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Sortir de Schengen : et si Strasbourg redevenait une frontière ?

Si la France devait sortir de l’espace Schengen de libre circulation des personnes, Strasbourg devrait réinstaller les barrières douanières au Port-du-Rhin. La menace du président de la République Nicolas Sarkozy évoquée hier à Villepinte devant les militants UMP n’amuse pas les Alsaciens, et du reste, personne n’y croit.

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Sortir de Schengen : et si Strasbourg redevenait une frontière ?

Ancien Poste frontiere Franco Allemand transforme en restaurant – musee entre Lauterbourg (F) et Neulauterburg (D)

En meeting devant des dizaines de milliers de personnes dimanche à Villepinte, Nicolas Sarkozy a flatté les eurosceptiques :

« Les accords de Schengen ne permettent plus de répondre à la gravité de la situation, ils doivent être révisés. On ne peut pas laisser la gestion des flux migratoires aux seules mains des technocrates et des tribunaux. Il faut une discipline commune dans les contrôles aux frontières. Il faut pouvoir sanctionner, suspendre ou exclure de Schengen un Etat défaillant. Si je devais constater que dans les douze mois qui viennent il n’y avait aucun progrès sérieux dans cette direction, alors la France suspendrait sa participation aux accords de Schengen jusqu’à ce que les négociations aient abouti. »

Voir la déclaration de Sarkozy sur Schengen en vidéo

Très applaudie à Villepinte, la sortie a été plus froidement accueillie en Alsace, où le souvenir des barrières douanières aux frontières est encore vif. Cédric Rosen, le jeune président de l’association des frontaliers d’Alsace (Afal) ne les a pas connues, mais il redoute les bouchons aux frontières :

« Les frontaliers ne se rendent plus compte de la chance qu’ils ont ! Si je voulais être méchant, je dirais que ça ne ferait pas de mal de revivre les contrôles aux frontières, ne serait-ce qu’une journée, pour se rappeler comment c’était. Encore aujourd’hui, dès qu’un policier se poste au bord de la route à Roppenheim, c’est tout de suite le bouchon de plusieurs kilomètres. Un retour à la situation d’avant 1995 parait impossible aujourd’hui ! La plupart des entreprises allemandes ont arrêté les transports en commun vers leurs sites, ce serait un sacré retour en arrière ! Les frontières, c’est quelque chose qui appartient aux pays d’Europe de l’est maintenant… »

Strasbourg opère depuis bientôt vingt ans un virage vers l’Allemagne, après lui avoir longtemps tourné le dos. Si les douaniers devaient reprendre leurs postes au bord du Rhin, il faudrait mettre une guérite devant la passerelle Mimram au jardin des Deux-Rives, ce qui nuirait singulièrement à l’esthétique d’ensemble. Dans l’actuelle ligne de bus 2, il faudrait contrôler les papiers et de même dans la future ligne de tram D.

Présent à Strasbourg depuis les débuts de la libre circulation des personnes, le Système d’information Schengen (SIS), installé rue de la Faisanderie devrait être démantelé, et les 21 policiers et 24 informaticiens qui gèrent le système virés. L’Etat pourrait récupérer ce site ultra-sécurisé pour en faire un nouveau centre de rétention, puisqu’avec l’accroissement des contrôles, le nombre d’étrangers en situation irrégulière pris augmenterait.

Un reportage de France 2 sur le SIS

Mais surtout, les douaniers seraient contraints de contrôler les millions de coffres remplis de couches, produits d’entretien et d’hygiène que les Alsaciens ont pris l’habitude d’aller acheter en Allemagne depuis l’adoption de l’euro. La ville de Kehl a recensé que 36 000 véhicules par jour ouvré passent pas le pont de l’Europe (et 42 000 le week-end) ! Pour Bianca Schulz, du Centre européen de la consommation, le retrait de Schengen serait une vision de cauchemar :

« Plus d’un Strasbourgeois serait découragé d’aller faire ses courses à Kehl si le poste frontière devait renaître. Il y aurait au moins trois heures de bouchons pour passer le pont. On ne peut pas l’imaginer alors qu’on essaie de faire avancer la coopération franco-allemande. On n’aurait plus qu’à enterrer l’Eurodistrict ! »

Pour Françoise Revil, présidente du syndicat des professionnels du voyage en Alsace, la fin des formalités douanières n’a pas eu d’effet sur le tourisme:

« Si on prend les voyages en avion par exemple, on a perdu en contrôles de sécurité le temps qu’on avait gagné en formalités douanières. Pour nous, les barrières ne changent rien puisqu’il faut avoir ses papiers avec soi dès qu’on traverse la frontière nationale. On s’aperçoit que depuis Schengen, les gens ont oublié qu’il fallait être en règle… Certains oublient même qu’il existe encore des douanes, gare du Nord à Paris pour aller à Londres en Eurostar par exemple ! Ils se retrouvent contrôlés et contraints d’annuler leur voyage. »

Même Jean-Emmanuel Robert, conseiller municipal UMP de Strasbourg, et qui était à Villepinte, refuse d’envisager un avenir sans Schengen:

« C’était le candidat plus que le Président qui a parlé dimanche. Il se sent plus libre, il se détache un peu du poids de la fonction présidentielle. Nicolas Sarkozy a eu raison de poser la question de l’efficacité des contrôles aux frontières de l’Europe et je sais qu’il parviendra à convaincre les partenaires européens. On n’en arrivera jamais à une sortie de la France de l’espace Schengen. Je n’ai même pas besoin d’imaginer comment ça se passerait, ça n’arrivera pas. »

A Soufflenheim, il existe pourtant au moins une personne qui ne serait pas fâchée de revoir les képis douaniers s’agiter près de Roppenheim : Nicole Kadjou, présidente de la chambre syndicale des débitants de tabac du Bas-Rhin.

« Depuis 1995 on demande à l’Etat qu’il baisse les taxes sur le tabac et qu’il harmonise les prix avec ceux pratiqués par les voisins européens, mais rien n’a été fait. Plus personne ne nous achète du tabac, tout le monde se fournit en Allemagne. Alors oui, ça nous arrangerait que la frontière se ferme à nouveau et que les contrôles systématiques reviennent. Mais je n’y crois pas. »

Voilà au moins une promesse du président-candidat qui, si elle n’était pas tenue, ne surprendra et ne fâchera personne.


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