

Les cliniques Sainte-Odile, Adassa et Diaconnesses seront regroupées fin 2016 au Port-du-Rhin, face à la résidence des deux-Rives (Document remis)
Fin 2016, les cliniques Sainte-Odile, Diaconnesses et Adassa se regrouperont sur un site unique au Port-du-Rhin. Ce projet, baptisé Tamaris, coûtera 100 millions d’euros. Une part devrait être financée par l’Etat, la communauté urbaine de Strasbourg mettant à disposition un terrain pour une bouchée de pain. Syamak Agha Babaei, conseiller municipal PS et médecin urgentiste, pose la question de l’opportunité de financements publics pour ce projet privé.
Le projet Tamaris auquel la communauté urbaine de Strasbourg a donné son feu vert en juillet prévoit la mise à disposition avantageuse du terrain de l’ancien foirail à un regroupement de trois cliniques dites non lucratives, doit nous interroger. Si le regroupement de cliniques privées participant au service public hospitalier est à regarder avec un a priori positif, cela ne doit pas exempter la puissance publique de poser des questions, fixer des règles et jouer son rôle de régulation dans l’aménagement sanitaire du territoire, mais aussi dans l’accès aux soins.
Les deniers publics doivent être réservés au public
Le premier questionnement que les collectivités doivent se poser dans ce cas d’école est de savoir si la puissance publique doit aider des cliniques privées. Sans être dogmatique, on peut penser qu’à l’heure où le déficit budgétaire des hôpitaux publics atteint des sommets et n’épargne aucun grand établissement de santé, les deniers publics doivent être réservé au public.
Après cette assertion, essayons de comprendre l’origine des déficits budgétaires. S’il n’existe pas de réponse unique, dans ce domaine comme dans d’autres, nous prenons le parti de désigner le passage à la tarification à l’activité comme un coup décisif porté par les néolibéraux au système de santé public en France. Avant les années 2000 et les coups portés par les ministres de droite (Douste-Blazy, Bachelot et consorts), l’hôpital public était financé sur le même mode que les collectivités, avec une dotation globale de fonctionnement abondée selon les besoins en fin d’exercice. Ce modèle permettait d’avoir un équilibre budgétaire a priori des établissements publics. Il considérait également les hôpitaux publics comme des services publics d’où l’on évacuait les notions de rentabilité. En effet, en quoi prendre soin de nos concitoyens doit être ou devenir rentable ? Au nom de quoi, sinon une conception marchande globale du monde contemporain, ne devraient persister que les structures rentables ?
Le paiement à l’acte ou la concurrence entre public et privé
Ce regard qui a infecté depuis plus de trente ans les élites françaises a d’abord fait son entrée à l’hôpital par l’importation des modes de gestion emprunté au monde de l’entreprise. Compression des coûts, économies à tout va, avec un seul horizon une gestion excédentaire qui rendrait l’hôpital public compétitif sur le grand marché de la santé que certains veulent voir naître en France et en Europe. Après avoir fragilisé un hôpital public qui comme l’ensemble des services publics était désigné comme défaillant, alors qu’une majorité de français lui faisait confiance, les néolibéraux (dont les connexions avec les lobbys pharmaceutiques et affairistes se sont fait jour par la suite) ont pesé de tout leur poids pour importer le mode de financement des cliniques privées, avec la tarification à l’activité (paiement à l’acte) à l’hôpital public. L’application de la T2A préparait la concurrence entre le public et le privé d’une manière inédite.
Spécialisation dans le patient le plus rentable
Les cliniques privées, y compris un certain nombre de celles dites « non lucratives » [le groupe Adassa-Diaconnesses-Sainte-Odile en est un, ndlr], s’étaient depuis longtemps spécialisées dans les actes rémunérateurs à haute technicité et à faible coût. L’exemple de la chirurgie ambulatoire est éloquent. Dans le système de la tarification à l’activité, la rentabilité augmente avec la technicité du geste mais surtout en abaissant l’élément le plus structurant du coût, la durée du séjour à l’hôpital.
Ainsi, alors que l’hôpital public se devait et se doit d’accueillir tout le monde, certaines cliniques privées se sont spécialisées dans le patient le plus rentable, en instaurant un système de santé à deux vitesses. Dans cette course, nul besoin d’être expert pour voir que la prise en charge d’une personne âgée ou fragile ou socialement isolée ne peut pas être rentable selon les critères du monde l’entreprise. Les décideurs politiques de l’époque étaient soit aveugles, soit aveuglés par une idéologie de marchandisation à tout va.
