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À Strasbourg, Agissons67 organise un système parallèle pour loger des sans-abris chez des citoyens

Depuis le 2 octobre, Agissons67 demande régulièrement sur Facebook si des citoyens sont en capacité d’accueillir des sans-abris. Seize foyers ont déjà répondu positivement. Obligé de mettre en place ce système d’hébergement chez l’habitant devant l’urgence des situations, le collectif demande une réunion de crise à l’État et aux élus locaux en charge des politiques de solidarité. Reportage.

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Les tentes sont à proximité de la route, dans un bois entre deux quartiers (photo Gérard Baumgart)

Juliette et Manu (prénoms modifiés), assis côte à côte dans le salon de leur maison en banlieue de Strasbourg, racontent leur expérience. Nous sommes début février et depuis la mi-novembre, ils accueillent chez eux, Toïta, Khassan, et leurs trois enfants âgés de 11, 9 et 6 ans. « On ne donne pas les noms des jeunes parce que seule leur institutrice connait la situation », pose Juliette.

La famille, d’origine Tchétchène, a vécu dans une voiture pendant trois mois avant que le collectif de solidarité Agissons67 ne demande, sur son groupe public Facebook suivi par 2 500 personnes, leur mise à l’abri. Noureddine Alouane, le porte parole, explique la démarche :

« Devant des situations dramatiques, avec des personnes en détresse qui demandent l’hébergement d’urgence depuis parfois plusieurs mois, nous décidons de réagir et de donner une solution parallèle : nous demandons à notre réseau si des personnes sont d’accords pour loger des sans-abris. Nous avons fait ça pour la première fois le 2 octobre. »

Khassan se dit très reconnaissant envers Manu et Juliette. Photo : TV / Rue89 Strasbourg

14 familles hébergées depuis le 2 octobre

Depuis, en tout, 14 familles, trois personnes isolées, une personne handicapée âgée et deux sœurs présentant des troubles psychiatriques ont été hébergées dans 16 foyers différents. Ces foyers sont constitués de personnes seules, de couples ou de familles qui acceptent spontanément d’ouvrir leur porte. Au 3 février, huit personnes dont quatre enfants sont logés de cette manière. « Nous avons simplement contacté le collectif suite à leur message », se souvient Manu.

« En moyenne, ça dure deux semaines. On relance le SIAO (qui gère l’hébergement d’urgence et le numéro 115, NDLR) par mail et au téléphone, pour qu’ils trouvent une solution. Si rien n’est proposé, on fait en sorte de trouver un autre foyer qui accepte de les héberger », expose Noureddine. Juliette, qui a demandé l’anonymat pour ne pas être reconnue par son propriétaire, a proposé à la famille de Tchétchènes de rester plus longtemps, « vu qu’ils n’avaient pas de solution en décembre ».

Régulièrement pendant la conversation, Toïta, la mère, remercie Manu et Juliette. « On ne veut pas qu’ils se sentent redevables mais c’est difficile. Khassan propose de nous faire des travaux dans la maison. Il nous emmène partout en voiture », raconte Juliette. « Nous on ne veut rien leur demander. Enfin, bien sûr, ils participent aux tâches du quotidien. On est comme une famille », ajoute Manu.

« Cela implique des efforts conséquents »

Le couple de Strasbourgeois décrit une expérience « très enrichissante », faite d’échanges entre deux cultures. « On a découvert les pirojkis, des chaussons fourrés à la pomme de terre. Et nous on leur a fait une quiche aux lardons hallal », glisse Juliette. Tous ensemble, ils sont aussi allés à la patinoire et au cinéma. « Ça sera difficile quand ils partiront vu les liens qu’on a tissé », remarque Manu. Juliette insiste tout de même sur les difficultés que l’accueil de sans-abris peut susciter :

« Nous sommes un couple très soudé et nous savions que cela impliquerait des efforts conséquents. Il faut vraiment être sûr de soi pour se lancer là-dedans. Je me lève une heure plus tôt pour avoir accès à la salle de bain. Je suis infirmière, et ça n’allait pas au boulot il y a un mois. À ce moment, c’était difficile à vivre le fait que notre espace intime soit occupé. Heureusement, on a une pièce libre qui peut les accueillir. Et nos familles nous soutiennent à fond. Mes parents les ont même invité sans rien nous dire quand nous sommes partis en week-end avec Manu. »

L’État est censé loger toutes les personnes qui le demandent

Dans son appartement place de Haguenau, Léo (prénom modifié) accueille aussi une femme tchétchène, ainsi que sa fille de 20 ans et son garçon de 10 ans. « Pour moi, ça va. Je le vis comme une colocation, avec les petites adaptations que cela nécessite. Mais pour mes enfants qui sont là en garde alternée et ma copine, l’intrusion est un peu plus difficile, même si les personnes qu’on accueille sont très agréables et discrètes », assure-t-il.

