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Zvizdal près de Tchernobyl : avec ceux qui choisissent de rester

Du mardi 5 au samedi 9 décembre au Maillon, le collectif Berlin propose un voyage en zone contaminée à Zvizdal, près de Tchernobyl. Cette création rend compte de cinq années de tournage auprès d’un couple d’octogénaires, Petro et Nadia, qui ont décidé de demeurer dans leur village malgré la catastrophe nucléaire.

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Zvizdal près de Tchernobyl : avec ceux qui choisissent de rester

Que peut nous dire une ville du monde actuel ? Interroger nos sociétés à travers le portrait de villes ou régions du monde, c’est l’intention du cycle de spectacles Holocène du collectif Berlin, entamé en 2003 et dont Zvizdal, présenté à Strasbourg au Maillon du mardi 5 au samedi 9 décembre, est le sixième volet. Après Moscou, Bonanza, Iqaluit et Jérusalem, le groupe s’intéresse à un petit village ukrainien de la banlieue de Tchernobyl, déserté après l’accident nucléaire. Ou presque.

Bart Baele et Yves Degryse, fondateurs du collectif anversois BERLIN, en plein tournage (Photo: Geert De Vleesschauwer).

Bart Baele et Yves Degryse s’y sont rendus à la rencontre de Petro et Nadia, deux octogénaires qui n’ont jamais voulu quitter leur ferme après l’explosion de la centrale de Tchernobyl en 1986. L’auteure et journaliste Cathy Blisson est à l’initiative de ce projet. Ayant rencontré le couple en 2009 par le biais d’un ami photographe entré en zone interdite, elle a contacté le collectif Berlin afin de relater leur histoire.

Ce collectif, fondé en 2003 par Bart Baele, Yves Degryse et Caroline Rochlitz, et caractérisé par l’aspect interdisciplinaire de son approche (documentaire, installation, vidéo etc). Pour cette création, l’équipe s’est rendue dans le « no man’s land » à différentes saisons de 2011 à 2015, cinq années au cours desquelles le couple s’interroge, vieillit et se dévoile.

Le nom de Tchernobyl évoque aujourd’hui la catastrophe nucléaire accompagnée de sa remise en cause, la radioactivité omniprésente alentours et des dizaines de villes et villages évacués. Dans ces lieux fantômes où la nature reprend doucement ses droits, certaines personnes ont décidé de braver les interdictions pour revenir y vivre en autarcie. On les nomme les « samosioli » (littéralement « colons individuels »); leur nombre est estimé à un millier.

Petro et  Nadia, eux, ont refusé d’être évacués. À l’époque de la catastrophe, ils avaient soixante ans et passé leur vie dans ce village, les spectateurs découvrent en leur compagnie le monde d’après Tchernobyl.

« Le plus bel endroit du monde, c’est la maison qui est la tienne »

Pourquoi ont-ils refusé d’être évacués comme le reste de la population (350 000 personnes) ? Comment vit-on dans une zone envahie par la radioactivité ? Petro et Nadia sont profondément attachés à la terre qui les a vus naître, mais au-delà de ça, la nature s’y trouve luxuriante et la contamination incolore et inodore. Eux ne comprennent pas pourquoi les gens ne reviennent pas vivre dans la zone, car comme le souligne Yves Degryse :

« La contamination, cela ne se voit pas. Même nous, au bout de quelque temps, nous n’étions plus aussi prudents. Je peux donc m’imaginer qu’après trente ans, on peut se demander pourquoi les gens ne reviennent pas dans ce petit coin de paradis. La nature est très belle, pour recommencer tout est là. Un jour par an, les anciens habitants du village sont autorisés à revenir visiter le cimetière. C’est comme un rêve. »

Par ailleurs, le couple dévoile un discours sur un monde totalement déroutant pour notre mode de vie contemporain, où nous sommes sans cesse amenés à nous déplacer et à voyager. Petro livre une conception personnelle et forte de l’enracinement et de l’attachement à sa terre. Cathy Blisson précise à ce sujet :

« Ils pensaient que c’était le plus bel endroit du monde. Petro nous disait tout le temps : “regardez-nous, on marche, on est debout ; ce sont les gens qui sont partis qui sont morts. Mon corps s’est adapté et si je partais, je mourrais”. »

Petro et Nadia, couple d’irréductibles octogénaires, ont décidé de demeurer à Zvizdal avec leurs champs et leurs animaux (Photo Berlin / doc remis)).

Un lieu hors du temps ?

Dans ce lieu où le temps semble s’être arrêté à celui de l’Union soviétique, et loin de la civilisation, les principaux repères du couple sont les saisons qui rythment leurs travaux aux champs. Ce temps, intrinsèquement lié aux questions de subsistance, est éprouvé différemment lorsqu’il est vécu dans un tel isolement. Pour Bart Baele, l’histoire du couple raconte aussi la vie dans une ferme :

« Indépendamment de la solitude et de la contamination, il s’agit aussi d’un récit sur le fait de vivre de la terre, de vivre avec une vache, un cheval, un chat, un chien et quelques poules. Le moindre changement prenait d’emblée de grandes proportions dans la vie de Nadia et Petro. »

Pourtant au cours de ces cinq années de tournage, Petro et Nadia vieillissent et se retrouvent confrontés à la finitude, celle de leurs bêtes, la leur, celle de leur mode de vie.

Le documentaire est projeté au public sur une scène au dispositif bifrontal (Photo Frederik Buyck).

Le « théâtre filmique » du collectif Berlin

Dans cette création, ce qui n’aurait pu être qu’un documentaire rend compte de la force du spectacle vivant : on donne rendez-vous aux spectateurs pour les plonger dans ce récit si éloigné et pourtant si proche. Le public est divisé en deux groupes, situés de part et d’autre de la scène selon un dispositif bi-frontal, avec, au centre, l’écran. En dessous, sont disposées trois maquettes de la ferme à différentes saisons, animées par des images du documentaire. Ce dispositif permet de compléter le film porté à l’écran :

« Le théâtre permet d’aussi créer des scènes qui se sont déroulées en notre absence. Ce que nous faisons entre autres, à l’aide de maquettes de l’enclos de Nadia et Petro. »

En effet, les membres du collectif Berlin leur ayant rendu visite à raison de deux fois par an pendant cinq années, et n’ayant pas d’autre forme de contact avec eux, ils ne savaient jamais à l’avance s’ils allaient les retrouver, ni les évènements qui avaient pu advenir.

Les trois maquettes de la ferme de Petro et Nadia, en fonction des saisons (Photo Frederik Buyck).

Zvizdal est une expérience théâtrale riche et originale à différents niveaux. Par sa pluridisciplinarité et son dispositif scénique, par l’intérêt de la série Holocène, enfin par le récit de ce couple qui décide de rester malgré tout. À ne pas manquer !


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