Rentabilité, horizon indépassable de toute parole publique
Depuis lors la grande majorité des hôpitaux publics se trouve en situation de déficit budgétaire structurel, déficit fabriqué sur mesure pour servir le privé. Quelles furent les mesures immédiatement évoquées par les mêmes décideurs : compression des coûts, de personnels, restructuration… La même rengaine que nous connaissons depuis 30 ans et qui mine notre société. La boucle était bouclée et la défaillance du public désignée à nouveau par les mêmes experts qui l’avaient fabriquée au service d’une conception marchande de la vie en société et de la vie tout court.
L’exemple de la fermeture de l’hôtel-Dieu à Paris par la direction de l’AP-HP et de la mobilisation sociale et civile est symptomatique de cette situation. A partir du moment où la réduction du déficit budgétaire devient l’horizon indépassable de toute parole politique, technique, managériale et médiatique, alors la raison et le bon sens disparaissent. Fermer un service d’urgence public en plein milieu de Paris ne pose de problème à personne. Parfois, l’enfermement idéologique et l’aveuglement de certains décideurs de gauche y contribuent, comme Jean-Marie Le Guen, député socialiste de Paris, expert auto-désigné des questions de santé (après son compagnon Claude Evin, qui finit chez Sarkozy).
Or la mise en concurrence de notre système de santé, dans un match à mort dont les règles ont été taillées sur mesure pour le privé, est dévastatrice en termes d’accès aux soins. Ajoutée à la désertification médicale, à la pratique détestable de dépassements d’honoraire, elle fait le terreau d’un système organisé d’inégalité d’accès aux soins. C’est dans ce cadre conceptuel qu’il nous faut inscrire le débat sur l’installation des trois cliniques privés sur un terrain cédé avantageusement par la communauté urbaine de Strasbourg, et dont la construction bénéficiera d’autres aides publiques de la part de l’Etat.
Le privé ne joue pas le jeu des « urgences »
Est-ce bien le moment d’aider à la création d’un pôle privé de santé ? A cette question beaucoup d’experts répondront que s’agissant de cliniques à but non lucratif, il n’y a pas problème. L’épisode récent de la mobilisation des personnels des urgences des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg a montré le contraire. En effet, et en se cantonnant à la prise en charge des urgences, nous observons, les chiffres de l’ARS à l’appui, que les services d’urgences privés ne prennent en charge les mêmes patients que l’hôpital public. Si leur participation au service public hospitalier et l’agrément « urgences » les oblige à n’opérer aucune sélection, l’évidence montre que la plupart des personnes âgées, fragiles, socialement isolées sont prises en charge à l’hôpital public, mais même au-delà, l’immense majorité des pathologies lourdes sont prise en charge par l’hôpital public (taux d’hospitalisation de près de 75% des personnes âgées dans le public contre 3% dans un des services d’urgences privé).
Il est de bon sens d’en tirer la conclusion suivante : alors que les missions définies par la loi sont les mêmes, que les modes de financement sont les mêmes, certains ne jouent pas le jeu de l’accès de tous à des soins de qualité. Remarquons que lors du mouvement des urgences à Strasbourg en février-mars 2013, le plus grand défenseur des urgences privés fut le directeur de l’ARS, préfet sanitaire et en charge de garantir l’égalité d’accès aux soins… Allez comprendre !
Quelle valorisation immobilière des cliniques au centre-ville ?
Pour toutes les raisons évoquées plus haut, il aurait été préférable de conditionner la mise à disposition du terrain à des obligations de garantir l’accès aux soins notamment pour les quartiers périphériques de Strasbourg, notamment le plus pauvre de tous, le port du Rhin. Enfin, il appartient à chacun de s’interroger sur les valorisations immobilières que les trois cliniques tireront de la cession des ensembles immobiliers, tous biens situés au cœur de la ville.
Cet exemple comme tant d’autres, montre que la santé est aujourd’hui un objet de convoitise et que sa marchandisation poursuit d’autres objectifs que l’accès aux soins. Aussi, les collectivités et les élus qui les gèrent doivent la se poser question de l’accès aux soins et ses déterminants dans le débat public et il appartiendra aux citoyens de s’en emparer vigoureusement. La démocratie n’est jamais plus vivante que le lorsque l’humain l’emporte sur le marchand et le politique sur l’économique. L’accès de toutes et tous à des soins de qualité et la constitution d’un continuum de soins n’est pas une question technique. C’est un même un enjeu politique et citoyen de premier ordre.
Syamak AGHA BABAEI
Médecin urgentiste aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg
Membre de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF)
Conseiller municipal PS de Strasbourg
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : le projet Tamaris regroupera 3 cliniques aux Deux-Rives fin 2016
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Catégorie : Droit de réponse
Publié le mercredi 31 juillet 2013 09:25
par le docteur jérôme marty, président de l'ufml
Cher confrère,
Vous avez récemment publié un article sur le site rue 89 au titre de votre fonction de conseiller municipal PS de Strasbourg, à moins que ce ne soit au titre de votre fonction de médecin urgentiste, la teneur de l’article ne permet pas de savoir exactement si c’est le médecin ou l’homme politique qui s’exprime, ce qui, convenez-en, enlève tout de même beaucoup de poids à vos écrits.
