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Théâtre: Gauvain et le chevalier vert, sacré Graal !

Le TNS et le Théâtre National Populaire de Villeurbannes continuent leur mise en scène des relectures des mythes chevaleresques, après Joseph d’Arimathie et Merlin. Entre onirisme et comédie, le troisième mouvement du Graal Théâtre s’invite à la table ronde du TNS du 21 mai au 7 juin.

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Chevaleresque...

Chevaleresque...
Crédits: ©FranckBeloncle

Troisième volet du Graal théâtre, écrit par Jacques Roubaud et Florence Delay, la mise en scène de Julie Brochen et de Christian Schiaretti a de quoi laisser pantois. La mise en scène et la scénographie font dans la démesure, et  honneur à la richesse de la matière littéraire sur laquelle se base la pièce. En effet, les amoureux de littérature médiévale reconnaîtront certains épisodes marquants qui concernent Gauvain dans Perceval ou le conte du Graal de Chrétien de Troyes.

La scénographie, donc, joue de l’immobilité et des mécanismes. La constance du décor est cet énorme édifice mimant moult châteaux, situé côté cour. Au delà de l’imposante immobilité de cette place forte, les mouvements continuels des tentes, des barques ou d’arbres jouent effectivement de cet onirique univers médiéval avec justesse. Les meurtrières et les portes taillées dans cette roche  génèrent le décor et les personnages comme pour rappeler que tout vient de là: de la pierre d’une période qui a perduré mille ans. Le travail scénographique est donc une franche réussite et son esthétique à la mesure des oeuvres qu’il supporte. Les vastes fresques qui servent de rideaux sont clairement inspirées de l’art gothique et participent de l’effort de couleur locale donnée à la pièce.

onirisme burlesque?
Crédits: ©FranckBeloncle

 

Une pièce « oniricomique »

Bien évidemment, un univers médiéval s’imagine difficilement sans combat. Cela d’autant plus lorsqu’une pièce s’ouvre sur une décapitation, plutôt drolatique d’ailleurs. Si toutefois les affrontements que le spectateur verra directement paraîtront un peu mou, d’habiles jeux d’ombres sauront insuffler à certains d’entre eux une belle dynamique ainsi qu’une esthétique notablement travaillée. Les costumes aident à donner à la pièce sa dimension immersive, même si le médiéviste trouvera largement de quoi pinailler (les chevaliers auraient porté plus souvent des chausses dites « poulaines » que des bottes à cette époque.) Le nombre important de comédiens permet d’instaurer des scènes visuellement puissantes.

Le jeu de ces derniers est clairement dans le ton de la pièce, voire de tout le Graal Théâtre. Ne nous leurrons pas, il s’agit d’une pièce burlesque, et le public hilare ne laisse aucun doute quant à la réussite de l’entreprise de Julie Brochen et Christian Schiaretti. Le texte même de Jacques Roubaud semble être un support idéal pour susciter le rire. Les rimes qui semblent s’en échapper, à certains moments plus que d’autres, rappellent le vers de huit syllabes cher à Chrétien de Troyes. La hauteur de la chevalerie est ici contrastée par l’humour. Celui-ci est assuré par des scènes jouant de tous les comiques: jeu dans une langue étrangère, acrobaties suggestives, assiduités avec une belle en présence de son frère… Tout cela confère à la pièce une dimension légère et profondément drôle . Comme on peut s’en douter, ce comique semble à un moment donné être tiré de la série Kaamelott, et une scène bien précise rappellera Sacré Graal des Monthy Pythons aux initiés.

Clin d'oeil volontaire?
Crédits: ©FranckBeloncle

Un rythme soutenu et épique

Soutenu par le décor, un mouvement frénétique parcourt toute la pièce, fragmentée en une multitude de saynètes. Le rythme est donc soutenu, l’allée et venue de personnages multiples assure une vie à cet univers si éloigné de nous. Si Gauvain reste ce « père des aventures » en générant moult tumulte autour de lui, l’esprit de son personnage est respecté: un chevalier dont la force est liée au soleil, et la faiblesse à son amour immodéré des femmes. C’est surtout les personnages hauts en couleurs qui gravitent autour de lui qui font le sel de cette représentation. Il est effectivement « le père des aventures » par sa capacité à se mettre dans des situations délicates autour de personnages dont l’attitude contraste avec la contenance médiévale: la pièce n’en devient que plus accessible.

L’expressivité des comédiens est notable. De la gourgandine accorte au roi parlant simili-norrois, la dimension comique est portée à son paroxysme. Du traducteur parlant simili-suédois au conseiller d’Arthur à l’estomac plus grand que son courage, il serait rude de prétendre que la pièce mise en scène au TNS rate le coche. Les personnages hauts en couleurs ne sont que soulignés par un Gauvain au naturel moins extraverti. C’est ce contraste qui garantit son équilibre à Gauvain et le chevalier vert, entre sources au texte et création comique.

Le risque burlesque

En définitive, le travail scénique et l’humour destinent ce spectacle à tout le monde. Même les puristes du Moyen Âge sauront y trouver des références précises à la matière livresque authentique: il ne s’agit en aucun cas d’une dérision de cette période. Le projet initial de faire cohabiter le comique et l’onirique est réussi, même si le premier l’emporte clairement sur le second.

On notera cependant que la matière médiévale est le support d’un registre burlesque et comique depuis un certain temps déjà. Le vrai pari à prendre avec cette période méconnue, souvent déformée par certains siècles bien-pensants, ne serait-il pas de  magnifier  la hauteur et les résonances cristallines qu’elle voyait en l’homme ?

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