
Du hollandais vintage au fixie ultrabranché, en passant par le cargo utilitaire : la tribu des vélos ne cesse de s’agrandir à Strasbourg. Personnalisés à outrace, en fonction des besoins et des envies de leurs propriétaires, les biclous ont même leurs accessoires fashion dans les magasins. Pour éviter d’être une simple victime de la mode, une seule solution : mettre les mains dans le cambouis. En selle !
La scène se déroule à Strasbourg, en 2012. Deux midinettes bien mises échangent quelques mots devant leurs vélos à midi, avant de reprendre le cours de leurs vies de fashionistas. La première s’extasie sur la sonnette rose et lumineuse que sa copine a accrochée sur son guidon. Réponse de la seconde, une pointe de jalousie dans la voix :
« Tu es au courant pour Aurélie ? Elle a trouvé des pédales retractables pour son vélo. »
Le sandwich a failli nous tomber du bec tant cet échange est surréaliste. En tous les cas pour une cycliste née avant 1980, qui a connu l’ère du vélo militant à Strasbourg, quand le biclou était avant tout écologique, pratique, bon pour la santé publique. Bref, tout sauf un accessoire de mode. Les temps changent… et les vélos aussi. Mais est-ce au bénéfice du vélo ou à celui des industriels ? Les Strasbourgeois sont-ils victimes de la mode ? Oublié le casse-croûte : il fallait tirer cela au clair.
Première étape : Bretz’selle
Une concentration de vélos sur le trottoir de la rue des Bouchers signale que la permanence de l’association Bretz’selle est ouverte au public. Cet atelier de réparation de vélo, ouvert depuis février 2011, vise à promouvoir la pratique du deux roues en formant les cyclistes à la mécanique. Un salarié et des bénévoles sont là pour guider les débutants et prodiguer conseils et outils aux 870 adhérents. De leur coté aussi, l’effet de mode fait des vagues :
« Bretz’selle fait partie de l’Heureux Cyclage, une fédération qui regroupe 52 ateliers en France. A Strasbourg, il y en a deux : nous et Vélostation, qui est situé au Neudorf. C’est un réseau qui est en plein développement : environ 10 ateliers le rejoignent chaque année. »
Patrick, bénévole de la première heure, confirme nos soupçons : le vélo est tendance. Mais les militants historiques, rejoints par des étudiants débrouillards, ont justement fondé ces deux ateliers de réparation pour que le vélo soit autre chose qu’un outil de consommation.
« Les gens viennent pour la plupart parce qu’ils ont une panne, un pneu crevé ou des freins qui ne marchent plus. Pour 60% ce sont des étudiants, 40 % des actifs et à peu près autant d’hommes que de femmes. Nous les aidons mais nous ne faisons pas à leur place. »

Bretz'selle vend des vélos d'occasion, sur lesquels il reste du travail à faire, à partir de 20 euros (Photo David Rodrigues)
Pour convaincre les cyclistes de réparer leur vélo eux-mêmes, Bretz’selle dispose de deux armes fatales : les apéros-démontage et la vente de vélos d’occasion à bricoler pour 20 à 40 euros pièce. Dans les deux cas, l’adhérant doit metter les main dans le cambouis avant de pouvoir rouler. Les vélos proviennent de dons de particuliers. Les vélos trouvés par la police ou la municipalité et non réclamés par leurs propriétaires finissent quant à eux chez Emmaüs, autre pourvoyeur de vélos d’occasion pour les Strasbourgeois.
Fabriquer son fixie
Les vélos Peugeot et autres antiquités de bonne facture sont de plus en plus populaires auprès des acheteurs-bricoleurs, nous révèle un rapide tour dans la cave de Bretz’selle. Les hipsters (version américaine et XXIe siècle du bobo) y trouvent la matière première à la fabrication de leur fixie, vélo de course à pignon fixe qui fait fureur dans les villes branchées d’Europe.
La mode est née dans les années 90 dans le milieu des livreurs à vélo de New York et de San Francisco. Sans freins mais avec un pignon fixe, qui permet de freiner en bloquant les roues, et un seul plateau, le fixie est ultra léger et adapté à la conduite sportive et aux slaloms entre les voitures. En 20 ans, le fixie est devenu tendance et s’achète maintenant tout fait plus qu’il ne se bricole. Cette mode urbaine a touché Strasbourg de plein fouet : les propriétaires de fixie se retrouvent en communauté sur le site de Fixie Strasbourg et organisent des sorties ou des matchs de bike-polo.
