À l’unanimité, le conseil municipal de Strasbourg du lundi 22 janvier a voté pour la dissolution du Bastion Social Strasbourg et la fermeture de son local rue Vauban, L’Arcadia. Les deux élus du Front national n’ont participé ni au débat, ni au vote alors qu’un de leur anciens colistiers fait partie des membres fondateurs. Jean-Luc Schaffhauser était une nouvelle fois absent et Julia Abraham avait quitté la séance avant ce point.
Mais ce vote des élus, qui a engendré nombre de réactions, est avant tout symbolique, comme le rappelle Me Pierre-Etienne Rosenstiehl, avocat au barreau de Strasbourg et spécialiste de droit public :
« Le conseil municipal n’a aucune compétence en la matière. Ce n’est qu’un vœu politique d’une assemblée délibérante. Les associations sont libres. Depuis 1971, le Conseil Constitutionnel a érigé la liberté d’association en liberté fondamentale. »
Quelles sont dès lors les voies légales pour fermer l’établissement ? Pierre-Etienne Rosenstiehl distingue le cas du bar associatif et la dissolution du groupuscule identitaire. Une procédure permet d’arrêter les activités du local, deux autres peuvent aboutir à la dissolution du Bastion Social Strasbourg, officiellement nommé Solidarité Argentoratum.
Les règles du bar associatif
L’Arcadia est un bar associatif réservé aux adhérents. Il ne peut avoir comme objectif de réaliser des bénéfices. Les breuvages vendus doivent appartenir aux groupes 1 à 3 de la classification officielle des boissons. Il y est donc interdit de consommer des alcools plus forts que le vin, la bière, le cidre et les liqueurs de plus de 18 degrés d’alcool pur.
D’autres règles sont à respecter du point de vue de la sécurité et de l’hygiène. Mais il y a peu de chance que la préfecture s’engage sur cette voie. Pierre-Etienne Rosenstiehl explique :
« Chercher des poux au niveau de l’habitat, du sanitaire ou du débit de boissons, c’est un échec annoncé. À moins qu’il y ait des rats partout et des gros problèmes d’hygiène, L’Arcadia ne sera pas fermé parce que les gérants contreviennent aux règles sur l’hygiène ou sur l’alcool vendu. Ce serait un détournement de procédure. »
Le 4 janvier, le président du Bastion Social Strasbourg accordait un entretien à Rue89 Strasbourg. Il avait alors montré son attention aux règles qui régissent la tenue d’un bar associatif :
« L’entrée est réservée aux adhérents et aux sympathisants qui sont amenés à prendre leur carte. On est un bar associatif, on joue gros s’il y a un contrôle. Donc les personnes dans le bar sont celles qui ont le droit de consommer parce qu’elles sont membres. […] On est très vigilant sur absolument tout. »
La procédure au tribunal de grande instance
Autre voie à envisager, le tribunal de grande instance de Strasbourg peut prononcer la dissolution d’une association. Dans le cas du Bastion social Strasbourg, cela entraînerait automatiquement la fermeture du local. La procédure peut être initiée « à la demande de toute personne y ayant un intérêt direct et personnel ou du Procureur de la République lorsqu’elle est fondée sur une cause ou en vue d’un objet illicite, contraire aux lois ».
Selon Pierre-Étienne Rosenstiehl, la saisine du tribunal de grande instance semble être la procédure la plus simple. Néanmoins, les cas sont très rares :
« Toute personne intéressée peut saisir le tribunal de grande instance. Je pense à la Ligue des Droits de l’Homme ou à la Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme (Licra). Mais il faut monter un dossier solide pour parvenir à ses fins. De plus, depuis deux ou trois ans, il n’y a pas eu de jurisprudence à Strasbourg sur ce point. Difficile d’anticiper ce que le tribunal peut décider face à la situation actuelle. »
Le tribunal de grande instance de Nice a dû se prononcer sur le sort de l’association « Roya Citoyenne » en novembre 2017. Olivier Bettati, un élu proche de Marion Maréchal-Le Pen, avait demandé la dissolution du groupe venant en aide aux migrants dans la vallée entre la France et l’Italie. Le tribunal niçois avait refusé de dissoudre l’association. Dans la décision du tribunal, on trouve l’argument suivant :
« L’association défenderesse n’ayant fait l’objet d’aucun condamnation et ne pouvant, en l’état des pièces produites, être considérée comme étant à l’origine de déclarations ou d’actes illégaux, voir séditieux, en prétendant porter assistance, à titre humanitaire, à des migrants en détresse, parmi lesquels se trouvent des mineurs non accompagnés. »
Même voie légale, différent demandeur : le préfet du Bas-Rhin, Jean-Luc Marx, peut aussi saisir le tribunal lui-même pour demander la dissolution du Bastion Social Strasbourg. Mais les services de l’État observent une prudence fort pratique sur ce dossier et se bornent à produire cette réponse, qui force le respect, lorsqu’ils sont sollicités :
« La situation et les activités de leur local associatif sont suivies avec attention. Dès lors que des irrégularités ou infractions seraient constatées, l’ensemble des voies et moyens juridiques à la disposition des différentes autorités serait mis en œuvre. »
Le décret du conseil des ministres
La seule autre solution consiste à passer par le conseil des ministres, qui peut dissoudre une association par décret. Le gouvernement doit alors justifier que le groupe incite « à la discrimination, à la haine ou à la violence […] à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Six autres motifs de dissolution, autour des groupes de combat et des milices privées, existent.
D’après une information confiée à Rue89 Strasbourg, le député de la circonscription Thierry Michels (LREM) constitue actuellement un dossier étudiant toutes les solutions pour fermer L’Arcadia. Le décret du conseil des ministres en fait partie. « Mais ce n’est pas la procédure que nous privilégions », précise Nicolas Fuks, collaborateur parlementaire du député. Me Rosenstiehl commente cette voie :
« L’article L212-1 du code de la sécurité intérieure permet bien de dissoudre une association par décret du Conseil des Ministres mais c’est une procédure très lourde. »
Sous le quinquennat de François Hollande, cette voie avait été utilisée pour dissoudre plusieurs associations, dont « Retour aux sources », « Le retour aux sources musulmanes » et « Association des musulmans de Lagny-sur-Marne ». Le motif invoqué dans le décret du 14 janvier 2016 était la promotion d’une « une idéologie radicale, provoquant au jihad, et à organiser le départ de combattants en zone irako-syrienne. »
En 2012, le gouvernement français a étudié la possibilité de dissoudre Génération Identitaire. La procédure juridique, au tribunal de grande instance, n’était pas exclue. Depuis, le groupuscule d’extrême-droite est toujours actif. Le 15 juin 2017, plusieurs eurodéputés socialistes et radicaux ont demandé au ministre de l’Intérieur de dissoudre ce groupuscule. Une demande restée lettre morte.
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