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Les ventriloques, ces artistes suspects, mis en lumière par Gisèle Vienne au TJP

The Ventriloquists Convention, – la convention des ventriloques – , sera présenté pendant les Giboulées / Biennale internationale Corps – Objet – Image, sur la grande scène du TJP en collaboration avec le Maillon. Du 16 au 24 mars, ce spectacle de Gisèle Vienne avec le Puppentheater de Halle en Allemagne interrogera l’art de la ventriloquie mais aussi les ventriloques eux-mêmes, atteints de cette « passion curieuse, voire suspecte ».

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"The Ventriloquists Convention" (Photo Estelle Hanania)

"The Ventriloquists Convention" (Photo Estelle Hanania)
« The Ventriloquists Convention » (Photo Estelle Hanania)

Chaque année, une convention rassemble des ventriloques des États-Unis et du monde entier dans le Kentucky, à côté de Vent Haven. Gisèle Vienne s’est intéressée de près à cet événement qui raisonne de façon inédite avec son propre travail autour de la marionnette, mais aussi autour de la dissociation et de l’incarnation voix / corps. Elle a ainsi largement documenté cette convention : il en ressort un spectacle étonnant, écrit avec son fidèle compagnon de route, Dennis Cooper.

A mi-chemin entre une reconstitution réaliste et l’imaginaire propre à l’univers de Gisèle Vienne, cette pièce est une exploration de la différence, incarnée par cet art virtuose et méconnu qu’est la ventriloquie. Le spectacle sera joué en anglais, sur-titré en français et en allemand.

Un art plus proche du cirque ?

C’est ainsi que Gisèle Vienne parle de la ventriloquie pour présenter son spectacle. Elle estime que depuis le XIXe siècle, cet art, qui consiste à faire parler une marionnette sans bouger les lèvres, est figé dans une certaine forme :

« Lorsqu’on regarde le rôle des ventriloques dans la littérature ou dans le cinéma, ils sont en général dépeints comme des personnages perturbés, voire criminels. Cela créé des stéréotypes autour des ventriloques qui sont très récurrents. C’est quelque chose que j’expérimente aussi en tant que marionnettiste. On nous demande souvent si nous vivons avec nos marionnettes ou si nous leur parlons… J’ai envie de dire que nous ne sommes pas plus fous que la moyenne ! La plus grande suspicion est celle de la schizophrénie, qui est évidemment fausse : l’exercice du ventriloque n’est pas différent de celui du comédien ou du pianiste. »

Il est vrai aussi que, contrairement à la marionnette qui a su, petit à petit, gagner ses lettres de noblesse en tant qu’art du spectacle vivant, la ventriloquie, qui nécessite pourtant de la virtuosité, est souvent associée à un environnement plutôt forain, comme les magiciens ou les comiques. Gisèle Vienne avait déjà utilisé la ventriloquie dans une création précédente en 2008, Jerk, un solo avec Jonathan Capdevielle.

Pour elle il s’agit aussi, à travers ces spectacles, de faire reconnaître ces performances comme des démarches artistiques à part entière :

« Dans les faits, cela a aidé à générer un nouvel intérêt. Des cours de ventriloquie ont par exemple été proposés ensuite à l’école de la marionnette, et des jeunes marionnettistes s’y sont intéressés suite à Jerk. »

L'une des marionnettes de "The Ventriloquists Convention" (Photo Estelle Hanania)
L’une des marionnettes de « The Ventriloquists Convention » (Photo Estelle Hanania)

Réunion « en famille » dans le Kentucky

La convention annuelle du Kentucky souligne encore cet aspect « divertissement », en accueillant toute une série de « numéros ». Gisèle Vienne, qui est allée explorer l’univers de cette convention in situ, a été frappée par la diversité des profils des gens qui s’y retrouvent, et par cette joie qu’ils ont à pouvoir partager leur passion.

« Lors de la convention il y avait une sorte de solidarité, de gentillesse : la bienveillance d’une atmosphère familiale, où les gens se connaissent depuis longtemps. La ventriloquie n’est pas une passion qu’on peut facilement partager avec plein de gens, il est sans doute plus facile de trouver des gens pour faire du mountain bike dans son quartier… J’y étais avec Estelle Hanania, une photographe avec qui je travaille beaucoup, et j’avais demandé leur autorisation aux gens de les filmer et de les photographier. On nous a donné l’autorisation en nous disant d’emblée : « nous voulons être sûrs que vous ne vous moquerez pas de nous. » Je comprends cette inquiétude, la peur qu’on les dépeigne comme des gens bizarres, tordus… »

Gisèle Vienne explique que dans The Ventriloquists Convention, elle évoque les ventriloques tels qu’elle les a rencontrés, tels qu’ils existent aujourd’hui : il y a indéniablement un aspect documentaire dans ce travail. Pour autant le spectacle est une fiction, « une pièce qui met en scène des personnages qui veulent faire des pièces humoristiques. » On y retrouve cette solitude dramatique du clown en coulisse, mais aussi des interactions très drôles.

La vidéo ci-dessous (en anglais) a été tournée lors de la création de The Ventriloquists Convention en Allemagne en août 2015 :

Une partition virtuose

Dennis Cooper, qui a écrit le texte de The Ventriloquists Convention, en a fait une partition vertigineuse : 27 voix différentes sont interprétées par 9 marionnettistes – ventriloques.

« Ce qui nous intéresse avec Dennis Cooper, et qui me vient certainement de ma formation de marionnettiste, ce sont les différents rapports du corps à la voix. Quand on met en scène une pièce, le texte peut évidemment sortir du corps du comédien. Le problème est tout autre quand on travaille avec une marionnette : d’où sort la voix alors ? Tous les marionnettistes ne travaillent pas forcément cette mise en abîme, mais moi je trouve ça passionnant bien au-delà de la marionnette, pour le théâtre en général. Il évident que la voix sort du corps : mais est-ce toujours le choix le plus judicieux pour travailler un texte spécifique ? Le champ des possible est d’autant plus ouvert aujourd’hui avec les nouvelles technologies. La ventriloquie est l’une des manières de travailler cette dissociation entre la voix et le corps. »

On retrouve dans cette recherche des échos de I Apologize, présenté début février au Maillon, qui est le fruit de la première collaboration entre Gisèle Vienne et Dennis Cooper. La dissociation entre le corps et la voix étend l’imaginaire de façon formidable, et lui permet de prendre une nouvelle dimension. Elle est révélatrice de mystères, – ceux qui attendent des explications lumineuses seront déçus – et c’est cela justement qui fait son intérêt.

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