souffrance. »

Une attitude que Damien Eissen invite à adopter face à tout environnement agressif. Cela fait plusieurs fois que le barbu athlétique ne vient pas le dimanche matin, mais la dynamique est lancée selon lui.

« J’avais envie que cela se fasse tout seul, que ce rendez vous prenne et que les gens poursuivent en autonomie. Ce qu’il faut, c’est être dans une démarche active pour se prendre en main. J’ai été rejoint par des profils très variés, il y a de grands sportifs et d’autres personnes qui ont moins l’habitude de travailler sur leur corps. »

Soyons clairs : je me situe dans la deuxième catégorie, plutôt du genre frileuse et assez hermétique à ces idées de dépassement de soi, de puissance de l’individu sur son environnement. La méditation, ce n’est pas pour moi. Pire, je suis d’une intolérance bornée face au développement personnel.  Pour moi comme pour d’autres peu versés dans ces approches, les confinements, couvre-feux, restrictions et recommandations ont peut-être contribué au succès de ces rendez-vous. 

Ce même week-end, Damien Eissen est au lac du corbeau dans les Vosges avec d’autres baigneurs (document remis).

Froid extrême et stress intense

Les occasions de sortir, de voir d’autres personnes sont devenues rares. Il y a aussi l’incertitude, le stress, les limites qui se multiplient et qu’il faut bien accepter, les heures passées en télétravail. La capacité à ne pas se laisser submerger par un environnement hostile, que ce soit le grand froid ou un stress intense, à voir que finalement on résiste, sont parmi les bénéfices évoqués.  

François, 49 ans, fait partie du groupe de départ. C’est d’ailleurs lui qui a conseillé à Damien Essen, dont il a suivi plusieurs stages, de mettre le cap sur le Blauelsand, « où la température reste assez constante, en raison de la proximité de la nappe phréatique ». Il était un adepte de la douche froide avant de s’intéresser de plus près à la méthode Wim Hof. Tout l’hiver, il vient se baigner à la gravière deux fois par semaine, un bain à portée de tous selon lui :

« Il y a des personnes qui viennent pour la première fois, qui ne sont pas du tout là-dedans, qui n’ont jamais pris une douche froide de leur vie. De les voir sortir en souriant, et revenir par la suite, ça me fait très plaisir. »

Une baignade sous la neige cet hiver au Blauelsand Photo : document remis.

La thérapie par le froid permettrait une récupération musculaire plus rapide ou un traitement de la douleur. Elle est mise en pratique dans le sport de haut niveau pour ces vertus. Parmi les participants réguliers, certains évoquent aussi moins de maladies chroniques hivernales, un « boost » des défenses immunitaires mais sans certitude scientifique.

Huit minutes

Retour dans l’eau : cela fait 3 minutes en tout et je tiens bon. À ma gauche, Sandra a l’air concentrée et sereine et les autres aussi. Je sais qu’il ne vaut mieux pas bouger, sinon on risque de ramener vers soi de l’eau, plus froide que celle qui nous entoure et que notre température corporelle a un peu réchauffée. Enfin, « je sais » : c’est ce qu’on m’a dit la dernière fois et je n’ai pas envie de tester.

Au bout de 5 minutes, les premiers commencent à rejoindre la berge. « C’est bien ! », « super », encouragent ceux qui restent. Cette fois-ci, je tiens 8 minutes. Mes doigts et mes orteils me brûlent et quand la sensation atteint mes fesses, je décide de sortir. Je pense à François qui prévenait : « Il ne faut pas forcer, si on reste trop longtemps, on mettra des heures à se réchauffer. »

Damien Eissen lors d’une bainade cet hiver au Blauelsand (document remis).

Sandra fait quelques pas autour du lac pour récupérer, elle semble très satisfaite : 

« J’avais une grande appréhension pour mon cœur, en fait je me suis rendu compte qu’il était costaud. J’ai retrouvé ma respiration en peu de temps. J’ai vraiment été saisie par le froid, mais je pensais que ce serait bien pire, c’est très supportable en fait : mon corps s’est acclimaté, il a bien encaissé. »

Mon cœur non plus ne s’est pas emballé. Mais ma peau est grêlée de chair de poule et surtout cramoisie. Je profite « un peu » du soleil en me séchant avant de me rhabiller. Comme la dernière fois, je suis surprise et assez fière d’avoir tenu. Je me sens apaisée.

Je sirote un thé vert bien chaud qui sort d’un thermos. Les plus résistants ont tenu 15 à 20 minutes. Et tout le monde a droit au délicieux pain d’épices maison que partage l’une des participantes. Je me sens prête à revenir… Mais plutôt dans un mois que dimanche prochain. 


#Robertsau

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