« C’est très difficile de trouver un coiffeur », témoigne Stéphane, qui arbore de très courts cheveux frisés en entrant chez Patricia Coiffure, un après-midi de février. Strasbourg ne compte qu’une poignée de salons dans lesquels les professionnels sont formés à couper les cheveux crépus et frisés. De nombreuses enseignes dédiées aux cheveux afro ne font que les coiffer. Et la plupart des salons classiques ne savent pas comment faire.
« La dernière fois, je suis rentré dans un salon un peu au hasard et on m’a refusé, ils ne savaient pas s’occuper de mes cheveux. Je trouve ça gênant, tu es coiffeur, tu es censé savoir coiffer tout le monde », juge Stéphane. Patricia Kuntzmann, la patronne du salon où Stéphane a ses habitudes, s’active au rythme d’un morceau de zouk, issu d’une playlist qu’elle a composé elle-même. Entre ses mains, Nicolas est venu faire reprendre ses dreadlocks. « Je viens souvent ici parce que je reconnais la qualité de son travail. Quand tu sors, tu sais que ça tient, la qualité ça fidélise », analyse cet habitant d’Obernai. « Quand on me trouve, on ne me lâche plus. J’ai su me démarquer, je ne fais pas mal quand je fais des tresses par exemple, c’est quelque chose que les clients recherchent », assure Patricia.
Le temps, c’est de l’argent
Le cheveux crépu, cela demande du temps. Nicolas, confortablement installé, doit bloquer au moins quatre heures pour refaire ses dreads. Une durée qui se répercute obligatoirement sur le coût des prestations. « Les gens viennent ici dépenser un caddie de course », reconnait Patricia. Il faut compter jusqu’à 200 euros et plus de quatre heures pour de longues tresses. « Beaucoup de coupes prennent énormément de temps, si on devait travailler à l’heure, on serait riches », souffle-t-elle. L’entrepreneuse indique fixer ses prix « en fonction du loyer, de l’électricité, des assurances et du coût des produits ».
Un autre salon, légèrement plus cher, se trouve rue des Veaux, dans la Grande Île. Amande’illes affiche une grille tarifaire en fonction du temps nécessaire. Pour des cheveux lisses ou ondulés courts, le coiffeur prévoit un rendez-vous de quarante minutes pour 49 euros. Et pour des cheveux bouclés ou crépus courts, il anticipe d’y passer une heure pour 79 euros.
La boutique a ouvert ses portes en 2020 et, comme Patricia Coiffure, elle s’occupe de tous les types de cheveux, sans le mentionner particulièrement. « Ça nous paraît logique de coiffer tout le monde, donc on n’a pas jugé nécessaire de communiquer spécifiquement », explique Gilles, patron de la boutique aux côtés de sa conjointe, Amandine. « Ça devient exceptionnel de coiffer les cheveux frisés alors que ça devrait être normal », conclu Gilles.
Les cheveux afro ignorés en CAP coiffure
Amande’illes souhaite sortir de la dichotomie « salon afro, salon caucasien ». « On ne voulait pas être catégorisés. De plus, on ne fait que des coupes, pas de tresses ni de tissages, on milite pour une meilleure acceptation de son cheveu naturel », détaille Sophie, coiffeuse au sein de la boutique. Pour pouvoir proposer un accueil adapté à tous, l’équipe s’est auto-formée, « sur le tas, à force de s’entrainer ».
Car en France, les CAP coiffure ou les brevets professionnels (BP) n’abordent tout simplement pas les techniques de coiffe des cheveux crépus. « Ils doivent se dire que ce sont des cheveux sataniques », ironise Patricia, désabusée. Devenue incontournable dans le monde de la coiffure des cheveux frisés et crépus à Strasbourg, elle possède une rareté : un diplôme, passé en Martinique au début des années 1990, qui reconnaît son aptitude à couper tous les types de cheveux. « Aux Antilles, on apprend à couper tout le monde », détaille la coiffeuse.
Face au constat d’un « besoin émergent », l’Union nationale des entreprises de coiffure (Unec) a développé un certificat dédié reconnu par l’État. La formation nommée « réaliser des techniques de coiffure pour cheveux spécifiques, bouclés à crépus » a vu le jour en juin 2023.
Transmission informelle
Problème, début 2025, dans toute la France, seuls cinq établissements proposent cette formation optionnelle de 217 heures. « Afin de prétendre intégrer une session de formation, le professionnel doit déjà être titulaire d’un CAP Coiffure, suivi de deux années d’expérience professionnelle dans le domaine de la coiffure ou bien être titulaire d’un brevet professionnel (BP) Coiffure ou encore justifier de quatre années d’expérience professionnelle dans le domaine de la coiffure », précise l’Unec.
« Ils veulent dire qu’il font quand même quelque chose pour les cheveux crépus, mais ce n’est pas suffisant si ce n’est qu’une option », juge Sophie, coiffeuse à Amande’illes. Même si le cheveux bouclé n’est pas au programme des CAP et autres BP, Patricia Kuntzmann intervient à l’Unité de formation d’apprentis (UFA) Oberlin-Geiler de Strasbourg. Il s’agit en réalité de quelques heures pour apprendre aux élèves les techniques de coupe ou de tressage. « Je suis fière de transmettre ces méthodes », confie Patricia.
Face à un manque de reconnaissance officielle, la transmission informelle est donc privilégiée pour diffuser le savoir. « Beaucoup apprennent à se coiffer eux-mêmes à la maison, c’est un savoir-faire qui se transmet en famille », analyse Nicolas, le client de Patricia. Cette dernière s’entoure régulièrement de jeunes stagiaires et leur présente des techniques qu’ils ne verront pas à l’école. Deux jeunes femmes viennent d’ailleurs de pousser la porte du salon pour savoir si un stage de découverte est possible. « J’aime leur donner une chance », se réjouit Patricia en tamponnant la feuille fournie par le collège.
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