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La délégation d’Aïda en Palestine espère plus d’un jumelage qu’un symbole

Samedi 24 mai, la maire de Strasbourg Jeanne Barseghian et quelques élus ont reçu quatre représentants du camp d’Aïda, en Palestine, en vue d’un jumelage qui doit être voté au conseil municipal de juin.

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La délégation d’Aïda en Palestine espère plus d’un jumelage qu’un symbole
Saï Alazzeh, président du comité populaire d’Aïda.

« Je ne vois pas ça comme un risque politique, plutôt comme une responsabilité. » Jeanne Barseghian, maire écologiste de Strasbourg, va proposer au conseil municipal du 23 juin d’établir une jumelage avec le camp de réfugiés palestiniens d’Aïda, situé en Cisjordanie, à deux kilomètres au nord de Béthléem. Quatre représentants du camp sont venus à Strasbourg préciser leurs attentes et ont déjeuné avec quelques élus, samedi 24 mai.

Sixième jumelage officiel

La Ville de Strasbourg est déjà jumelée à la ville israélienne de Ramat Gan et plusieurs collectifs pro-palestiniens demandent à la maire de couper ce lien depuis l’offensive israélienne à Gaza. L’édile répond avoir gelé ce partenariat et propose ce nouveau jumelage palestinien qui prendrait la forme d’échanges dans le domaine de la culture et du sport. Ce serait le sixième jumelage de la Ville de Strasbourg, alors que la France a annoncé vouloir reconnaître l’Etat de Palestine en juin également.

En 2023, des musiciens et danseurs d’Aïda sont déjà venus à Strasbourg dans le cadre du festival Musica et la Ville entretient des liens avec Béthléem depuis les années 2000. En 2018, Roland Ries s’est rendu dans la ville palestinienne. « Il y avait des liens préexistants mais je souhaite qu’ils deviennent officiels », précise Jeanne Barseghian.

« Nous attendons beaucoup de ce jumelage », insiste Anas Abou Srour, directeur exécutif du centre de la jeunesse du camp d’Aïda :

« Nous essayons de construire des ponts entre les gens d’Aïda et les autres cultures, sur leurs ouvertures d’esprit, leur manière de penser, tout ça malgré les frontières et la distance. Les Israéliens tentent depuis des années de nous isoler, donc nous devons rester ouverts au monde. »

Avec le centre de jeunesse du camp d’Aïda, Anas Abou Srour dit avoir hâte d’établir des projets entre jeunes, dans les domaines de l’art, de la musique, du sport, de l’agriculture, des technologies ou du changement climatique. « Je sais que la municipalité de Strasbourg est écologiste, c’est une occasion d’échanger sur nos pratiques », sourit-il. Essentiellement, il attend des échanges sur le long terme. « Il ne s’agit pas d’aide humanitaire mais de construire des projets durables », insiste-t-il. En France, le camp est déjà jumelé avec la ville de Nogent-sur-Oise depuis 2009.

Saïd Alazzeh, président du comité populaire d’Aïda avec Abdelfattah Abusrour, directeur général du centre culturel d’Aïda.Photo : CB / Rue89 Strasbourg

Projets culturels dans quotidien empêché

Établi sur un terrain prêté par la Jordanie aux Nations Unies en 1950, le camp d’Aïda est sous contrôle palestinien depuis les accords d’Oslo. En 2023, il abritait 7 244 personnes dont près de 2 500 enfants sur une surface de moins d’un kilomètre carré, juste à côté du mur de séparation entre la Cisjordanie et Israël. « L’accès à l’éducation supérieure et les perspectives professionnelles de nos jeunes sont réduites », déplore Anas Abou Srour.

Camp d'Aïda
Camp d’AïdaPhoto : document remis

Il décrit des figures politiques de l’Autorité palestinienne âgées, qui ne constituent plus des modèles pour les jeunes, et des conditions de vie qui marginalisent les Palestiniens de Cisjordanie :

« Le nombre de points de contrôle de l’armée israélienne augmente régulièrement et faire des trajets entre deux villes est toujours très long. À l’issue d’un de ces contrôles, j’ai été détenu dans une prison israélienne sans motif et sans procès pendant neuf mois, avant d’être relâché. C’est à ça que ressemble notre quotidien. »

Le président du comité populaire d’Aïda, Saïd Alazzeh, rappelle que la Palestine est occupée par Israël et que l’Etat légitime des actions violentes des colons israéliens pour le contrôle des terres, voire des meurtres de civils palestiniens. « En mai, la Knesset (le parlement Israélien, NDLR) a voté pour permettre l’annexion de 60% de la Cisjordanie, mais malgré ça j’espère que nous fêterons un jour la Palestine libre et indépendante », souffle-t-il :

« Aux yeux du monde, la résistance est interdite pour les Palestiniens, elle est qualifiée de terrorisme alors qu’elle constitue un droit fondamental, celui d’un peuple à disposer de lui-même. »

Bassam Abu Srour, Anas Abu Srour et Saïd Alazzeh au côté de Jeanne Barseghian, samedi 24 mai 2025.Photo : CB / Rue89 Strasbourg

Marre des déclarations symboliques

« Il ne faut pas laisser nos enfants s’habituer à l’oppression, la résistance est naturelle, ce qui est anormal, ça serait de l’accepter », enchaîne le directeur général du centre culturel du camp, Abdelfattah Abusrour. Ils précise que du jumelage avec Strasbourg, il attend une collaboration d’égal à égal. « Nous sommes une cause politique, pas humanitaire », souligne-t-il, précisant en avoir « marre » de toutes les déclarations et prises de paroles « symboliques » :

« Nous voulons travailler avec Strasbourg, construire ensemble des projets. La culture, l’art, l’éducation, ce sont des outils que tous les humains comprennent quel que soit leur pays ou leur religion. À Aïda, nous savons mieux que personne ce dont nous avons concrètement besoin. »

Après que quelques élus ont pris la parole, parfois en français, parfois en anglais, parfois en arabe, les échanges formels se terminent par une dernière intervention d’Abdelfattah Abusrour :

« À celles et ceux qui assimilent le soutien de la maire de Strasbourg au camp d’Aïda à de l’antisémitisme, je veux dire que ça n’a rien à voir et que les juifs, les musulmans et les chrétiens ont toujours vécu ensemble et continueront de le faire. Ce n’est pas une question de religion, c’est une question de justice. »

La délibération pour la création du jumelage entre Strasbourg et le camp d’Aïda sera étudiée le 23 juin en conseil municipal. « J’espère qu’elle sera adoptée à l’unanimité et qu’elle permettra d’inspirer l’Élysée ou les institutions européennes », conclut Jeanne Barseghian.


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