

Bénédicte, maman de cinq enfants, s’est formée à la pédagogie Montessori pour faire l’école à la maison. (Photo FD / Rue89 Strasbourg)
L’instruction en famille progresse en France depuis une dizaine d’années. À Strasbourg, 25 enfants apprennent à lire et compter ailleurs que sur les bancs de l’école. Même s’il est autorisé, ce choix est très encadré par la loi. Des contrôles annuels sont effectués, non sans difficultés et quelques incompréhensions.
Leur maison est logée au fond d’une petite rue, juste derrière l’école communale, en périphérie de Strasbourg. Pourtant, Simon et Aimée-Luce, âgés de 4 et 13 ans, n’ont jamais franchi la grille de l’établissement. Leurs parents ont fait le choix de l’instruction en famille (IEF). Chez Bénédicte et Olivier, parents de trois autres enfants, l’apprentissage se fait essentiellement à la maison. Une salle de jeux éducatifs, le salon et même la cuisine remplacent la traditionnelle salle de classe.
Chez eux, il n’y a pas vraiment d’horaires, ni de programme scolaire. Simon et Aimée-Luce se mettent au travail quand ils le décident avec le soutien de leur maman. Ce choix de vie ne s’est pas fait du jour au lendemain. Antoine, l’aîné âgé de 20 ans, a suivi une scolarité classique. Mais Bénédicte prend conscience que l’école n’est peut être pas toujours la meilleure solution pour le bien-être de ses enfants :
« On pensait que l’école était obligatoire. Quand on a eu notre premier enfant, j’ai commencé à me demander si c’était bien normal d’aller à l’école. On a par la suite découvert les horaires aménagés pour les enfants qui vont au conservatoire de musique. On se sentait mieux, les classes étaient très chouettes. »
Mais l’univers scolaire ne conviendra pas à Aimée-Luce. Après une rentrée en en classe préparatoire, elle est retournée au domicile familial après un mois, ne s’y sentant pas bien. Le plus jeune, Simon, n’a quant à lui jamais mis les pieds dans une école.
3 297 enfants instruits à la maison en 2011
Comme eux, 3 297 enfants étaient instruits en famille en 2011 en France et leur nombre ne cesse de grimper depuis dix ans. Ils n’étaient que 978 en 1999 selon le ministère de l’Éducation nationale. C’est le maire de la ville qui est chargé d’établir la liste des familles qui choisissent l’instruction à la maison. À Strasbourg, 25 enfants sont non-scolarisés d’après le recensement effectué par la municipalité. Ils n’étaient que 16 pour l’année scolaire 2009-2010.
Les parents qui adoptent l’école à la maison cherchent une alternative au système scolaire traditionnel qu’ils jugent inadapté aux besoins de l’enfant. Bénédicte pose d’ailleurs un constat sévère sur l’école en France :
« C’est utopique de penser qu’on va pouvoir faire apprendre des choses à une classe de trente enfants de six ans. Toute la journée, les enfants sont enfermés dans une salle de classe avec des pauses à des heures précises. Ils ne peuvent pas profiter de la nature. Un enfant a pourtant besoin de gratter la terre, s’amuser avec des fleurs, etc. L’école contraint à rentrer dans un moule. »
Pour éviter l’enseignement traditionnel et que ses enfants aient envie d’apprendre, Bénédicte redouble d’imagination. Elle a par exemple organisé un après-midi autour des pommes et de leurs caractéristiques. Simon, le plus jeune de la famille, a pu participer à la préparation d’un crumble et « examiner les pépins à la loupe ». Sa mère en a profité pour glisser quelques notions de botanique issues de ces connaissances personnelles et de ses recherches sur Internet.
Jeux éducatifs et sorties culturelles font aussi partie de l’enseignement. Bénédicte a décidé de suivre une formation à la pédagogie alternative Montessori. Cette pratique éducative laisse une grande autonomie à l’enfant. La mère de famille prend aussi le temps de se rendre dans des librairies pour choisir des livres adaptés à l’apprentissage de la lecture. Des occupations indispensables pour être une bonne pédagogue, elle consacre ses journées entières à l’instruction de ses enfants. Son mari, cadre dans une banque, la soutient financièrement et aussi pour les cours de mathématiques. Bénédicte concède d’ailleurs que l’école à la maison demande des revenus corrects.
