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Sorcières, diableries et légendes : les histoires mystiques de Strasbourg

Prodiges et superstitions, anecdotes historiques et diableries : Strasbourg est à l’image de l’Alsace, pays de légendes, où se côtoient les récits les plus noirs et les mythes les plus féériques. Tour d’horizon de ces frissonnants récits.

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Sorcières, diableries et légendes : les histoires mystiques de Strasbourg

De nos jours, avec la circulation, le bruit, les pas de la foule arpentant la ville, difficile de pouvoir suffisamment tendre l’oreille pour entendre les pas fantomatiques des légions romaines à l’approche du quartier Finkwiller. Et pourtant, elles rôderaient toujours dans les parages. Impossible, également, lorsqu’on traverse le Pont du Corbeau ensoleillé au petit matin, d’imaginer qu’il était autrefois nommé « Pont des Supplices » et qu’on y pendait joyeusement les condamnés à mort et les coupables d’actes de sorcellerie.

Depuis les premières légendes de la Cathédrale jusqu’aux chasseurs de phénomènes paranormaux du XXIe siècle, tour d’horizon de ces petites histoires à raconter au coin du feu. Ou les pieds dans l’eau.

Le vent du Diable

Elle trône au cœur de Strasbourg depuis un millénaire et une année. C’est un indispensable, le monument inévitable de la ville. Pour briller en société ou devant un parterre de touristes affamés d’informations, il y a huit histoires à connaître absolument sur l’histoire de la Cathédrale.

Mais la vie de la plus vieille Cathédrale gothique au monde est aussi parsemée de croustillants et ténébreux potins. Parmi ceux-ci, l’histoire de la promenade matinale du Diable est sans doute la plus connue. Pour résumer, celui-ci chevauchait tranquillement le vent à travers Strasbourg, au petit matin. Apercevant son portrait, grimmé en sculpture à l’entrée de la Cathédrale, sous les traits du Tentateur courtisant les Vierges folles (Matthieu 25, 1-13), le Diable se sentit flatté. Curieux de savoir si l’on pouvait apercevoir son minois à l’intérieur même du bâtiment, il y pénétra. Et là, patatra : pris de cours par la messe du matin, le Diable resta coincé entre les quatre murs du lieu saint.

Le Tentateur (muni d'une pomme) et les vierges. Photo: CC / Wikimedia
Le Tentateur (muni d’une pomme et avec des serpents dans son dos) et les vierges. Photo: CC / Wikimedia

Pourquoi il y a-t-il toujours du vent autour sur la place entourant la Cathédrale ? La légende voudrait que ce soit le Diable, toujours séquestré, qui le souffle sans cesse.

Sous le lac souterrain… une pyramide ?

D’autres légendes, moins connues,  parsèment l’histoire du lieu. Dans son surprenant ouvrage « Contes et légendes de Strasbourg« , le romancier alsacien Claude Peitz raconte l’étrange histoire du lac souterrain de la Cathédrale.

Les fondations de la Cathédrale débutèrent en 1015 et s’achevèrent en 1028. Soit près de treize années, uniquement pour mettre en place les fondations ! Le délai fut causé par la largeur du bâtiment, mais surtout par les infiltrations de l’Ill et du Rhin, bien que les fondations furent pourtant creusées à plus de 23 pieds de profondeur.

Intérieur Cathédrale Strasbourg (©Les photos de Suzanne & Pierre)
Intérieur de la Cathédrale de Strasbourg (©Les photos de Suzanne & Pierre)

La légende voudrait qu’un véritable lac, où l’on peut se promener en barque, s’étende sur tout le long de la Cathédrale. Et certains ont tenté d’y pénétrer. En 1681, un soldat de Louis XIV appris qu’un puits donnait accès au lac. À l’époque, le puits se situait à l’intérieur d’un sombre bouge situé face à la Cathédrale. Aujourd’hui, à la place de cet obscur troquet, se situe la Boutique Culture de Strasbourg.

Pour certains, ce puits serait le « Kindelsbrunnen » (séjour des âmes trépassées), une cavité où les âmes meurent. Pas vraiment joyeux. Lorsque le soldat se retrouva coincé à l’intérieur, il s’écria :

« Au nom du Ciel, bouchez ce puits ! Et qu’aucun homme ne suive jamais mon exemple ! »

On ne le revit plus. D’autres tentèrent d’atteindre le-dit lac via ce même puits. Aucun n’est revenu, jusqu’à ce qu’en 1766, les autorités décident qu’il était temps de fermer le puits. Un bon siècle plus tard, tout de même.