Certains ont fabriqué leur monture, d’autres pas. Mais tous la personnalisent à l’extrême, choisissant leurs pièces avec soin.
« C’est là qu’on va le plus délirer. Dans le cas d’une conversion vers un pignon fixe, il faut trouver les pièces qui vont avec les couleurs ou le style demandés. »
Yannick, chez Citizen Bike, pioche dans le répertoire infini des accessoires proposés par les fabriquants de vélo pour satisfaire les demandes très personnalisées de ses clients. Couleur, design, finition : on peut (presque) tout avoir si on y met les sous.
Mais mis à part le fixie, Yannick n’a pas senti de mode particulière déferler sur Strasbourg. Le signe de ces dernières années, ce serait plutôt une multiplication de demandes aussi uniques que les clients qui franchissent la porte. Une des tendances lourdes reste toutefois l’adaptation d’un vélo, souvent vendu comme un accessoire de sport, aux besoins de la ville : porte bébé, transport de marchandises, porte bagages.
Un vélo pour chacun
« L’accessorisation est plus importante à l’heure actuelle. Les gens sont prêts à investir dans du matériel qui est spécialement conçu pour leur vélo. Ils vont chercher à s’affirmer par le biais de leur vélo. Et les fabriquants suivent. De plus en plus de vélos sont déjà stylés à l’origine. »
Surtout, les fabriquants déclinent le vélo sous toutes ses formes : alors que le fixie focalisait l’attention des hipsters, le vélo hollandais à la papa, avec sacoche en cuir et selle confortable, a séduit les urbains plus âgés, tandis que le vélo-cargo venu de Hollande commence à convaincre les familles et les transporteurs.

Le vélo cargo est en plein développement car il transporte famille et/ou matériel. (Photo David Rodrigues)
Résultat : il y en a pour tous les goûts et pour toutes les couleurs, à des prix qui restent toutefois élevés, avec 1 500 euros en moyenne pour un biporteur. Il n’empêche, le vélo colle aux besoins et au style des cyclistes d’aujourd’hui, au point de devenir aussi personnel que le téléphone portable. Chez Tomahawk, un transporteur de marchandises à vélo strasbourgeois, chacun des coursiers choisit sa monture.
« Ce sont nos vélos mais l’entreprise nous paie les réparations. Il y a pas mal de maniaques avec des conceptions très différentes du vélo, donc ils ont préféré nous laisser nos vélos. Moi par exemple, je n’aime pas les guidons droits, je préfère un guidon de course. »
Daniel, coursier chez Tomahawk, arrive à livrer du matériel médical à des laboratoires en vélo couché, une autre star en plein développement à Strasbourg. Jean-Luc Kaeuffer en propose à l’essai dans son magasin de la rue des Soeurs, Rustine et Burette. Cet ancien ingénieur aéronautique a quitté Toulouse pour monter ce projet de magasin-atelier, un « rêve d’enfant » réalisé il y a à peine trois mois. Il croit dur comme fer à l’avenir du vélo, « sous toutes ses formes« .

Jean-Luc Kaeuffer a ouvert son magasin-atelier il y a trois mois, rue des Soeurs. (Photo Sara Dirringer)
« Le vélo est une vraie niche, plein de gens cherchent à le faire évoluer. Un vélo est un moyen de transport, un joli objet utilitaire. Il faut changer cette mentalité en France qui fait que lorsqu’un vélo ne marche plus, on le jette. Le vélo est comme un véhicule qui s’entretient et qui peut se garder longtemps »
Et jusqu’à présent, Jean -Luc Kaeuffer est satisfait : les Strasbourgeois lui achètent surtout des pièces, pour réparer leurs vieux vélos.
« Ils veulent d’abord aller au moins cher. Puis c’est l’originalité qui prime, il faut que ce soit joli. »
Accessoires : acheter ou fouiller dans son grenier ?
Ceux qui ne sont pas prêts à investir 1 000 euros dans un vélo stylé se rabattent sur le sac à fleurs multicolores ou sur la sonnette délirante, comme ces classiques trouvés dans la boutique Pylônes, nouvellement installée rue des Hallebardes à Strasbourg.

Sonnettes flashy pour personnaliser son guidon : même les boutiques de design s'y mettent. (Photo Sara Dirringer)
Sur internet – le site chain reaction semble remporter pas mal de suffrages – les possibilités sont infinies du côté des fabriquants asiatiques, qui proposent des phares solaires en forme de tête de mort ou qui déclinent tous les animaux sous forme de sonnette, si l’envie vous prend de faire « meuh » quand vous dépassez.