Lorsque l’idéologie politique se heurte à l’expérience de terrain, le choc est souvent violent et la vérité des faits en sort souvent déformée…
Vous nous dites, et c’est le fond de votre article, « les deniers publics doivent être réservés au public » ce qui n’est pas sans nous rappeler la vieille lutte école publique, école privée que les plus anciens d’entre nous ont vécu …
L’idée est belle, mais la réalité, vous le savez comme nous, s’y oppose.
La sphère publique, par ses règles politiques et administratives, impose souvent la participation du « public » aux restructurations, constructions, achats de matériels lourds du privé. Ce sont en effet les ARS qui contractualisent avec les établissements et autorisent telle ou telle ouverture, telle ou telle création ou transformation de service pour le public comme pour le privé. Les deux secteurs interagissent souvent l’un sur l’autre, les ARS fermant une activité du public pour la reporter sur le privé et inversement, voir même créent des GCS, où privé et public collaborent.
Dès l’instant où la sphère privée n’est plus libre de ses projets, dès l’instant où la sphère publique impose sur les bases du PRS et des SROSS votés et contractualisés par les deux parties privées et publiques, il n’est pas choquant, hormis pour le point de vue «pur » de l’idéologue, que la sphère publique finance (Pour partie).
Mon cher confrère, je ne reviendrai pas sur vos paroles, qui nous parlent d’un temps où les budgets globaux des hôpitaux leur assuraient un équilibre budgétaire… Ce temps n’a jamais véritablement existé, il y avait une culture du déficit, masquée par une enveloppe toujours obtenue…
Attardons-nous plutôt sur ce que vous appelez la concurrence entre le public et le privé, l’importation des modes de gestion empruntés à l’entreprise… Au risque de vous surprendre, vous avez raison, cela est dangereux ; nous partageons le constat, cela est dangereux pour les patients, pour les personnels soignants, pour les médecins.
Mais avant de parler des conséquences, parlons des causes : l’hôpital public, l’APHP en particulier, a été lentement massacré par sa sphère administrative qui s’est développée, toujours plus grande, toujours plus nombreuse, toujours plus lourde, toujours plus vorace, toujours plus chère. Ainsi on a pu dénombrer jusqu'à un administratif pour un soignant à l’APHP. Les médecins, progressivement et parallèlement à cette montée en puissance, se sont vu éloigner des postes décisionnaires, petit à petit, la gouvernance les a exclus et la construction de leur avenir et de celui de l’hôpital s’est faite sans eux. Il y a là de nombreuses similitudes avec la médecine de ville.
La T2A, une fois le modèle « budget global » livré à la vindicte, s’est mise en place sans avis des soignants de terrain ; il en fut de même pour le secteur privé, l’idée de convergence n’était en elle-même pas choquante pour une pathologie et un soin identiques, le coût devait être identique, l’idée était séduisante…Mais impossible au regard du système.
Vous nous parlez, et l’idéologie reprend le dessus, de la vieille antienne chère au parti socialiste : le privé ne soigne pas les mêmes pathologies, privilégie les pathologies les plus lucratives etc…
Si ce raisonnement était vrai il y 20 ans en pleine époque du budget global, la modification de gestion du système avec l’apparition des ARH puis des ARS et les pleins pouvoirs qui leur ont été accordés démolissent votre argumentaire.
Les cliniques qu’elles soient « à but lucratif » ou ESPIC ne peuvent décider de leur activité, comme l’hôpital public , ne le peut plus non plus, nous en avons parlé ; de plus le développement des structures, le rachat des structures indépendantes de petite taille, les regroupements, les fonds de pensions ont modifié la cartographie.
Tout est devenu marché, et l’oncologie, les urgences, les services de grands brûlés, la neurologie lourde ne sont plus rares dans le privé, bien au contraire.
Oseriez-vous dire que le secteur privé filtre les patients atteints de pathologie cancéreuse ? Repousse aux portes des services d’urgence les patients au regard de leurs affections ? (ce serait oublier bien vite que la régulation et les SAMU sont publics).
Votre raisonnement est exact cependant au moins pour les proportions pour le secteur des personnes âgées : c’est exact, il s’agit souvent encore d’un secteur « gardé » par l’hôpital public et les dossiers du privé jusqu'alors restaient lettre morte auprès des ARS, mais là encore les temps changent.
