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Thierry Danet : « La Laiterie ne sera jamais une régie municipale »

La Laiterie célèbre ses 20 ans samedi 25 octobre. Un clin d’oeil synonyme de longévité pour cette salle de concerts emblématique de Strasbourg, mais en aucun cas un anniversaire en grande pompe ni, même un bilan figé des années passées. Terre d’activité musicale et de perpétuel mouvement, la Laiterie a récemment subi quelques douloureux imprévus mais rien n’entame sa foi. La Laiterie est dirigée par ses quatre cofondateurs, rencontre avec l’un d’entre eux, Thierry Danet.

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Pour Thierry Danet "la Laiterie est devenu un lieu sur lequel pèse son âge" (Photo Milan Szypura /milanszypura.net )

Pour Thierry Danet, "la Laiterie est devenu un lieu sur lequel pèse son âge." (Photo Milan Szypura / Haytham Pictures)
Pour Thierry Danet, ici à la Coop au Port-du-Rhin, « la Laiterie est devenu un lieu sur lequel pèse son âge. » (Photo Milan Szypura / Haytham Pictures)

Rue89 Strasbourg : La Laiterie n’a pu accueillir aucun concert dans la grande salle entre le 8 octobre et le 22 octobre après un contrôle des services de la municipalité établissant un risque de stabilité des faux-plafonds. Quel a été l’impact pour la Laiterie ?

Thierry Danet : Devoir annuler huit concerts sur une période aussi courte, ça ne nous était jamais arrivé. C’est terrible pour les spectateurs comme pour les groupes qui étaient programmés et pour nous, à la Laiterie. D’autant qu’aucun report de ces dates n’est possible durant les mois à venir. Ce type d’incident éclaire d’ailleurs bien la réalité : pour pouvoir reporter, il fallait s’assurer que les cachets demandés ne soient pas disproportionnés. Mais bien souvent, les tournées de ces groupes (comme Detroit, Sébastien Tellier ou Etienne Daho ndlr) sont très chargées et il aurait donc fallu trouver une date en « one shot ». Mais là, les prix sont trop élevés.

Bien évidemment, c’est la sécurité qui prime, mais cette fermeture va nous coûter beaucoup d’argent : la Laiterie fonctionne avec 70% de recettes propres et on se retrouve donc avec une perte sèche équivalente sur cette période de deux semaines. Notre assurance ne prend pas cela en considération, puisqu’il s’agit d’un défaut du bâtiment. Pour le moment, le faux-plafond de la grande salle a été déposé. Il sera reposé lors d’une période de travaux plus importants, durant un mois, entre Noël et le 20 janvier environ.

« Un lieu, pas seulement un équipement »

Le 25 octobre, la Laiterie aura 20 ans. Quelle importance cet anniversaire a-t-il pour vous ?

Vingt ans, c’est bien sûr important, mais pas tant que ça ! Dans le hall d’entrée, on expose quelques anciennes affiches de ceux qui sont venus jouer à la Laiterie. Cela correspond à des souvenirs particuliers, à des raisons bien précises qui nous appartiennent. Mais ces 20 ans, c’est avant tout un anniversaire étalé sur la saison entière. Rien ne change. Pourquoi faudrait-il un événement qui résumerait tous les autres ? En réalité, avec cet anniversaire, on reste sur la même ligne que celle de toutes les années précédentes : proposer des concerts car chaque concert est quelque chose de neuf. Et puis dès le début, en 1994, on défendait déjà le fait que la Laiterie soit un lieu et pas seulement un équipement. Ça n’a pas changé aujourd’hui.

Comment voyez-vous le rôle de la Laiterie aujourd’hui à Strasbourg ?

C’est un lieu qui se nourrit de ce qui s’y passe. Les spectateurs s’y croisent mais pas forcément dans une unité de temps. C’est une succession d’esthétiques et chaque soir, j’ai une position privilégiée en étant là pour observer. C’est pour cela que j’ai vraiment l’impression que la Laiterie fait aujourd’hui pleinement partie du paysage sonore, musical et urbain de Strasbourg. Elle draine un flux de publics très variés dans un quartier où, à l’époque, quasiment personne n’allait. On a donc réellement investi tout un secteur de la ville et nous comme les spectateurs, nous en sommes devenus des acteurs.

D’où est venue l’envie et le besoin de créer la Laiterie ?

Avant d’ouvrir la Laiterie en 1994 avec Nathalie Fritz, Patrick Schneider et Christian Wallior, j’ai connu l’époque du Bandit entre 1983 et 87 (un club rock qui a marqué les années 80 à Strasbourg, au 22 rue de Bouxwiller, ndlr) quand je jouais avec un groupe, M et les Maudits. Le Bandit a été un moment très important à Strasbourg, avec des groupes très excitants. Après sa fermeture, il se passait encore des choses, des lieux étaient investis par des associations, on pouvait voir des concerts au Fossé des Treize, au Palais des Fêtes, à la Salamandre, au Village, etc.