Accessoire mode, le vélo est donc devenu une nouvelle porte d’accès à nos portefeuilles. Mais pour rester chic sans choquer son banquier, rien n’est aussi efficace que le recyclage de vieux accessoires trouvés dans le grenier de la grand-mère ou dans la grange parentale : une vieille sacoche en cuir cabossée peut se cirer et se restaurer pour devenir vintage, une vieille sonnette se repeindre pour devenir fashion. Les moyens ne manquent donc pas d’affirmer sa personnalité à vélo puisqu’il est devenu chic de pédaler.
Le chic c’est d’être soi
Sur Strasbourg Cycle Chic, un photographe diffuse des photos de cyclistes prises à la volée dans les rues. Le projet a débuté à Copenhague avant d’essaimer partout dans le monde : Londres, New York, Amsterdam…et Strasbourg. En prenant des clichés de cyclistes chics en ville, les photographes souhaitent vanter « une pratique quotidienne et naturelle du vélo urbain alliant style et élégance », peut-on lire sur le site de Strasbourg Cycle Chic.
Le chic s’entend donc ici avant tout comme une affirmation de sa personnalité à travers son moyen de transport quotidien, le vélo. Le militantisme se fait ici plutôt artistique.

Benjamin Schluck, artiste strasbourgeois qui a lancé le mouvement des vélos-fous à Strasbourg, fabrique un vélo pour transporter ses trois enfants. (Photo DR)
Le vélo peut donc être sage ou pratique. Mais il a aussi le droit d’être fou, comme les idées de Nicolas, grand pourvoyeur de tall-bikes, ces vélos plus hauts que la moyenne, ou Benjamin Schluck, ancien élève des Arts Décos qui a lancé la mode des tall-bikes dans les années 90 à Strasbourg. A cette époque, que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître, les seuls vélos un peu différents des autres à Strasbourg étaient chevauchés par un groupe d’étudiants en Arts Déco et en Arts Plastiques. Fabriqués et soudés à partir de vieux vélos, colorés, ils étaient plus hauts que la moyenne. Après quelques années d’exil, Benjamin est revenu en Alsace :
« En revenant à Strasbourg, j’ai remarqué qu’ici les vélos sont tous des vélos personnalisés, avec beaucoup de récupération. C’est un mouvement auquel j’ai l’impression d’appartenir et dont je suis très fier. »
Avant d’être chic, Strasbourg avait donc déjà la fibre artistique. Et dans leurs délires de customisation, les cyclistes Strasbourgeois n’atteignent jamais le degré d’inutilité qui fait tant rire dans le tuning de voitures.
Pourvu que ça dure.
quand on pratique depuis 20 ans le vélo urbain à Fontainebleau (77), milite, cela fait plaisir de voir que plein de belles choses pour le vélo avancent ENFIN
tout est histoire de Culture, plus il y a de gens qui pratiquent, plus ils sont visibles, plus le "politique", la "société", les citoyens les voient, et plus ils sont pris en considération
et donc, plus il y a d’aménagements
et plus il y a d'aménagements plus d'autres ont envie de se mettre au vélo
c'est par cette culture donc que l'on aboutit à un cercle vertueux, les uns entrainant les autres et inversement
bravo encore
roulons moins vite (surtout à côté des piétons) et attachons nos vélos à l'avant et à l'arrière de préférence avec un U et continuons de profiter de cette liberté extraordinaire du vélo à Strasbourg ;-)
Tres bel article , qui resume tres bien l'activité velo à strasbourg.
Je suppose que je suis le NICO(tallbike) dont il est question dans l'article, alors j'en profite pour balancer le lien vers mon site
http://velo.nico.free.fr
(il est peut etre possible d'ajouter le lien dans l'article?)
Il n'y est pas seulement question de tall-bike (dont je suis loin d'etre un specialiste) mais egalement de bricolages en tous genres autour du velo , avec quelques montages equipés de motorisations electriques.
Je suis d'ailleurs tres etonné que le VAE (velo à assistance electrique) soit totalement absent de l'article , alors que ce mode de transport ,en plein essort ,gagne a etre connu.
Voila qui d'ailleurs serait un excellent sujet pour un autre article, auquel je me ferai un plaisir de collaborer si ça peut etre utile.
Il y a de quoi écrire et de bonnes photos à prendre!
Bien cordialement.
