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« Une dernière gorgée de bière » ou comment les brasseurs jouent les « pigeons »

Grâce à une campagne web et média intense, des entrepreneurs, se faisant passer pour les « pigeons » du système, sont parvenus à faire reculer le gouvernement qui prévoyait une fiscalité en hausse sur les sociétés. Après l’annonce d’une augmentation de la taxe sur la bière en 2013, les brasseurs se sont eux aussi lancés dans une e-campagne sous la bannière « une dernière gorgée de bière ». Mais c’est grâce au lobbying à l’ancienne qu’ils pourraient voir leur combat aboutir.

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« Une dernière gorgée de bière » ou comment les brasseurs jouent les « pigeons »

Banderole contre l'augmentation des taxes sur la bière à la brasserie Saint-Pierre (centre-Alsace) (Document remis)

Plus de 6300 fans Facebook mardi soir, alors que la page a été créée vendredi 12 octobre. Et le chiffre augmente toutes les heures : + 1500 likers ces 24 dernières heures. Son crédo :

« Pour que la prochaine gorgée de bière ne soit pas la dernière, likez cette page. Si le projet de taxe du gouvernement devait aboutir, la bière serait beaucoup plus chère. Mobilisons-nous pour garder nos instants de convivialité ! »

Ouverte par l’Association des brasseurs France, syndicat national qui regroupe une centaine d’entreprises en France, dont les alsaciennes Kronenbourg, Heineken, Uberach, Saint Pierre, Licorne et Meteor, cette tribune libre pour les professionnels a pour vocation d’être « un café du commerce » où « chacun peut s’exprimer sur ce sujet », d’après Pascal Chévremont, délégué général de l’association. Les brasseurs y publient des photos de leurs locaux sur lesquels ils accrochent tous la même banderole (voir photo ci-dessus à la brasserie Saint-Pierre), des coupures de presse, voire même des poèmes ! Sur Twitter, le compte correspondant a été créé, @Dernier_biere, mais ne compte lui qu’une trentaine de followers.

La stratégie est claire : « Mettre la pression » (le jeu de mot est repris à foison) en mobilisant des professionnels et des consommateurs « éclatés sur le territoire », qui se sentent pour certains « démunis à [leur] niveau » (la patronne de la brasserie Saint-Pierre).

Pas d’embauche pour les micro-brasseries

Le sujet qui fâche, quel est-il ? Début septembre, la profession a appris que le gouvernement prévoyait une hausse du droit d’accise (une taxe spécifique sur les boissons alcoolisées) de 160%, intégrée au projet de loi de finance de la Sécurité sociale (PLFSS) qui sera voté en même temps que le budget de l’Etat le 4 décembre à l’Assemblée nationale. Ce PLFSS dit en substance :

« Les droits sur la bière, qui sont en France parmi les plus faibles d’Europe, seront augmentés. Il en sera de même des droits sur le tabac, notamment pour renchérir les produits d’entrée de gamme afin de les rendre moins attractifs, en particulier pour les jeunes. »

Concrètement, les brasseurs qui payaient 1,38€ à 2,75€ (en fonction de la taille de l’entreprise) de taxe par degré d’alcool et par hectolitre de bière, en payeront demain plus du double. Un coup de massue, que dénonce notamment Marilyn Varga, propriétaire de la brasserie Saint-Pierre à… Saint-Pierre, pas très loin de Sélestat :

« Il y a trois ans, les micro-brasseries comme la nôtre ont obtenu une baisse de taxe qui nous a permis d’investir et d’augmenter notre production. Mais avec cette hausse annoncée, on reviendra au point de départ ! Pour nous, ce sera une embauche que l’on ne fera pas, mais pour d’autres, plus gros, ça pourrait bientôt être des licenciements…

De mon côté, j’envisage d’augmenter le prix de ma bière. Parce qu’entre la refiscalisation des heures supplémentaires et cette hausse du droit d’accise, ça ferait trop à absorber pour mon entreprise. On veut bien participer à l’effort collectif avec une augmentation des taxes raisonnable, équivalente au coût de la vie, mais là, 160%, on n’a jamais vu ça ! Et les vignerons, quand est-ce qu’on parle d’augmenter leur taxe à eux ? »

Fructueuse entrevue ce mardi soir à Matignon

Cette « équité fiscale », c’est une des cartes à jouer pour la petite cinquantaine de députés français qui soutiennent les brasseurs. Sept d’entre eux, ainsi que Pascal Chévremont ont rencontré ce mardi soir la directrice adjointe du cabinet du premier ministre à Matignon. Une réunion qui avait lieu entre 19h et 20h et un premier signe d’ouverture du gouvernement face à la grogne du secteur. A l’issue de cette réunion, André Schneider, président UMP de l’amicale des députés brassicoles et élu du nord de Strasbourg, s’est dit « confiant » :

« On a pu longuement exposer la problématique des brasseurs de France, dont 80% de la production est vendue aux grandes surfaces, souvent à la limite du prix coûtant. C’est un secteur qui arrive difficilement au seuil de rentabilité… Comme me l’a redit Michel Haag (patron de Meteor) ce soir après l’entrevue à Matignon, à l’occasion d’un pot organisé par l’Association des brasseurs de France, « si cette hausse passe, Meteor, c’est mort » !

Bien sûr, la directrice adjointe du cabinet du premier ministre n’a pris aucun engagement, mais nous allons nous revoir cette semaine pour continuer la négociation. Je suis raisonnablement optimiste sur la possibilité de minorer significativement cette hausse. »

Et taxer le vin alors ?

Lundi, le député de la 3ème circonscription du Bas-Rhin notait encore :

« Nous, parlementaires, on ne demande que justice et équité au gouvernement. Même si on ne va pas demander que le gouvernement taxe aussi les copains viticulteurs, on peut se poser la question de pourquoi on augmente la taxe sur la bière [16% de la consommation d’alcool en France, ndlr] et pas celle sur le vin [60%, ndlr]… »

"Accises-fiscalité et taxation applicables au titre des contributions indirectes" (Capture Douane française)

Le syndrome du cigarettier frontalier

Pour les consommateurs, cette hausse attendue du droit d’accise représenterait un surcoût de 15 à 30% sur un demi au bar ou un pack de bière au supermarché. Selon le syndicat des brasseurs, cette augmentation pourrait détourner les buveurs de bière de leur boisson favorite. De même, la profession a peur des achats frontaliers en Allemagne, Belgique ou Espagne. La psychose des cigarettiers guette ! Question : l’amateur de pils fera-t-il des infidélités à Meteor pour acheter de la Rothaus du Bade-Wurtemberg  ? Réponse d’amateurs : « C’est déjà le cas ! »


#bière

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