Des contrôles annuels obligatoires
Mais cette pratique, ultra-minoritaire en France, reste très encadrée par l’Éducation nationale. Si l’école n’est pas obligatoire, l’instruction l’est bien de 6 à 16 ans. Des tests obligatoires sont réalisés chaque année. Un inspecteur de l’Éducation nationale est alors chargé de contrôler le niveau de ces enfants hors circuit, avec l’aide de professeurs formés pour l’occasion. Dominique Sassi, inspecteur d’académie en Alsace, côtoie ces enfants. Il expose la vision de son travail :
« Il ne faut absolument pas noter les enfants. C’est un rendez-vous qui a lieu tous les ans, entre janvier et février, afin de voir où ils en sont par rapport à l’acquisition de ce qu’on appelle le socle commun. On fait attention à la nature des exercices proposés aux enfants. Il faut qu’ils soient adaptés à l’âge et au parcours de l’enfant. On est dans le respect du choix des parents, c’est une liberté dans notre pays. Les parents sont d’ailleurs demandeurs de conseils notamment pour choisir de bons supports pédagogiques. On n’est pas du tout dans le contrôle bête et méchant. »
Mais ce suivi reste redouté par les parents et leurs enfants. Un contrôle qui est même, dans certains cas, source d’incompréhension et de tensions. Les litiges se sont d’ailleurs multipliés à l’échelle nationale, finissant parfois au tribunal correctionnel. Les familles s’opposent le plus souvent aux exercices scolaires imposés à leurs enfants lors des tests.
Des familles parfois incomprises
Leur démarche n’est pas toujours comprise par les professionnels de l’éducation. Barbara, habitante de La Wantzenau a dû faire face aux critiques de la directrice de l’école maternelle lorsqu’elle a choisi de déscolariser Zoé, sa fille âgée de cinq ans :
« Ma fille ne voulait plus se lever pour aller à l’école, elle avait mal au ventre, elle pleurait. Au bout de six mois de première section, on a pris la décision de la retirer de l’école. La directrice l’a très mal pris. Elle m’a dit que j’étais possessive, que je voulais garder ma fille pour moi toute seule et que je la privais de quelque chose de formidable. »
Des reproches que cette mère de famille qui connaît bien le système éducatif a perçu comme « blessants ». Elle est elle même professeure de musique dans un collège. Depuis cet épisode, sa fille Zoé n’est jamais retournée à l’école. Elle passe son temps à apprendre et jouer à son rythme, sans oublier ses quatre heures de gymnastique hebdomadaires. Elle n’a que cinq ans et connaîtra donc son premier test en 2015.
Dominique Sassi assure être vigilant dans sa relation avec les parents, tout en rappelant la loi à ce sujet :
« Il n’y a pas de jugement personnel à faire vis-à-vis du choix de ces familles. Mais le code de l’Éducation précise que la priorité est donnée à l’école. Il est du devoir des personnels de mettre en garde les parents qui voudraient déscolariser leurs enfants. Il existe de nombreuses possibilités alternatives, comme l’école privée, avant de faire ce choix. »

Simon, le fils de Bénédicte, n’a jamais été à l’école. Il apprend à son rythme notamment grâce à des jeux éducatifs. (Photo FD / Rue89 Strasbourg)
« Montrer qu’on n’est pas des farfelus »
Bénédicte, la mère d’Aimée-Luce et de Simon, a l’expérience des contrôles réalisés par l’Éducation nationale. Ses enfants se sont déjà rendus plusieurs fois à l’Inspection d’académie pour réaliser des tests. Elle raconte qu’à l’occasion d’un contrôle, réalisé à leur domicile, une inspectrice s’était alarmée du niveau en mathématiques de l’une de ses filles. Un constat dur à encaisser et qui ne correspond pas à sa perception de la loi en vigueur sur l’instruction en famille :
« Les inspecteurs sont dans la logique de l’échec et de la réussite, ce qui va à l’encontre de la liberté propre à l’instruction en famille. On n’est pas tenu de suivre le programme scolaire mais dans les faits, ce n’est pas complètement respecté. Les inspecteurs ne comprennent pas comment les familles fonctionnent. Il faut les mettre en confiance et leur montrer qu’on n’est pas des farfelus. »
Il est d’ailleurs rare qu’une famille soit considérée comme inapte à instruire ses enfants. Seulement 9,5 % des contrôles pédagogiques ont révélé des insuffisances dans l’instruction des enfants selon des chiffres communiqués par le Ministère de l’Éducation nationale. Lorsqu’un deuxième contrôle a été effectué, 66 % d’entre eux se sont même révélés satisfaisants.
