

Des parents ou de l'homme-insecte, qui est le plus monstrueux? Photo Franck Beloncle
Le metteur en scène Sylvain Maurice tente un pari risqué au TNS jusqu’au 31 janvier : porter La Métamorphose de Kafka sur scène. Une représentation mi-figue mi-raisin de l’ « inquiétante étrangeté ».
La Métamorphose, parue en 1915, est un de ces monuments discrets mais sûrs. Qui n’a jamais entendu parler d’un certain Gregor Samsa, abasourdi de se réveiller un matin transformé en une « vermine », sorte de cafard répugnant tout le monde ? Surtout sa famille, qui n’hésite pas à se débarrasser de plus en plus cruellement de cet étrange parasite. Comme dans Le Procès, on accuse ici les innocents, on est condamné sans raison et on ne sait jamais pourquoi. Après Sénèque, Dahl, Ibsen et Poe, c’est à ce sacré morceau que se sont attaqués le metteur en scène Sylvain Maurice et la Compagnie.

L'apparence de Gregor Samsa est toujours évitée. Au spectateur d'imaginer "la bête" (Photo Franck Beloncle)
Cette adaptation, qu’il dit lui-même « très libre », n’a rien à voir avec une simple mise en scène du texte. D’ailleurs, le texte disparaît. Ne demeurent que la trame et le thème majeur de l’œuvre : la monstruosité aux apparences trompeuses. Sylvain Maurice a fait le choix de refuser le narratif, le personnage narrateur ou le monologue intérieur, pièce maîtresse chez Kafka. Au lieu d’appréhender Samsa du dedans, le spectateur reste dehors. Dès le départ, l’homme-cafard s’érige en mystère, caché dans une armoire qui sera sa potence. On ne l’entend pas parler, juste émettre d’inquiétants babils. En somme, Samsa est déjà mort.
Le seul accès à celui qu’on finira par appeler la « chose » est une caméra subjective, très astucieusement placée dans sa tanière. Grâce à elle, nous voyons ce que voit Samsa : sa famille de plus en plus distante, le monde qui se déforme, la cruauté et l’indifférence. L’utilisation de l’image, entre gros plans façon film d’épouvante et ralenti pathétique, est aussi intelligente que celle du son, alternant angoisse, ironie et légèreté. L’ensemble invente des images frappantes, une véritable fantasmagorie.

Le metteur en scène Sylvain Maurice a choisi la caméra subjective plutôt que le monologue intérieur pour plonger dans l'esprit de Grefor Samsa (Photo Franck Beloncle)
Oui, mais voilà… A trop épurer le narratif, à trop miser sur l’efficacité de l’audiovisuel, on en perd un peu de sel. A l’instar du plateau, qui ne cesse de tourner sur lui-même, la pièce et les personnages semblent pris dans une course effrénée. Après une entrée en matière quelque peu rapide, l’aventure se déroule en une succession de saynètes qui ne manquent ni d’humour ni de charme, mais de durée. A peine a-t-on l’occasion de faire connaissance avec le père, la mère, la sœur, qu’ils entament eux-aussi leur métamorphose, très vite effleuré à gros traits. Seuls les morceaux de violon joués par Grete, la sœur, permettent de suspendre un peu le sprint. Mais ils ne suffisent pas à rétablir un rythme qui aurait sans doute mieux installé cette fameuse « inquiétante étrangeté » et laissé une place encore plus grande à l’imagination du spectateur.
Il n’en reste pas moins que Sylvain Maurice et sa troupe réussissent à mêler avec habileté le rire et le malaise dans une perspective totalement décalée. Dommage qu’à la sortie reste l’impression d’avoir glissé à la surface de la carapace de Samsa.
Y aller
Métamorphose au TNS, d’après l’œuvre de Franz Kafka, du 17 au 31 janvier, du mardi au samedi à 20h, dimanche 27 à 16h, relâche les lundis et le dimanche 20. Tarifs: de 5,50€ à 27€. Billetterie sur place, au 03 88 24 88 24 ou sur www.tns.fr
1 avenue de la Marseillaise.
Freud est bien sur présent. Les caractères des personnages bien rendus.Les connaisseurs apprécieront, je conseille de voir cette pièce pour retrouver l'univers de kafka et comprendre l'absurdité de nos existences.Bien que les joies soient présentes, heureusement.
Le terme d' "inquiétante étrangeté "( Unheimlichkeit) qui se tient a priori pour Kafka et aussi ce texte, m'avait fait craindre une sorte de délire freudien, Mais on a là un texte littéraire ( heureusement "pas d'école de journalisme " Marie ;) ) qui donne l'envie de voir la pièce en même temps qu'il propose de la découvrir avec intelligence en un dialogue fécond.
Sans parler de l'excellent réflexe qu'il provoque chez moi d'aller trouver le texte dans ma bibliothèque ! Bon, au fil des années il y a les oeuvres complètes de Thomas Bernhard qui ont pris le devant, mais Kafka garde le dessus puisqu'il est dans la rubrique "littérature germanique" au-dessus de tous les autres bouquins à l'horizontale avec l'Amérique tout au-dessus mais cela juste sans doute pour qu'il garde les autres ( Le Journal surtout !) !de la poussière....
Et puis le fameux dernier paragraphe à la Wicker ! (Oui, mais voilà… )
Antoirne aurait écrit au lieu de " A trop épurer le narratif," Et le narratif à trop épurer ? Non il aurait écrit "à épurer trop le narratif". En fait non il aurait érit exactement dans le même ordre. A vous de trouver la fameuse inversion wickerienne ailleurs... ,-)
En tous les cas merci pour le désir !
A y aller à tout prix ! Et comme disait Goethe : "Wieder Lust auf Feigen" Du coup on peut avoir un peu de pitié pour les raisins, non ?