Amina, la fille de 20 ans hébergée chez Léo, se dit aussi fatiguée de cette situation :

« Évidemment, nous sommes extrêmement reconnaissantes de Léo et de sa famille. Sans eux nous serions dehors. Mais nous ne voulons pas les déranger. »

Léo, Manu et Juliette assurent que Noureddine Alouane garde toujours le lien pour savoir si tout se passe bien. Ce dernier rappelle que le dispositif « reste du bricolage ». « Nous, ce qu’on veut, c’est ne plus être obligés de faire ça », affirme-t-il. En théorie, l’État est censé loger toutes les personnes qui le demandent de manière inconditionnelle. Mais d’après le SIAO, il n’y a pas assez de places disponibles pour répondre aux demandes à Strasbourg.

Toïta et Juliette ont noué des liens forts. Photo : TV / Rue89 Strasbourg

Le chat de Manu et Juliette vient jouer avec Khassan. Lui et Toïta tentent d’apprendre le français. La mère de Juliette leur donne même des cours. « Parfois on doit quand même utiliser google translate », pouffe Manu. Toïta revient sur le parcours de sa famille :

« Nous étions à l’hôtel Forum (à l’entrée de Schiltigheim ndlr), mais il y avait une grave infestation de punaises de lit. Comme beaucoup, nous sommes partis en août. »

Un titre de séjour, mais aucun moyen de se loger

Elle montre son titre de séjour vie privée et familiale délivré par la préfecture le 30 décembre, obtenu parce que les enfants sont scolarisés en France. Ainsi, elle et son mari peuvent enfin prétendre à un emploi et donc à une source de revenus. Depuis début janvier, Khassan, le père, travaille dans une entreprise de BTP en tant que plaquiste. Son épouse n’a pas encore trouvé un emploi et doit s’occuper des enfants.

Dans l’entrée, les chaussures de tous les habitants de la maison s’additionnent. Manu plaisante : « On n’est pas passionnés de mode. C’est juste qu’on est sept. » Photo : TV / Rue89 Strasbourg

« Dans cette situation, c’est mission impossible pour trouver un logement à Strasbourg », estime Manu. Depuis fin août, chaque jour, le couple d’origine Tchétchène appelle le 115 (numéro de l’hébergement d’urgence, NDLR) sans réponse positive. Manu et Juliette prennent tout en charge financièrement. « On a deux chariots remplis quand on fait les courses », indique Juliette.

Pour Noureddine Alouane , « ces situations où des personnes vulnérables, des familles, restent sans solution, doivent cesser ». Le collectif Agissons67 a publié une lettre ouverte le 16 janvier. Les membres dénoncent « une totale opacité sur l’organisation et les process portés par le SIAO », ainsi que des pratiques contraires à la loi vu que les personnes ne sont plus logées de manière inconditionnelle, mais selon des critères de vulnérabilité flous.

Agissons67 demande une réunion d’urgence aux acteurs politiques

Surtout, elle propose une réunion le samedi 5 mars à Corinne Bartier, la présidente du SIAO 67, Josiane Chevalier, la préfète du Bas-Rhin, Jeanne Barseghian, la maire de Strasbourg, Pia Imbs, la présidente de l’Eurométropole, Frédéric Bierry, le président de la Collectivité européenne d’Alsace (CeA), ainsi qu’à tous les députés et élus locaux en charge des questions de solidarité. L’objectif : « adapter ou augmenter les moyens du SIAO », voire « reprendre à grande échelle l’initiative d’Agissons67 » avec une gestion par un organisme public.

Début février, selon Noureddine Alouane, tous les élus de la Ville et de la CeA, de la majorité et de l’opposition, ont accepté. « Nous attendons la réponse de la préfecture, qui est l’acteur principal de l’hébergement d’urgence vu que c’est l’État qui le finance », ajoute-t-il. Le prochain directeur du SIAO devrait aussi participer. En attendant, comme d’autres sans-abris logés par le biais d’Agissons67, Toïta, Khassan et leurs enfants sont toujours chez des citoyens. Une centaine de personnes trouvent aussi refuge dans un squat à la Meinau.


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