Par la suite, en 89, c’est l’époque Radio Campus et j’ai l’occasion de pouvoir refondre le projet. C’est de là que date ma rencontre avec Nathalie Fritz, Patrick Schneider et Christian Wallior. Tous les quatre, on avait l’envie d’attacher de l’importance à un événement lié à ce que l’on passait à l’antenne, aux artistes qu’on diffusait. Il fallait donc un lieu même si des concerts se tenaient déjà salle de la Bourse, à la Marseillaise, à l’Ange d’Or, au centre socio-culturel de Neudorf. Au printemps 94, la Ville a lancé un appel d’offres sur la Laiterie, notre projet a été retenu, la salle a ouvert le 25 octobre 1994.

« Programmer beaucoup de concerts pour tenir le modèle économique »

Quels étaient les objectifs dès le départ ? Quel a été le modèle économique ?

Au début de l’aventure, pour notre toute première saison, notre budget s’élevait à 3,5 millions de francs, dont 96% de recettes propres. Il nous a fallu cinq ans pour avoir un financement lisible : 80% de recettes propres, c’est-à-dire que la Laiterie a été dès le départ portée en très grande majorité par ses spectateurs, et 20% d’argent public, très majoritairement la Ville et une part du ministère de la Culture. Immédiatement, notre volonté était d’avoir un rythme soutenu pour les concerts, pour trois raisons précises : il fallait créer une habitude et donner aux gens des raisons de venir. On voulait aussi ouvrir le lieu à une série d’esthétiques très différentes. Enfin, il y avait des raisons économiques car programmer beaucoup de concerts nous permettait de tenir notre modèle économique.

Mais il faut aussi souligner qu’en validant notre projet, à l’époque, la mairie (Catherine Trautmann (PS) était maire en 1994, ndlr) a eu un geste politique et culturel très fort, car le lieu a été créé ex-nihilo. Le modèle de la Laiterie a été inventé, ça n’existait pas en France (la salle de L’Olympic, à Nantes, ouvre en 1995 ; elle a été rebaptisée le Stéréolux en 2011, ndlr) d’autant plus que les concerts et la musique live n’étaient pas considérés comme de la culture mais comme du divertissement, car les gens étaient prêts à payer pour consommer. La Ville de Strasbourg a donc tranché dans le vif en 1994, avec une position novatrice et déterminante, et depuis, ça n’a jamais été remis en cause par les municipalités suivantes.

« Une aventure profondément humaine »

Je voudrais aussi souligner que si la Laiterie parvient à fonctionner depuis vingt ans, c’est grâce à son équipe. Certains sont là depuis le début, des salariés comme des intermittents, beaucoup ont commencé chez nous il y a au moins dix ans voire plus, par des stages ou des emplois aidés ensuite passés en CDD. En tout cas, le turnover (le roulement) est assez faible et la Laiterie est aussi et surtout une aventure profondément humaine.

Vingt ans de Laiterie, voilà qui appelle tout de même à penser à la suite. Comment évoluer et comment penser cette évolution ?

Très clairement, la Laiterie est devenu un lieu sur lequel pèse son âge. Il y a un vrai problème de jauge pour les concerts dans les deux salles, il y a des problèmes logistiques et pratiques et même si on y est très attaché, il faut se rendre à l’évidence : il est obsolète et n’est plus adapté. En fait, ces vingt ans de Laiterie, ce sont vingt ans de solutions trouvées par Artefact pour pallier les problèmes que pose la Laiterie.

Quelles sont alors les solutions désormais ? Un déménagement vers la Coop et le quartier du Port du Rhin ?

Tout cela ne dépend pas seulement de la Laiterie, mais bien évidemment de la Coop et de la Ville de Strasbourg (voir l’interview d’Alain Fontanel, premier adjoint au maire et en charge de la culture, ndlr). Nous avons avec la mairie une vraie relation de partenaires et notre projet n’est pas du tout d’être dans une régie municipale, ça ne l’a jamais été et cela ne le sera pas. Avec l’exemple de la Coop et des trois éditions d’Ososphère qui s’y sont tenues depuis 2012, la motivation était de construire le récit de la ville, construire l’espace public en fonction du mouvement de Strasbourg, et ce mouvement s’opère vers l’est, vers le port, le Rhin et l’Allemagne.

Il y a deux ans, en installant Ososphère à la Coop, très peu de monde avait déjà mis les pieds dans ce quartier. En trois éditions, 35 000 personnes y sont allées et désormais plus personne ne se pose la question de s’y rendre ou pas. Cela montre bien que nous sommes dans une articulation entre l’initiative, l’expertise, l’intuition d’un projet et la puissance publique. Pour construire quelque chose et pas simplement créer un nouvel équipement.

Aller plus loin

Sur Coze.fr : Thierry Danet, l’intégrale

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