Aller plus loin
Sur France Culture : Qui a peur de l’instruction en famille ?
Sur Le Monde : L’école hors circuit
Mon fil de 10 ans est pas bien à école depuis deux ans.
Nous avons décides ensembles de faire instruction familiale à la rentrée prochaine. Classe de CM2.
J'habite dans le Haut Rhin en Alsace.
Je voudrai rencontrer des personnes pour m'aider au début.
Pascale
https://www.youtube.com/watch?v=Bm_4vqG2lvw
Cela dit, je souhaite revenir sur certains clichés qui sont sans cesse véhiculés lorsqu'on entend parler de ce choix d'instruction.
La maman "institutrice" : d'abord, même si bien souvent c'est la maman qui est disponible à domicile en journée pour être auprès des enfants, ce n'est pas toujours le cas, et cela ne signifie nullement que le papa ne prend pas en charge, lui aussi, l'instruction de ses enfants. Il s'agit d'un choix familial, de parents. Ensuite, si on choisit de ne pas soumettre nos enfants à l'éducation nationale, ce n'est, pour un grand nombre d'entre nous, pas pour nous transformer en instit à domicile. Nous ne sommes pas instituteurs, nous sommes parents. Point.
Le constat de Benédicte sur l'école n'est pas sévère (en utilisant cet adjectif, vous véhiculez l'idée qu'elle exagère, alors qu'il n'en est rien), il est juste la réalité, et constatable par tout un chacun qui s'intéresse objectivement au sujet. Et encore, je la trouve soft, Bénédicte.
La nécessité de se former, de rechercher moult ouvrages pédagogiques, etc, pour être un "bon" pédagogue : c'est absolument faux. De nombreux parents ne souhaitent pas d'une pédagogie style Montessori ou autre pédagogie "nouvelle" à la mode etc, et instruisent tout à fait bien leurs enfants sans elles. Et de nombreux enfants apprennent à lire, écrire et compter etc sans ouvrages scolaires ou parascolaires. C'est tout à fait possible.
La nécessité d'avoir des revenus corrects pour faire le choix de l'IEF : c'est tout aussi faux. De nombreuses familles ayant des revenus modestes, voire peu de revenus, pratiquent l'IEF. Il s'agit d'un choix de vie différent, qui demande donc une organisation et un mode de vie différents par rapport à un mode de vie "classique". C'est comme si on racontait qu'il n'est pas possible de vivre avec un seul salaire au sein du foyer. Des milliers de familles en France, IEF ou non, vivent avec un salaire, et pas forcément élevé. Et quand en plus c'est un choix, c'est bien plus évident de mettre en place un mode de vie adapté à ces moyens.
Je souligne également une grosse erreur concernant le contrôle annuel de l'IEF. Il ne s'agit pas de tests, et les inspecteurs n'ont pas à contrôler le niveau (lire le code de l'éducation). C'est très agaçant que vous parliez de "test" au lieu du contrôle annuel de l'éducation nationale, car vous ne faîtes alors pas votre travail informatif, au contraire vous alimentez les croyances, et en plus cela discrédite les familles qui se battent contre les inspecteurs irrespectueux de la loi et des droits des parents. :-(
Le contrôle pédagogique des familles IEF est censé être un contrôle de l'instruction délivrée par les parents, pas un test effectué sur les enfants. L'inspecteur est censé venir voir ce que nous parents proposons à nos enfants et si ça convient par rapport à leur droit à l'instruction (lire le code de l'éducation).
Par ailleurs, les inspecteurs ne sont absolument pas accompagnés de professeurs formés au sujet de l'IEF, ou alors il y a quelque chose à revoir dans leur formation, ils ont déjà bien du mal à se conformer à la loi et à respecter les droits et choix des parents, ce qui devrait être la base d'une formation correcte !
L'inspecteur interrogé a peut-être pour habitude d'effectuer ses contrôles entre janvier et février, mais cela n'est pas une généralité, il s'agit d'un contrôle annuel, la loi ne prévoit pas de période de contrôle dans l'année.
