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Ballon d’Alsace, Kaysersberg, Ribeauvillé… Ces sites classés pourraient être moins protégés

Une consultation sur un projet de décret se termine. Il propose de transférer les autorisations de travaux dans les sites classés du ministère de l’Écologie aux préfets. Les opposants craignent un recul pour la protection de ces lieux. Dans le Grand Est, la liste de ces sites ne fonctionne pas.

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Ballon d'Alsace

Qui doit délivrer des autorisations de travaux dans les sites naturels classés de France ? Depuis une loi de 1906, confirmée en 1930, c’est le ministère de l’Environnement notamment via ses services en région, la Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (Dreal). Mais un projet de décret, dont la « consultation » est uniquement en ligne se termine ce jeudi 20 juin. Il propose de confier cette décision aux préfets dans les départements.

Quand il s’agit de travaux concernant un monument historique, l’autorisation relève alors du préfet de région. Les objectifs annoncés ? « Simplification » des démarches et réduction des délais d’instruction des demandes, en passant de 6 à 4 mois.

Craintes de pressions et facilités

Une partie des défenseurs de l’Environnement y voient un risque de pressions sur les préfets, par le biais des maires ou des entreprises. Ces sites naturels sont par exemple des emplacements de choix pour des hôtels ou une résidence secondaire.

La directrice du Réseau des Grands sites de France Soline Archambault s’inquiète au micro de France Inter d’un manque de cohérence d’un site à l’autre :

« Si ces autorisations sont déconcentrées au niveau préfectoral, il y a un risque de perdre une vision nationale de ce qui fait la qualité du patrimoine en France. »

Matinale de France Inter, lundi 17 juin

D’autres personnalités ont aussi alerté le gouvernement. « Les 101 préfets de département ne disposent en effet ni de la stabilité ni de l’expérience ou des moyens nécessaires pour conserver ces joyaux paysagers », expliquent-ils dans une tribune au JDD.

En creux, il pèse un soupçon de non-impartialité de l’État sur ces dossiers. Dans le Bas-Rhin, la gestion du cas de l’autoroute payante du Grand contournement ouest (GCO – voir nos articles) de Strasbourg a poussé quatre des principales associations environnementales, en charge de la protection des oiseaux, des mammifères, des amphibiens et Alsace Nature à ne plus assister aux commissions avec l’État. Au mois de juin, les associations sont revenus à la table sur les autres dossiers que le GCO, où elles réclament plus de transparence.

Dans le Grand Est, une liste… invisible

Quels sont précisément les sites concernés en Alsace ? Difficile de le savoir pour le grand public qui souhaiterait participer. Le site de la Direction régionale de l’environnement, de l’agriculture et du logement (Dreal) du Grand Est affiche… une page vide. Ainsi que sur un autre onglet, une carte miniature et illisible même en agrandissant l’écran.

fail dreal
La liste des 159 sites classés et 172 sites inscrits selon la Dreal Grand Est dans les derniers jours de la consultation sur le transfert de pouvoir de travaux (capture d’écran)

Contactée à 3 jours de la fin de la consultation, lundi 17 juin, la Dreal Grand Est n’a pas rectifié son site depuis. Elle nous a en revanche fait parvenir une carte globale où il faut cliquer sur l’onglet « sites et paysages » pour voir discerner les lieux concernés.

Sur les sites internet des 16 autres Dreal de France, une liste et des descriptions sont facilement consultables, sous différentes formes selon les régions (tableaux, photos, cartes…).

Nous avons retrouvé la carte lorsque les administrations répondaient encore au périmètre « Alsace », avant 2016. Y figurent le col de Saverne, les abords du château du Haut-Koenigsbourg, le rocher du Saut du Cerf à Ribeauvillé, le cimetière de Fouday, le rocher et la chapelle Saint Wolfgang à Kaysersberg, des places, des églises, des arbres remarquables… Soit 25 sites en tout. Mais deux tiers des 2 700 sites naturels classés (2% du territoire) ont été transférés aux préfets en 1988 lors d’une « première vague de déconcentration » selon la présentation du projet.

