En approchant de la Fondation Beyeler, le visiteur est accueilli par une première œuvre exposée, parmi les arbres centenaires et les bassins de nymphéas, submergés de centaines de sphères métalliques miroitantes. Une œuvre emblématique de Yayoi Kusama, Narcissus Garden recouvre la surface de l’eau d’un éclat argenté. Ces sphères d’acier poli, d’une trentaine de centimètres de diamètre, dérivent au gré du vent et des courants. Leurs surfaces réfléchissantes captent tout : les arbres, le ciel, les visages, jusqu’à dissoudre les contours du réel. Comme Narcisse dans les Métamorphoses d’Ovide, le regard se perd dans sa propre image, happé par le vertige de l’infini.

Le seuil franchi, l’exposition se déploie comme un voyage à travers plus de 70 ans de création. Entre polka dots (pois), nets (trames) et jeux de miroirs, Yayoi Kusama façonne un langage visuel où se mêlent l’obsession et la transcendance. Par la répétition infinie de ses formes, l’artiste explore les cycles de la vie et de la mort, jusqu’à la dissolution du soi. L’artiste, profondément inspirée par la nature, les fleurs et les cycles organiques, transforme son obsession en rituel poétique. Chaque œuvre naît comme un fragment du cosmos, où l’individu s’efface pour se fondre dans le tout.
Les citrouilles, talisman contre la peur
L’exposition se déploie comme un champ de résonances visuelles où les matières dialoguent et se répondent : sculptures et peintures s’y côtoient, se prolongeant mutuellement dans un même souffle envoûtant. Parmi elles, les citrouilles à pois, motif fétiche et obsession de Yayoi Kusama, apparaissent telles des présences familières, tantôt monumentales, tantôt miniatures. Leur origine plonge dans les souvenirs d’enfance de l’artiste, dans un Japon rural où la citrouille incarnait le réconfort au milieu de l’adversité. Chez Yayoi Kusama, elle devient un refuge et un miroir de soi, un talisman contre la peur et la dissolution du monde.
Plus saisissantes, les Infinity Mirror Rooms invitent le public dans un espace immersif à 360 degrés. Ici, les miroirs multiplient les reflets à l’infini, en abolissant les frontières entre le corps et l’univers. Le spectateur y entre comme dans une rêverie suspendue, où la perception et l’émotion se confondent. Baignée d’un jaune éclatant et recouvert de pois noirs, la lumière semble vibrer. Les formes serpentines qui traversent les murs et les sols évoquent des organismes en mouvement, mi-animaux, mi-végétaux. En son centre, une pièce tapissée de miroirs absorbe totalement le visiteur. Seules subsistent les colonnes lumineuses qui s’étirent et se reflètent à l’infini, telles des êtres respirant dans un espace parallèle.

L’expérience devient presque magique, on ne regarde plus une œuvre, on s’y perd, on y disparaît, on y renaît.




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