Il me semble un peu en mode "bisounours", mais les exercices qu'il fait faire aux enfants ne sont pas prévus par la loi, et que fera-t-il s'il rencontre des parents qui, pour des raisons philosophiques, ne veulent pas que leurs enfants soient soumis à des tests, exercices, interros etc ? Continuera-t-il à dire ok c'est le choix des parents on le respecte ? j'en doute fort, vu le comportement de la majorité des inspecteurs face à des familles qui font le choix que leurs enfants ne subissent pas de tests, et ont le courage d'y tenir fermement face aux habitudes (hors cadre légal) des inspecteurs de l'éducation nationale.
De plus, de nombreuses familles ne veulent absolument pas des conseils d'une administration qui a les résultats déplorables que tout le monde connaît !
Précisons que le socle commun est un objectif à avoir, au terme de l'instruction obligatoire, donc à 16 ans. Le rythme des apprentissages tout au long des 10 années d'instruction obligatoire, ainsi que les choix pédagogiques sont au libre choix des parents, ce qui permet un grand respect du rythme individuel de l'enfant, contrairement au programme scolaire. Il est donc interdit de tester le niveau de l'enfant comparativement aux niveaux scolaires si la famille ne le souhaite pas ou si ses choix éducatifs ne correspondent pas au programme scolaire.
Les agents de l'éducation nationale ont également légalement cet objectif du socle commun. Et quand on lit le socle commun, comparativement aux résultats de l'école, on comprend vite que les parents qui pratiquent l'IEF n'auront aucun mal à mieux respecter cet objectif, et que les conseils ou les réprimandes de l'éducation nationale sont malvenus !
Lire de bonnes infos sur la loi, ici : http://www.rodriguez-martin.fr/que-dit-la-loi/
Pour ce qui est du devoir de "mise en garde" de la part des agents de l'éducation nationale face au choix de l'IEF, ça aurait été intéressant de savoir contre quoi, et à quel texte légal M. l'inspecteur se réfère... Traiter une mère de "possessive" lorsqu'elle fait ce choix pour sortir son enfant du malaise dans lequel elle se trouve, c'est absolument déplacé, c'est tout.
C'est malheureux de lire qu'on a, en plus d'instruire nos enfants et de préparer chaque année ce fichu contrôle (quand on n'a pas à se battre contre l'éducation nationale qui tente de réduire en cendres certaines familles prêtes à aller en justice pour faire respecter leurs droits), à rassurer messieurs et mesdames les inspecteurs et inspectrices, pour ne pas être pris pour des farfelus ! Alors que d'emblée, ils n'ont aucun droit de nous prendre pour des farfelus, ils n'ont pas à venir avec cet état d'esprit.
Il est logique qu'il y ait peu de parents considérés comme n'instruisant pas ses enfants. Car très rares sont les parents qui ne respectent pas la loi, qui ne veulent pas instruire leurs enfants, par contre, malgré les tentatives avérées des inspecteurs de l'éducation nationale, il y a bien un moment où la loi sous le nez, ils doivent concéder de les laisser tranquille et de respecter leurs droits.
Soit moins de 1 pour 5000!
Ferez vous aussi un si bel article pour le gamin surdoué en foot ou au basket?:)
Ca fait un peu confiture: moins on en a plus on l'étale
Tout est (malheureusement) dit.
L'école n'est après tout qu'une organisation sociale récente dans l'histoire de l'humanité.
Les parents qui décident de ne pas scolariser leurs enfants sont loin d'être des "bobos friqués" car pour pouvoir être présents et disponibles, ils doivent travailler moins et donc gagner moins...
Pour plus d’information:
Bande-annonce : https://vimeo.com/90442568
Le site : http://etreetdevenir.com
Deuxièmement, comment pouvez-vous parler de "bobos friqués" ? Connaissez-vous personnellement les personnes interviewées pour cet article ? Un peu facile de penser encore et toujours que le choix de la déscolarisation n'est réservé qu'à une élite sociale.
À l'avenir, réfléchissez avant de prétendre juger un article que vous êtes visiblement incapable de comprendre.
quant aux revenus des familles prariquant l'ief, ils sont parfois bien loin de ce que vous imaginez ! La majorité des familles qui font ce choix vivent avec un seul salaire, qui n'est pas toujours celui d'un cadre de banque !
Enfin, les tests lors des contrôles ne sont pas obligatoires. La loi est claire, c'est l'enseignement qui doit être contrôlé, pas l'enfant.