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« On prend des risques pour sauver les animaux des chasseurs. On risquera la prison »

À l’appel de l’association Vegan Bastards Krew, 12 personnes ont perturbé une chasse le 15 décembre. Dans la forêt entre Lipsheim et Geispolsheim, cinq militants ont été arrêtés puis convoqués à la gendarmerie. Le Sénat a récemment voté une proposition de loi faisant passer la peine encourue pour « entrave à la chasse » d’une simple contravention à un an de prison et 30 000 euros d’amende.

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« On prend des risques pour sauver les animaux des chasseurs. On risquera la prison »

Battre la battue. C’était la mission du Vegan Bastards Krew, le 15 décembre 2018. Averti par un panneau municipal, l’association lance un appel à perturber une chasse entre Geispolsheim et Lipsheim. Ils se retrouvent à douze militants antispécistes à l’aurore. Vêtus de couleurs fluos, ils arrivent avec une fanfare, à l’aide de flûte, clairon, crécelle et casseroles, en tapant entre la ligne de chasseurs qui rabat le gibier et celle qui attend, fusil à la main. Dépités, les chasseurs appellent la gendarmerie.

Contrôlés, quatre trouble-chasses seront convoqués à la gendarmerie quelques mois plus tard. Aujourd’hui, ils risquent une simple contravention. Dans quelques mois, ils pourraient encourir une peine de 30 000 euros d’amende et d’un an d’emprisonnement, selon un vote d’une proposition de loi du Sénat. Pour Maxence, président de l’association, « le lobby de la chasse a encore fait plier le gouvernement et le Sénat. » Les militants anti-chasse attendent fébrilement le vote définitif du texte par l’Assemblée nationale…

Max préfère ne pas montrer son visage : « Personne ne doit être plus mis en avant qu’un autre au sein de l’association. » (Photo GK / Rue89 Strasbourg / cc)

Rendez-vous à « L’ère Végane »

Maxence donne rendez-vous dans l’épicerie « L’ère Végane », au milieu du chantier du nouveau quartier du Danube. Il porte un t-shirt noir au nom de son association, une casquette américaine également noire et un foulard, qui masquera son visage pour la photo. « Dans notre groupe, personne ne doit être plus mis en avant », explique-t-il, pour éviter toute forme de hiérarchie.

Le trentenaire, ancien militaire dans la Marine, a aussi une ancre tatouée sur la main droite. Sensibilisé par son travail au milieu de l’océan, il s’engage d’abord dans l’organisation de protection des fonds marins Sea Sheperd. Puis en août, il fonde l’association Vegan Bastards Krew. Son travail : s’occuper des enfants de 0 à 3 ans placés par la justice en foyer d’accueil. « Une première réponse à ceux qui nous disent qu’on devrait plutôt s’occuper des humains », sourit le militant antispéciste.

Un service d’ordre antispéciste

« Avec deux amis, anciens militaires aussi, on voyait des images de militants se faire molester par des bouchers, pendant des actions. On s’est dit qu’avec un service d’ordre ça ne se passerait pas comme ça », raconte Max. Le Vegan Bastards Krew a ainsi assuré la sécurité de manifestations organisées par L214 ou 269 Life France, deux associations antispécistes. Mais le collectif strasbourgeois est aussi actif dans l’aide au refuge des animaux et la lutte anti-chasse.

Le discours de Max sur la chasse est rodé. Il dénonce tour à tour « l’assassinat d’animaux innocents », « la privatisation de la forêt par les chasseurs »… Le Strasbourgeois évoque aussi des sondages favorables à sa cause : selon l’institut Ifop pour la fondation Brigitte Bardot, 82% des Français sont favorables au dimanche non-chassé. Et le militant de fustiger un lien de dépendance des communes aux chasseurs : « Les permis de chasse permettent parfois de boucler le budget municipal ! »

La chasse… aux sous

Le président de la fédération bas-rhinoise de la chasse se sert aussi de l’argument budgétaire. Gérard Lang évoque les droits de chasse, « 2 à 3 millions par an dans le département », mais aussi la valeur de l’activité des chasseurs :

« On paie les agriculteurs et les communes pour chasser. On nous oblige même à tirer un minimum de cerfs ou de chevreuils, sinon vous perdez le droit de chasse. Qui le fait s’il n’y a pas de chasseurs ? On va payer des mercenaires, des fonctionnaires de la chasse, pour réduire la population ? Tout ça, ce serait à la charge du citoyen. »

Les militants anti-chasse fustigent « une fausse solution » pour la régulation des espèces. « Il y a d’autres moyens d’y parvenir, en réintroduisant les prédateurs comme le loup ou le lynx », affirme le président du Vegan Bastards Krew. Et Max de dénoncer une activité polluante : « Les cartouches de chasse contiennent du plomb, ce qui pollue des zones parfois protégées. »

Chasseur depuis plusieurs décennies, Gérard Lang balaye les critiques : « Depuis octobre 2018, nous sommes le premier département en France à racheter les cartouches de plomb aux chasseurs pour les inciter à utiliser des balles sans plomb. » Le pharmacien et chercheur en génétique des cervidés, comme le cerf, n’hésite pas à fustiger « l’incompétence » des anti-chasse : « Concernant la régulation de la population, les lynx ou de loups ont des aires de vie trop larges, de plus de 10 000 hectares, ils ne peuvent pas réguler la population d’une telle zone. »

Le Sénat pro-chasse

Gérard Lang se dit satisfait de la répression accrue des « entraves à la chasse ». Mais les actions en pleine battue semblent rares en Alsace. Le responsable départemental déplore plutôt les sabotages de mirador : « Une quarantaine en 2018 dans les Vosges du Nord », lance-t-il au doigt mouillé avant de décrire le mode opératoire : « Certains scient discrètement les barres au trois-quart de l’échelle, ou même un pilier du mirador, pour faire tomber les chasseurs. »

Les sénateurs ont aussi voté d’autres amendements favorables aux chasseurs. Ils ont ouvert la possibilité d’allonger la période de tir aux oiseaux migrateurs. Les élus ont aussi poussé pour la reconnaissance et la protection du piégeage de grives à la glu. Symbolique : l’agence française de la biodiversité (AFB) fusionnerait avec l’office de la chasse. Le texte sénatorial doit être voté en procédure accélérée en commission mixte paritaire (sept députés, sept sénateurs et des membres suppléants). Si aucun accord n’est trouvé, l’Assemblée nationale aura le dernier mot. La question se pose : quelques semaines avant les élections européennes, les députés oseront-ils chasser les amendements sénatoriaux ?


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