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Au quartier Gare, la SemenceRie risque d’être balayée par une auberge de jeunesse

Cette fois, c’est sûr. La construction d’une auberge de jeunesse au bout de la rue du Ban-de-la-Roche dans le quartier Laiterie pourrait signifier la fin du collectif d’artistes de la Semencerie. Lors d’une réunion publique lundi soir, les détails de ce projet immobilier ont été dévoilés, dans une ambiance de franche opposition.

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Au quartier Gare, la SemenceRie risque d’être balayée par une auberge de jeunesse

Ambiance électrique lundi soir dans le salon de l’Espace K. À partir de 20h, une cinquantaine d’habitants du quartier Gare étaient réunis pour découvrir un projet d’auberge de jeunesse et de résidences, devant remplacer le hangar occupé par les artistes de la SemenceRie et le City Stade, à l’angle de la rue du Ban-de-la-Roche et de la rue de Rothau.

Le projet immobilier est apporté par Melt Hotel, une jeune entreprise prétendant réinventer la manière d’héberger les gens de passage. La société dispose de deux hôtels à Bordeaux et Lille et prévoit d’en ouvrir deux autres à Paris et Montpellier. Alban Ruggiero, le directeur de Melt Hotel, a fait le déplacement pour présenter le projet de Strasbourg : une auberge de jeunesse le long de la rue de Rothau, accolée à des logements en copropriété et à une résidence étudiante. Au centre de ces trois bâtiments, une « halle » doit permettre de proposer des espaces communs, de restauration et de vie sociale. Cogedim a été choisi pour construire l’ensemble.

Franche opposition

C'est peu dire que le projet de Melt Hotel et de Cogedim a été mal reçu par les habitants du quartier Laiterie réunis lundi soir. Évoquant des petits-déjeuners en rooftop, des logements en "co-living", des "happy coloc" ou encore l'installation d'une "food court" pour accueillir un incubateur de restaurants, les porteurs du projet n'ont pas rassuré les habitants qui y voient une invasion bourgeoise. Tout autour de l'espace concerné, des logements sociaux abritent certaines des familles aux revenus les plus modestes de Strasbourg.

Ancien habitant du quartier Laiterie, Antoine Hoffmann, artiste et éducateur de rue, n'a pas caché son aversion pour le projet :

"C'est une attaque contre le quartier. Vous allez arriver avec votre beau projet consumériste dans un environnement où les gens se battent contre les toxicos et les rats. Les loyers vont augmenter et les gens d'ici vont devoir être repoussés ailleurs."

À 71 ans, Gérard Heitz aimerait pouvoir prendre sa retraite, il devient donc urgent de vendre l'entrepôt de la SemenceRie Photo : PF / Rue89 Strasbourg / cc

Vivement applaudie par l'assistance, une autre éducatrice de rue fustige la salle commune ouverte sur le quartier proposée par Melt, qu'elle qualifie de "carotte". Emmanuelle, artiste-imprimeuse, est plus précise :

"Vous proposez que les habitants abandonnent un espace ouvert et accessible en permanence gratuitement pour un espace fermé, qu'il faudra réserver à l'avance et probablement payant. Ben non en fait."

De fait, les accotements et le city stade, même s'ils sont peu reluisants, sont utilisés par les jeunes et les habitants du quartier comme une sorte de mini-place partagée, pour des barbecues et des remake de coupe d'Afrique des nations à quatre contre quatre. Les jeunes étaient présents lundi soir, pour défendre cette bande de terre. Ils ont récolté 300 signatures affirment-ils et plus de 200 en ligne.

La SemenceRie héberge des dizaines d'artistes permanents et des résidences temporaires Photo : Laura Sifi / doc remis

L'autre opposition au projet de Melt Hotel provient des artistes de la SemenceRie. Depuis 2007, cet ancien entrepôt des Semences Nungesser est occupé par une trentaine d'artistes contre un loyer dérisoire, 420€ par mois pour 2 000 m². C'est l'un des co-gérant des Semences Nungesser, Roger Heitz, artiste contrarié lui-même qui a permis aux artistes de s'installer là.

Bien que Roger Heitz ait toujours évoqué une occupation "temporaire", cette situation a duré plus de 13 ans. Et la SemenceRie a grandi, plus de 300 artistes y ont fait leurs classes et nombreux sont ceux qui ont profité de cette aubaine économique pour se lancer. À l'instar de Gauthier Mesnil-Blanc, ancien graphiste devenu "machiniste" :

"J'ai opéré une reconversion sur le tard. Je suis venu à la SemenceRie il y a 5-6 ans avec le Giboul'off, puis j'y suis resté et maintenant je suis résident permanent. J'ai tout appris ici, grâce aux compétences des uns et des autres, en regardant faire et en testant moi-même... C'est un peu magique ici, parce qu'il y a beaucoup de disciplines et de techniques au même endroit. Plein de savoir-faire, de la bijouterie à l'électronique. C'est très précieux mais ça ne correspond à aucun modèle économique. C'est pourquoi cette émulation et ces possibilités de créations collectives n'existent nulle part ailleurs."

À l'intérieur de la SemenceRie lors du festival Selbst Gemacht Photo : PF / Rue89 Strasbourg / cc

Aujourd'hui, plusieurs structures de Strasbourg utilisent les compétences et les locaux de la Semencerie, comme le Pelpass Festival pour ses décors par exemple. Les artistes considèrent Roger Heitz comme un mécène. Mais lui, à 66 ans, aimerait bien désendetter son entreprise et partir à la retraite. Présent avec son frère co-gérant lundi soir, il n'a guère apprécié que les semenciers et les semencières s'érigent contre le projet de Melt Group :

"Les charges de ce bâtiment nous coûtent entre 23 et 27 000€ par an. Donc, en 13 ans, c'est plus de 300 000€ qu'on a donné aux artistes. Maintenant qu'on a enfin un acheteur, vous retournez votre veste ? Je constate que la reconnaissance n'existe pas."

"Tu ne mesures pas tout ce que tu as permis Roger", lui répond Joseph, un autre semencier. "Quand une ville essaie de créer un lieu comme ça, accueillant avec les habitants du quartier, pluri-disciplinaire, ça capote systématiquement. Il n'y a qu'à regarder à la Coop," embraye une autre semencière.

Le collectif d'artistes demande à la Ville de Strasbourg de préempter la vente de cet entrepôt construit en 1890, digne représentant du patrimoine industriel du XIXe siècle. Il est question d'une somme oscillant autour de 3 millions d'euros. Présente dans la salle, Marie-Dominique Dreyssé, conseillère municipale référente du quartier gare, a attendu le dernier moment pour s'exprimer :

"Nous héritons de ce projet, qui avait été préparé par l'ancienne municipalité. Je peux vous dire que la maire est attentive à l'évolution du quartier. Il est encore bien trop tôt pour se prononcer, nous en sommes au stade des discussions."

Des discussions qui auront au moins permis de comprendre que si la Ville veut que les artistes restent dans le quartier Laiterie, il est urgent qu'elle sorte le carnet de chèques...


#Quartier Laiterie

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