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Tensions et déception au Parlement européen, entaché par un scandale de corruption

Après la révélation d’un scandale de corruption touchant plusieurs membres du Parlement européen, dont la vice-présidente grecque qui a été placée en détention provisoire dimanche, l’ouverture de la séance plénière du lundi 12 décembre à Strasbourg a été marquée par une forte présence médiatique et des réunions de crise en tous genres.

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Tensions et déception au Parlement européen, entaché par un scandale de corruption

« Vu l’agenda et les évènements, le service presse est un peu débordé », confie d’emblée l’une des attachées de presse du Parlement européen. La séance plénière du mois de décembre, réunion formelle des députés européens qui se déroule dans l’hémicycle strasbourgeois une fois par mois, risque d’être très particulière alors que la police belge fouille l’hémicycle bruxellois.

Car vendredi 9 décembre, la presse belge a révélé que quatre personnes, dont la vice-présidente grecque du Parlement européen, Eva Kaili (groupe Socialistes et démocrates), étaient soupçonnées d’avoir été corrompues par le Qatar, le pays organisateur du mondial de football. Dimanche 11 décembre, Eva Kaili a été interpellée et écrouée en Belgique après que des sacs de billets ont été découverts chez elle. Environ un million d’euros en liquide ont été retrouvés par la police belge au cours d’une série de perquisitions.

La séance plénière du Parlement européen s’est ouverte lundi 12 décembre, au lendemain de l’arrestation de la vice-présidente grecque de l’institution, soupçonnée de corruption Photo : Amélie Schaeffer / Rue89 Strasbourg / cc

« Elle enchaîne avec la RTBF juste après France TV »

15h. Dans la vaste salle où sont rassemblés les journalistes qui ont l’habitude de couvrir les actualités européennes, on croise quelques eurodéputés. Il y a encore deux heures à attendre avant la séance inaugurale de la session plénière. Mais chacun a déjà son agenda bien rempli : l’ancienne ministre Nathalie Loiseau (Renew Europe), qui a déclaré « avoir déjà été approchée par des lobbys qataris » enchaîne France Télévisions et la RTBF.

Philippe Lamberts, président belge du groupe des Verts, prend quelques minutes pour défendre son institution en expliquant que « toute structure de pouvoir est perméable à la corruption », et que le Parlement européen « est fait d’êtres humains ». Toutefois, il reconnaît : « On attend de nous de l’exemplarité et les faits avérés sont graves ». Interrogé sur l’ambiance au sein de l’institution strasbourgeoise en ce jour très particulier, Philippe Lamberts glisse avoir « un sentiment très désagréable » :

« Je suis fier d’appartenir depuis 13 ans au Parlement européen, mais voir la réputation de cette institution salie m’attriste. Le risque d’amalgame est grand et les électeurs peuvent désormais croire que tout est permis. »

Philippe Lamberts, président du groupe des Verts au Parlement européen craint l’amalgame pour le grand public, entre les députés soupçonnés de corruption, et les autres (Photo Amélie Schaeffer / Rue89 Strasbourg).

« Il y a trois semaines, l’attitude de certains socialistes était étrange »

Interrogé sur l’annonce du scandale de corruption et de l’arrestation de la vice-présidente grecque Eva Kaili ce week-end, Philippe Lamberts raconte « sa surprise totale » :

« Certes, il y a trois semaines, lors de la séance de novembre, l’attitude de certains socialistes à l’égard du Qatar était étrange, et on en avait parlé entre nous, au sein du groupe des Verts, mais de là à soupçonner une corruption, et des échanges de billets dans des valises, il y a un immense gouffre. »

Lors de la dernière séance de novembre, comme le raconte la députée européenne strasbourgeoise Manon Aubry, plusieurs députés du groupe socialiste S&D (le groupe auquel appartient Eva Kaili) avaient en effet refusé de voter une résolution condamnant le Qatar, entre autres sur le respect des droits de l’homme.

Mais le président du groupe des Verts tient ensuite à insister :

« Il ne faut pas que le soupçon pèse sur les 705 membres du Parlement européen. Il faut mettre à profit ce choc et prendre des mesures immédiates ».

Une réunion du groupe S&D : caméras et journalistes à l’affût

16h. 1er étage. Devant une petite porte rouge, un attroupement de journalistes. Des caméras, des micros, des carnets à la main. Il doit y avoir une réunion du groupe S&D (Alliance progressiste des socialistes et démocrates) d’une minute à l’autre. Et forcément, c’est l’effervescence médiatique puisque le groupe S&D est le groupe entaché par le scandale (deux des députés visés par l’enquête en sont membres).

Devant la salle où se tenait la réunion du groupe S&D, dont est membre la vice-présidente visée par l’enquête pour corruption, les journalistes étaient nombreux pour tenter d’obtenir des réactions d’autres députés (Photo Amélie Schaeffer / Rue89 Strasbourg).