Les sites classés et inscrits en Alsace

sites classés
En violet, les sites classés en Alsace, avant le regroupement des régions en « Grand Est », en janvier 2016. Photo : Cliquez sur la carte pour agrandir

Un projet bien accueilli au Ballon d’Alsace

En Alsace, le site le plus important en taille, le seul dont l’étendue est supérieure à 25 hectares, est le Ballon d’Alsace avec ses 800 000 visiteurs par an. Dans le Grand Est, c’est le seul site à demander une labellisation « Grands sites » comme le Marais Poitevin, la Montagne Sainte-Victoire, les îles sanguinaires en Corse, le Puy de Dôme, le Pont du Gard, etc. Deux autres endroits sont en réflexion, le Mont Sainte-Odile et la Crête des Vosges.

L’actuel président du Syndicat mixte intercommunal du Ballon d’Alsace (Smiba, qui gère ce site) Florian Bouquet (LR), par ailleurs président du conseil départemental du Territoire de Belfort, voit plutôt ce projet d’un bon œil :

« Il est devenu si compliqué de faire des travaux sur les sites classés en France que les parlementaires ont voté des exceptions pour reconstruire Notre-Dame. Le préfet reste un représentant de l’État et de sa politique. Le projet de décret précise que pour les travaux d’ampleur, cela remonte au ministre. Les élus ne sont pas là pour piller des ressources naturelles, qui sont des atouts touristiques et marketing. Ministère ou préfecture, je n’ai pas de dogme, fédérer trois préfets, comme nous sommes sur trois départements (Territoire de Belfort, Vosges et Haut-Rhin) peut aussi avoir ses lourdeurs… Le petit risque, c’est plutôt si un maire est en porte-à-faux vis-à-vis de son préfet sur un autre sujet, et que cela devienne un blocage. Là, ça peut être bien d’avoir plus de recul avec un ministère. »

Son département est d’autant plus concerné qu’il vient d’acquérir cinq immeubles « vétustes », abandonnés par des anciens comités d’entreprises d’industries pour les vacances de ses salariés. « Le Tour de France va passer à 30 mètres de cette horreur », regrette l’élu de Châtenois-les-Forges, qui espère les retaper dans le but de leur redonner vie.

Ballon d'Alsace
Qui doit décider des travaux sur les sites classés ? (Photo Olive Titus / Flickr)

Même son de cloche pour Guy Miclo, maire (divers gauche) de Rougegoutte au pied du Ballon et président du Smiba entre 2008 et 2015 :

« Pour moi, plus il y a de proximité, mieux c’est. Les préfets, et j’en ai connu quelques uns, ne sont pas du genre à se laisser démonter par des élus. Quand les dossiers sont décidés loin du terrain, ce n’est pas très bon. »

Même si aucune opération n’a été bloquée, il garde le souvenir d’échanges compliqués avec le ministère :

« On a eu de grands travaux pour 14 millions d’euros pour une requalification totale du site et des modifications des pistes de ski. Pour chaque opération, il fallait soutenir un dossier devant la Dreal, avec parfois deux ou trois passages. À chaque fois, il faut revoir le dossier avec le constructeur, ce qui prend quelques mois. Pour un parking, l’enrobé n’avait pas été accepté, il avait fallu des dalles alvéolées qui laissent passer l’herbe. Une autre fois, il a fallu placer des plaques chauffantes sur tout une piste de ski et les laisser deux semaines pour attraper des lézards vivipares. Tout ça pour en attraper une quinzaine et les déplacer de 800 mètres, et pour 400 000 euros. »

À la veille de la clôture de la consultation, plus de 2 000 commentaires sont postés, en grande partie opposés au projet.

Pour rassurer les opposants, le ministère de l’Environnement a promis qu’il pourra toujours « s’auto-saisir » en cas de problème. Pas sûr que cela suffise à éteindre les débats.


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