La modification du décret régissant les SSR (moyens séjours) a fait apparaître la spécialité PAPD (personne âgée polypathologique et dépendante), de nombreux services publics et privés ont ouvert et se sont inscrits dans la filière gériatrique, souvent dirigée …par l’hôpital centre d’enseignement (mais dans certaines régions des structures privées ont obtenu ou vont obtenir le titre de pôle de référence, les temps changent…), vous le voyez tout n’est pas si simple.
Les SSR privés puisque nous en parlons, n’ont pas la T2A, ils sont soumis au même décret-loi que le secteur public : même nombre de personnel, même activité, même malades, médecins salariés et pourtant les prix de journée du secteur privé sont inférieurs au secteur public (plus de 50 % à 60 % dans certaines régions !!!)
« Le déficit public est fabriqué sur mesure pour servir le privé ! » écrivez-vous. Diantre ! Quelle accusation péremptoire, votre idéologie, une fois de plus, vous égare. Les compressions de coût, de personnels, les restructurations à marche forcée, le privé les a subies également. Mêmes victimes à long terme : les patients et les soignants.
Effectivement les fonds de pension, les groupes se sont développés, mais ce phénomène était plus mondial que territorial. Les hôpitaux ont pris en pleine face la nécessité d’une gestion « ordonnée » ; là encore le phénomène était plus mondial que territorial.
Le virage, brutal a laissé les médecins, les soignants au bord de la route, hébétés, blessés dans leurs chairs, mais n’était-ce pas un peu de leur faute ?
L’UFML dénonce depuis sa création une organisation du soin qui ne tient pas compte des avis des professionnels, qui nomme des experts administratifs aux ordres, ou désigne des experts autoproclamés, faux médecins et vrais administratifs qui collaborent avec ce système et desservent une profession plus qu’ils ne la servent.
Mon cher confrère, pendant la crise la vente continue ! La loi Le Roux sur les réseaux de soins que votre gouvernement va voter , va livrer à terme, et vous le savez, la santé aux financeurs. La marchandisation de la santé c’est maintenant, la fin du système solidaire c’est maintenant.
Les mutuelles aux 6 % d’augmentation de CA chaque années, aux 40 milliards de chiffre d’affaire (15 milliards il y a 10 ans) aux 8 milliards de bénéfices, aux dépenses publicitaires et de sponsoring, au parc immobilier, aux propriétés viticoles indécentes, vont peu à peu, avec votre soutien, remplacer la Sécurité Sociale.
Faut-il vous rappeler que les cotisations ne sont en l’occurrence pas basées sur les revenus? Voulez-vous vraiment d’une médecine low cost?
Vous nous parlez dans une discussion du S2, vous ne l’aimez pas! C’est votre droit! mais reconnaissez que celui-ci ne s’est imposé que parce que la Sécurité sociale a déremboursé, oui déremboursé la chirurgie libérale, bloquant ses tarifs depuis 20 à 30 ans !
Les mutuelles pouvaient très bien prendre en charge les 1 à 2 % d’augmentation annuelle (le coût de la vie) du S2 au regard de leurs bénéfices. Un an de bénéfices des mutuelle = 1 siècle de dépassement de la chirurgie.
30 euros par Français! Voilà le coût réel du S2! Pour 600 euros de cotisation aux mutuelles (qui, sur ces 600 euros, ne rendent pas le 1/3 au secteur sanitaire).
Voilà des chiffres imparables, réels, sans idéologie.
Je ne vous ferai bien sûr pas l’affront de vous rappeler que c’est notre ministre qui a, l’an dernier au congrès de la Mutualité française, légalisé l’opacité des comptes des mutuelles … (servant au passage les intérêts de nombre de partis politiques).
Mon cher confrère, l’UFML n’est pas un groupe ultralibéral comme vous vous plaisez à le croire (l’idéologie encore, l’idéologie toujours…) non, l’UFML regroupe en son sein des médecins du secteur public (PH , PUPH…) des externes, des internes, des médecins spécialistes de villes et d’établissements, des généralistes, des S1 des S2, des S3, des médecins retraités, mais également d’autres professions de santé.
Tous unis dans un seul but, redonner aux médecins et aux soignants le respect, la reconnaissance, la considération qu’ils méritent et leur permettre de reposer la main sur leur avenir, sur l’avenir de la médecine de France.
Cela impose naturellement le fait d’enlever du pouvoir aux politiques et administratifs, une part de vous-même peut être…
Nous avons la faiblesse de croire que les médecins du public comme du privé, lorsqu’ils savent dépasser les clivages patiemment entretenus et construits, sont les vrais experts du système !
Et nous entendons nous battre chaque jour pour qu’ils reprennent leur place et obtiennent ce qui leur est du