Toujours présent pour accompagner Sara en vue d'un nouvel article sur nos pistes, bandes cyclables et passages aménagés pour les vélos.
Et pourquoi pas, quelques interviews de cyclistes qui les empruntent ?
Pour être tout à fait complet il vous faudrait citer également l'association VELOSTATION Présente au Neudorf depuis plus de 10 ans et qui permet également l’auto réparation des vélos.
Vu la richesse du sujet pourquoi ne pas créer une coopération RUE89 Stras / acteurs du vélo (associations, vélociste, collectivité) via un blog sur le thème du vélo?
Les associations locales ont énormément de ressources sur cette thématique et les enjeux cyclistes font régulièrement parler d'eux dans la presse.
De plus au delà du cadre purement cycliste ou touche aux thématiques de l'aménagement, de l'urbanisme, du lien social, de la transmission de compétence, du vivre ensemble...Bref d'une quantité de sujet qui paraissent intéressant.
Une idée lancée comme ça !! à voire ou elle retombera.
la voix du peuple porte mieux quand elle est portée par les médias !!
Petite info en avant première...
Concernant la réalisation d'un blog sur la promotion et le développement du vélo à Strasbourg, Strasbourg Cycle Chic aura dès la rentrée un petit frère généraliste qui traitera de la culture vélo à Strasbourg et de son développement à travers des articles, des reportages, interviews...
Plus d'info dans quelques semaines sur www.strasbourgcylechic.com
A bientôt !
Va falloir que je me remette au vélo et en plus ça va faire plaisir à certains de mes amis :lD
Merci Rue89 Strasbourg pour cet article.
Notre association VELOSTATION,reconnue d'intérêt général, atelier d'auto-réparation de vélo est active au sein de Strasbourg Neudorf depuis 1996 pour permettre aux cyclistes urbains de circuler et de maintenir son vélo en bon état de marche et de sécurité.
Nous animons en dehors de nos permanences de nombreuses activités autour du vélo (formation, démontage, peinture, bourses aux vélos avec le Cadr, atelier avec les Institutions, ...)
Depuis septembre 2011, nous avons déménagé pour un local de 164 m2 dédié à l'auto-réparation de vélos et aux ateliers thématiques toujours sur le secteur de Neudorf pour permettre à nos adhérents de travailler dans un espace adapté, fonctionnel et convivial. Nous souhaitons également rester un lieu d'échange et de rencontre. Nous avons créé un partenariat avec 6 vélocistes de Strasbourg dont ceux que vous souhaitez mais aussi les cycles Eckstein, partenaire "historique" de notre Association.
Le 30 septembre prochain, nous organisons notre traditionnelle bourse aux pièces qui réunira des vendeurs amateurs de pièces de vélo d'occasion, anciennes ou non.
Merci de votre article sur le vélo à Strasbourg
Avec nos salutations cyclistes
Toute l'équipe VELOSTATION (bénévoles et salarié)
Salutations cyclistes itou
Si avec ces commentaires je ne deviens pas sociétaire de la boîte!!!!!
Un endroit sympa non mentionné (parmi tant d'autres), "Esprit Cycles", qui "vend" du cycle, certes, mais des personnes également sympas et ouvertes, un service ultra rapide et vraiment pas cher, un petit clin d'oeil à cette équipe vraiment chouette qui fait rimer achat intelligent et sympa et ambiance conviviable.
Le service après-vente est une "tuerie", dans le très bons sens du terme" : ultra rapide, pas cher, et toujours le souci de ne pas vous faire payer ce qu'il n'y a pas à payer. J'en ai fait l'expérience, après 3 vols de vélos, et moults pépins mécaniques (pas du tout l'"âme" réparateur de mon côté, j'adore récupérer mon vélo réparé au bout de 20 minutes...
Pas actionnaire, mais client depuis 6 ans, et vraiment une très très bonne adresse pour les pressés de la réparation ou les beaux vélos originaux - pas chers- à s'offrir : c'est près de la place de la Bourse, rue Jacques Peirotes.
A quand un autre sur les vélos pour prolos qui vont bosser avec, non pas par plaisir, mais par nécessité.
:-)
Concernant les blogs Cycle chic, effectivement de nombreux blogs ont été crées dans le monde, mais beaucoup ne sont pas mis à jour régulièrement (voir plus mis à jour...) contrairement à celui de Strasbourg qui propose une mise à jour quotidienne et cela depuis plus d'un an !!!
Cyclechiquement votre !
Vincent - Strasbourg Cycle Chic