

Pierre Arditi sur le tournage de « Vengeance Tardive », un épisode de la série « Le sang de la vigne » (Photo PF / Rue89 Strasbourg / CC)
A partir du 1er octobre, embaucher un preneur de son ou un script dans la production d’un film va coûter plus cher. Du coup, des tournages prévus en 2014 ont été avancés à ces jours-ci. Chez les techniciens, c’est la surchauffe, mais la profession est divisée et on s’inquiète des jours à venir.
L’extension de la convention collective de la production cinématographique est un séisme dans l’industrie du cinéma. Son application à partir du 1er octobre garantit aux techniciens embauchés sur un tournage un salaire minimal, que peu de productions sauf les plus importantes étaient en mesure de payer jusqu’à présent. Depuis la signature de cette extension, le monde du cinéma se divise en deux.
Exemple de tarifs minimaux
Tarifs bruts pour une semaine de 39 heures (35 heures + 4 à +25%).
Habilleuse : 768,68€
Coiffeur, maquilleur, costumier : 985,69 €
Scripte : 1 224,31 €
Régisseur Général : 1 387,21 €
Cameraman : 1 646,32 €
Directeur de Production : 2 586,72 €
Directeur de la Photographie : 2 621,94 €
D’un côté, les producteurs les plus importants (Gaumont, Pathé, MK2, UGC…) réunis au sein du seul syndicat de producteurs signataire, API, et de quelques syndicats de techniciens, se réjouissent que le cinéma sorte d’une zone grise, où chaque tarif était négocié âprement, à -20%, -30% et parfois -50% du salaire minimal. De l’autres, tous ceux qui crient à la mort du cinéma d’auteur en France, arguant que les films aux budgets fragiles n’auraient tout simplement pas vu le jour, s’il avait fallu payer les techniciens aux prix minimaux.
2013, année record des tournages
Du coup, nombre de films qui auraient dû être tournés en 2014 ont été avancés à l’automne 2013. En Alsace, c’est le cas de L’Année Prochaine de Vania Leturq qui sera tourné à partir du 15 septembre jusqu’à fin octobre et de Nuits d’Été, de Mario Fanfani, tourné du 9 septembre au 25 octobre. Au bureau d’accueil des tournages de la Région Alsace, on s’oriente pour 2013 vers un record :
« En 2010 et 2011, la région avait accueilli environ 230 jours de tournages, c’était déjà très important et dû en grande part à la production à Strasbourg de la série Les Invincibles, diffusée sur Arte. En 2013, on terminera probablement l’année avec 260 jours de tournages. Évidemment, l’application de l’extension de la convention du CNC a augmenté le nombre de jours, on espère que 2014 ne pâtira pas trop de ces modifications dans les agendas. »
A cela s’ajoutent 42 jours de tournage pour une série de TF1, Une famille formidable, entre septembre et octobre. Chez les techniciens alsaciens, c’est la surchauffe comme le confirme Estelle Nothoff, président de Kino Factory, l’association qui les regroupe :
« Entre les séries télé, les courts et les longs-métrages en ce moment, on n’arrive pas à suivre. Il y a un gros rush, accentué par l’application de la convention au 1er octobre dans le cinéma. C’est sûr, en ce moment, tout le monde a du boulot mais l’association ne se prononce pas sur la convention collective. Il y a des arguments pour et contre, c’est à chacun de se déterminer. »
Antoine Théron, directeur de production sur Les Nuits d’Été, ne se souvient pas d’avoir autant eu de difficultés à assembler une équipe :
« Personne n’est disponible ! On tourne en Alsace et on a dû faire venir des techniciens de Paris pour combler les manques, ce qui va alourdir nos dépenses en hébergement alors que notre budget est déjà très contraint. On a moins de 3 millions d’euros pour cette production. Je n’ai pas encore évalué l’impact de l’application de la convention sur le tournage de Nuits d’Été, mais nous avons dû modifier nos dates surtout en fonction des disponibilités des acteurs. »
« Les films avec moins de 2,5 M€ n’existeront plus »
Quant à Fabrice Preel-Cleach, directeur de production sur L’Année Prochaine, et membre du syndicat des producteurs indépendants (SPI, non signataire), il regrette de ne pas avoir pu avancer le tournage plus encore :
« On est à cheval sur la période hors-convention et soumise à la convention… Donc on paiera les gens au tarif conventionné à partir du 1er octobre, et on a bien failli ne pas pouvoir faire ce film. On a un tout petit budget, moins d’un million d’euros et je pense qu’on aura un surcoût d’environ 100 000€. Tout le monde cherche à bricoler en ce moment dans la profession pour sauver leurs films… mais en 2014, on verra ce que l’application de cette convention aura changé. Il manquera tous les films qui ont été avancés comme le nôtre, et tous les films qui ne pourront plus se faire. Tous les films qui ne trouvent pas 2,5 M€ de financement ne pourront plus être tournés. Les intermittents vont souffrir, c’est probablement le but. »
Ingénieure du son strasbourgeoise, Aline Huber regrette qu’on en soit arrivé là :
« C’est vrai qu’il y a parfois des abus, une paresse des producteurs pour rechercher suffisamment de financement… Mais les rapports entre les producteurs et les intermittents étaient plus équilibrés, car les techniciens avaient la possibilité de « choisir » pour qui ils allaient travailler et à quelles conditions. J’ai fait trois longs-métrages en temps qu’ingénieure du son, à chaque fois des projets qui m’emballaient, et c’est pourquoi j’ai accepté de travailler en dessous du tarif minimal. A partir du 1er octobre, les producteurs vont être tentés de faire signer des contrats de travail de 20 jours par exemple, pour des durées effectives de 30. Ce sera plus difficile d’obtenir le statut d’ intermittent. C’est triste de constater que la variable d’ajustement pour boucler le budget d’un film, c’est la masse salariale… »
Gontran Froehly est repéreur à Sélestat. Il travaille à -25% du tarif pour Nuits d’Été :
« J’ai toujours pensé que travailler sous le tarif minimal était une espèce de devoir. L’intermittence, c’est une subvention déguisée pour la production de films, donc je pouvais aussi contribuer à l’effort national du financement de la culture. Avec l’application obligatoire de la convention, on peut craindre la disparition de beaucoup de petits films. Ils ne sont pas tous nécessaires, mais ils contribuent au foisonnement français dans ce secteur, et à la professionnalisation des techniciens. »
L’extension de la convention collective est attaquée par plusieurs syndicats représentatifs devant le Conseil d’État.