Une unité de calcul commune à la pyramide de Khéops

Pour l’auteur, le cloisonnement du passage par le puits signe la fin des spéculations autour du lac souterrain de la Cathédrale. Mais il souligne un autre fait curieux : en 1908, l’architecte allemand Johann Knauth fait paraître un ouvrage, « La Cathédrale de Strasbourg et la pyramide de Khéops ». L’étude, bien que sérieuse, présentait un fait inédit et déroutant : il existe une unité de savoir, c’est-à-dire une règle de calcul commune, entre les maîtres d’œuvres des pyramides d’Égypte et les constructeurs de la Cathédrale. Comme le souligne Claude Peitz :

« Cette étonnante révélation ancra encore un peu plus dans l’imagination populaire l’existence d’un mystérieux lac souterrain sous la cathédrale, tout comme il existerait un tel lac sous la pyramide de Khéops, avec en son centre une île où reposerait la momie du Pharaon. »

De nos jours, certaines enquêtes archéologiques ont montré qu’il n’y a, effectivement, pas de lac sous la Cathédrale. Cependant, les pilotis sur lesquels était posée la bâtisse étaient engorgés de l’eau de la nappe phréatique. Ce qui, sans doute, conduisit à la création de la légende. Comme nous l’explique Claude Peitz :

« C’est le principe même de la légende et ce qui la différencie du conte. La légende est un fait historique, un lieu, une histoire véritable qui déchaîne les passions et déforme l’imagination populaire. Alors que le conte est une histoire qui ne repose pas sur une quelconque réalité, mais a un but moral. »

Les fantômes de Finkwiller

Méconnue, l’histoire des fantômes de Finkwiller est pourtant la plus intrigante de Strasbourg. Le bruit de l’existence de ces revenants courut d’ailleurs sur une période particulièrement longue : du Moyen-Âge  jusqu’à la Renaissance. Si Claude Peitz devait choisir une histoire à raconter, ce serait celle-ci :

« Sur un rayon de 500 mètres, à Finkwiller, vous avez toutes les légendes concernant les anciennes corporations. C’était un quartier à la fois populaire et très industrieux. Il y avait des moulins à blé, à huile, des tanneries. Tout était concentré et c’était très vivant. Des histoires de fantômes dans ce quartier se dégage une morale : les commerçants trompant leurs clients étaient condamnées à errer. »

Autour du quartier, on trouve en effet un joli condensé de vieilles légendes, principalement venues des récits de Auguste Stoeber, pasteur, poète, folkloriste alsacien et fin limier en terme de ghostbusting. Il fut en effet le premier, au début du XIXe siècle, à enquêter sur les légendes parcourant la région, entouré d’une équipe de passionnés prêts à sillonner l’Alsace. Son livre « Légendes d’Alsace », fut publié en 1842, puis réédité en 2010.

Selon lui, les vieux soldats de la VIIIe légion hantent encore le pavé de l’ancienne Argentorarum, le nom latin de Strasbourg qui n’était alors qu’un camp romain. En l’an 451 de notre ère, la VIIIe légion fut massacrée par l’arrivée des Huns. L’histoire dit que, même morts jusqu’au dernier, ils n’ont jamais quitté leur cloaque.

Les quais Finkwiller au début du siècle dernier. (Photo: CC/ Wikimedia)
Les quais Finkwiller au début du siècle dernier. (Photo: CC/ Wikimedia)

Mais c’est loin d’être la seule légende sur le quartier. Claude Peitz offre quelques avants-goûts :

« Il est fortement conseillé de prendre ses jambes à son cou si, le soir venu, on aperçoit une lavandière à l’oeuvre sur les berges du canal de la Zornmühle. Gardez-vous bien de l’approcher. (…) Dotée d’une force incroyable, la furie a vite fait de le saisir à la gorge et de le plonger et replonger dans l’eau. On dit que c’est le fantôme d’une lavandière condamnée, toute la nuit, à laver et relaver tout le linge qu’elle a dérobé pendant le jour. »

Le boulanger de la rue Saint-Marc, lui, fabriquait un pain pourri, avec de la farine mélangée à d’autres produits. Son fantôme aurait été condamné à errer autour de son fournil, portant des sacs de farine à n’en plus finir. Sa maison, pourtant située en plein cœur du quartier, fut abandonnée et finalement détruite durant la Révolution.

Procès de sorcellerie en Alsace

Il existe, autour de Strasbourg, pléthore de légendes sur les fantômes, les sorcières et divers personnages occultes ou mythiques. Si l’histoire de la région est parsemée de ces récits, c’est parce que des fondements historiques, parfois inexpliqués ont concouru à leur propagation.

Une édition de 1669 du Malleus Meleficarium. (Photo: CC/ Wikimedia)
Une édition de 1669 du Malleus Maleficarium. (Photo: CC/ Wikimedia)

Par exemple, Strasbourg est le lieu de naissance et de publication du « Malleus Maleficarium », le « Marteau des sorcières ». Suite à l’appel à la chasse aux sorcières du pape Innocent VIII, en 1486, deux inquisiteurs alsaciens décident d’écrire un ouvrage permettant de traquer et débusquer les sorcières. C’est une sorte de méthode pour les nuls, expliquant à la fois quels sont les croyances satanistes des sorcières et comment instruire leur procès. Le livre deviendra un best-seller, avec plus de trente rééditions jusqu’au XVIIe siècle.