Il y a des journalistes italiens, espagnols, allemands, français. Mais rares sont les députés qui acceptent de se livrer devant les caméras. Tous passent rapidement en rasant les murs, têtes baissées et visages fermés, avant de s’engouffrer dans la salle de réunion. Sandir Zsiros travaille pour la chaîne de télé Euronews. Il couvre tous les mois les séances plénières et il confie ressentir, lui aussi, une ambiance particulière aujourd’hui :

« On dirait que les députés vont à un enterrement. On sent que tout le monde est triste. D’habitude, il y a de la légèreté, de la joie. C’est vraiment la crédibilité de l’institution qui est touchée, c’est dommage. »

Et le journaliste hongrois montre le tweet fait quelques minutes auparavant par son président sur le Parlement : « Vous avez vu comme Orban se moque maintenant du Parlement ? ».

« Il faut savoir faire le ménage en son propre sein »

Raphaël Glucksman (groupe S&D), lui, prend le temps de s’arrêter et de parler quelques minutes aux journalistes :

« C’est un scandale gravissime et nous devons tout faire pour rétablir la confiance dans la démocratie. Cela fait deux ans et demi que j’alerte sur ces pratiques d’ingérence au sein du Parlement. Le Qatar et la Russie ont assuré les retraites dorées de dirigeants européens depuis des années. Il faut taper du poing sur la table. »

Le député européen Raphaël Glucksmann est membre du groupe S&D. Il souhaite que son groupe dirige la lutte contre la corruption « et cette chasse aux corrompus » (Photo Amélie Schaeffer / Rue89 Strasbourg).

Interrogé sur le fait que le scandale provienne de membres de son propre groupe au Parlement européen, le député de gauche, élu depuis 2019 au sein de l’institution européenne, reste inflexible :

« La lutte contre la corruption est plus importante que n’importe quelle couleur politique. Puisque ce sont des députés de notre groupe, il faut que ce soit nous qui dirigions la lutte contre cette corruption et cette chasse aux corrompus. Il faut savoir faire le ménage en son propre sein, il faut lutter contre le “tous pourris”. »

De gauche à droite : « C’est une situation tragique »

17h. La sonnerie retentit dans tout le Parlement européen. C’est le début de la plénière. La présidente maltaise Roberta Metsola (membre du groupe nationaliste) débute son discours d’introduction en martelant, dès les premières secondes :

« Je viens de vivre les jours les plus longs jours de ma carrière. Et je vous assure, que ma furie, ma colère et ma tristesse sont aussi forts que ma détermination dans cette affaire. Le Parlement européen est attaqué. Et la démocratie européenne est attaquée. »

Au même moment, certains députés retardataires se pressent pour rentrer dans l’hémicycle. Valises à la main, certains arrivent directement de la gare. Marisa Matias est portugaise, membre du groupe de la gauche au Parlement. Sur son visage fermé, on lit de la tristesse et du désarroi :

« Je suis très déçue. Evidemment il faut laisser le temps à la justice et il faut que l’enquête aboutisse, mais quand on regarde en général, sur tous les sujets, il y a une telle ingérence des lobbies sur le Parlement européen, c’est vraiment une situation tragique. Il nous faut des règles bien plus transparentes. »

La députée européenne portugaise Marisa Matias est membre du groupe de la gauche, et dénonce une situation « tragique » suite au scandale de corruption qui éclabousse l’institution (Photo Amélie Schaeffer / Rue89 Strasbourg).

Du côté droit de l’hémicycle, les députés européens semblent eux aussi secoués par la nouvelle. Anne Sander est députée et questeur européenne depuis 2019, membre du groupe PPE (démocrates chrétiens) :

« L’ambiance d’aujourd’hui est très particulière. Il y a un grand sentiment d’injustice. Ce qui est injuste, c’est que l’ensemble de la classe politique européenne soit éclaboussée par ce scandale. Et c’est l’image du Parlement européen qui est profondément et injustement ternie par cette affaire de corruption. »

Satisfecit général : « la justice a fait son travail »

Globalement, si les députés interrogés semblent tous sous le choc, ils veulent croire que l’institution se relèvera plus forte de ce séisme. Tous ont également souligné l’importance de la justice, qui a pu mener son enquête sans entrave (l’immunité parlementaire n’étant pas valide en cas d’enquête en flagrance). Comme un satisfecit général qui dirait aux citoyens européens : « vous voyez, nous ne sommes pas intouchables ».

Anne Sander affirme ainsi, « je me félicite que les autorités aient pu faire ce travail et que ces pratiques aient été démasquées ». Alors que l’enquête menée par le parquet belge se poursuit, les eurodéputés votent la mise en place d’une commission spéciale sur ces faits de corruption. D’autres jours longs et mouvementés à venir au sein de l’hémicycle strasbourgeois.


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