Aller plus loin
Sur Rue89 : Le droit de renoncer à son salaire pour qu’un film existe (tribune)
Sur Télérama : tous les articles sur la convention collective du cinéma
http://blogkapoue.com/2013/09/13/tournage-ambiance-cabaret-pour-des-nuits-dete-a-la-brasserie-schutzenberger-de-schiltigheim/
Quel est l'intérêt pour producteur de ne pas rechercher plus de financements pour un film ? Serrer volontairement la ceinture des techniciens pour garder plus de marge et se payer voiture de sport et cigares ? Brider volontairement la créativité du réalisateur en lui disant "hé non coco, ça coûte bien trop cher ton histoire !" ?
Bien sûr que non.
Chaque financement obtenu n'est pas "donné", mais fait l'objet de contreparties plus ou moins nombreuses (contreparties contractuelles d'ailleurs, sous peine de rembourser la somme acquise). Chacune de ces contreparties, qui parfois sont contradictoires, obligent le producteur à faire une gymnastique pas possible pour que tout soit cohérent. Pêle-mêle (et non exhaustif) : 25% d'investissement d'une chaîne de TV, 40% maximum de financement public, 120% de dépenses dans une région donnée... etc. Chaque fond de soutien a ses propres règles.
Contrairement à ce que certains semble penser, le producteur ne reste pas assis dans son bureau à regarder les mouches, bien content de ne pas avoir à se casser la tête à remplir des formulaires, faire des devis, etc. Il est bien connu qu'il est infiniment plus simple de travailler avec un budget minimal qui oblige à négocier salaires et matériel technique, et qu'une société de production peut vivre d'amour et d'eau fraîche.
Le vrai problème est ailleurs : la télévision sous finance les fictions et les documentaires, tire son investissement vers le bas et attend toujours plus des productions...
La solution est peut être un peu plus de solidarité interprofessionnelle, car au final les producteurs, les réalisateurs et les techniciens sont tous dans le même (très beau) bateau.
chose à l'intermittence et à la production. Et que vous avez encore un peu de temps devant vous pour écrire plus sérieusement. Parce que si vous êtes payé pour ce genre de papier, je veux bien connaître vos rémunérations mensuelles
Résultat c'est un peu comme si on disais : bon, finis le bédot, mais cette fois pour de bon hein !
J'attend l'intermittent qui va exiger de la faire appliquer...
On parle de budget à 2,5M dans cet article mais nous sommes plus de 50 à Strasbourg à faire exister des films à 10K tout au long de l'année. Et ce sont nous qui rendons possible les statuts.
Tout le monde court à la pige, aux heures, on s'arrange, on crée des gagnottes. C'est ça la réalité quotidienne en province, pas les 260 jours de tournage recensés par le bureau éponyme.
Franchement, là dedans les intermittents ne sont pas à plaindre.
Ils gagnent souvent bien mieux leur vie que les producteurs et ont un statut qui leur permet d'emprunter pour un appart, une voiture, Ils ont même des congés payés.
C'est ça la France, on veut exercer le plus beau métier du monde sans en payer le prix.
Les producteurs sont en fait des entrepreneurs qui ont la mauvaise idée d'être plus interessés par l'art que le business. Du point de vue du banquier, c'est un défaut. C'est pas grave tant qu'on reste des feignasses qui font rien qu'abuser à pas chercher les financements.
on parle ici de film de long métrage. je ne pense pas qu'un film a
10000 euros puisse rendre le statut possible. quand on sait qu'un budget moyen de court métrage se situe aux environs de 40 000 euros et que les techniciens ne sont quasiment pas rémunères dessus.....
j'aimerais bien savoir quels sont ces films dont vous parlez. Dans le fond je pense que vous étes mal renseigné. le fait de dire qu'un i termittent a un statut privilégié qui lui permet d'emprunter pour acheter un appartement prouve que vous connaissez très mal ce statut.
cordialement
Alors oui ce n'est pas politiquement correct mais je maintiens : les intermittents s'ils font leurs heures ( et pour un bon c'est pas compliqué) ils gagnent leur prix de journée même quand ils ne bossent pas, ont des congés payéa etc... J'ai une maquilleuse qui roule en 308cc flambant neuve a crédit...
Moi j'ai rien, si je prend des vacances je ne gagne pas d'argent, si je suis malade je ne gagne pas d'argent, si je ne trouve pas de client : je ne gagne pas d'argent...
Je ne me pleins pas, je suis entrepreneur, j'ai fais le choix...mais des fois j'ainerai bien pouvoir être intermittent et vomir sur les producteurs