Et il conduira à nombre de procès. Parmi les plus fameux de tout le pays, celui du Ban de la Roche, enclave protestante en vallée de la Bruche (Bas-Rhin). Autour de 1620, les procès de sorcellerie atteignent leur paroxysme tandis que la région du Ban de la Roche est surpeuplée. Les inquisiteurs débusquent, au minimum,  plus de 50 pauvres hères et les condamnent pour faits de sorcellerie, commerce charnel avec le diable, déterrements de cadavres… Au total, le dossier historique sur les procès du Ban de la Roche, disponible au Archives municipales de Strasbourg, dresse une liste de 48 paragraphes.

La dame blanche et l’auto-stop

Trouve-t-on toujours sorcières et diablotins sur les sinueux chemins de l’Alsace ? Difficile à dire. Dans son ouvrage « Fantômes et revenants en Alsace« , le conteur professionnel Gérard Leser dénombre plus de 500 histoires truculentes sur le sujet dans la région. Autant dire qu’il est difficile d’être exhaustif lorsqu’on parle de légendes populaires. Mais si les histoires favorites du conteur sont aussi celles de Finkwiller, il considère que celles qui reviennent le plus souvent, et récemment, sont celles sur les Dames blanches de la région :

« Elles sont très présentes dans l’imaginaire alsacien. Quand je fais une conférence, c’est toujours un sujet qui passionne les gens. La rumeur de l’auto-stoppeuse fantôme revient régulièrement. Dans le récit commun, c’est l’histoire d’une jeune femme décédée proche d’une forêt, dans un accident de voiture. La nuit, alors que les témoins conduisent sur cette même route, elle fait du stop. Ils la prennent. Elle est pâle et peu bavarde. Mais alors qu’ils arrivent à un rond point ou un virage précis, elle dit : « attention, c’est très dangereux », puis disparaît. Cela se passe souvent près de Sélestat. Ce qui est étonnant, c’est que ce récit revient dans tous les pays, toutes les cultures, avec quelques nuances. »

De nos jours, le bouche à oreille est parfois remplacé par la magie d’internet, lieu de toutes les spéculations. Un forum consacrée au paranormal fut particulièrement actif, avec un sujet consacré aux maisons et lieux maudits en Alsace s’étendant sur 17 pages entre 2006 et 2015 ! Les amateurs sont donc nombreux. Certains sont des « ghostbusters » et explorateurs en herbe, d’autres sont de véritables passionnés et, enfin, quelques-uns sont de simples curieux appâtés par le fait-divers insolite du moment. La polémique autour d’une maison hantée de Moselle avait particulièrement fait parler d’elle, en 2014, avant qu’on n’apprenne finalement que ce n’était qu’une mise en scène.

Les bâtisses abandonnées sont, forcément, l’objet de tous les fantasmes. L’hôtel de Saint-Hippolyte, près de Sélestat, est l’objet un vrai phénomène sur internet. Vide depuis des années, vétuste, presque en ruine, il souffrirait de la présence de fantômes. Sur internet, on trouve tous les racontars possibles autour du lieu : il serait hanté depuis l’assassinat de la fille des propriétaires, des « messes noires » s’y tiendraient aux solstices, des hurlements terribles s’y feraient entendre les soirs de pleine lunes…

Des ghostbusters à appeler si vous entendez des bruits…

Pour chasser ces fantômes et ces esprits d’outres-tombes, des groupes d’amateurs et de passionnés se sont mêmes formés. À Strasbourg, on en trouve trois : Alsace Paranormal Investigation (API), le Groupe Troisième Oeil et le Groupe de Recherche sur le Paranormal en Alsace. Valentin, 48 ans, a lancé API en 2011. Rejoint rapidement par deux amis, il explique sa démarche :

« Ce que nous voulions, c’est comprendre des phénomènes inexpliqués. On essaie toujours de trouver une solution rationnelle, lorsqu’on enquête sur un phénomène étrange. On se fait contacter par des particuliers, puis on vient sur place, la nuit, avec du matériel (caméra infrarouge, appareils photos, détecteurs de présence). On a pas mal de demandes. Samedi dernier, nous étions chez un particulier. »

Ces ghostbusters ont une « clause de confidentialité » avec la personne qui les contacte. Lors de la dernière enquête, ils n’ont rien trouvé. Il y a quelques mois, dans un gîte de la région, en revanche…

« Il y avait un autre enquêteur, d’une autre région, avec nous. On y a passé le week-end. C’était étrange. Nous étions tous en bas, et nous entendions quelqu’un courir à l’étage. Il y avait différents bruits suspects dans le gîte. »

Ils ne mettent pas de vidéos sur YouTube mais alimentent une page Facebook et un site. Grâce aux auteurs, aux amateurs et passionnés, la passion du paranormal, des légendes et diableries a de longs jours devant elle.

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