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Pr Benoît Jaulhac : « beaucoup de gens croient avoir la maladie de Lyme »

D’un procès fondé sur une accusation d’escroquerie, l’affaire Viviane Schaller a ravivé avec intensité le débat international, âpre, autour de la maladie de Lyme. Si Viviane Schaller a exprimé une vision iconoclaste, le Pr Benoît Jaulhac, en tant que responsable de la bactériologie au CHRU de Strasbourg et responsable du laboratoire associé du Centre national de référence des borrélioses, incarne quant à lui la ligne officielle.

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Bienvenue dans le monde merveilleux des tests en laboratoire (Photo JuVlai / Flickr / CC)

Photo d'un test ELISA
Bienvenue dans le monde merveilleux des tests en laboratoire (Photo JuVlai / Flickr / CC)

Cité comme témoin par l’accusation dans le procès de Viviane Schaller et Bernard Christophe (voir ci-contre), le Pr Benoît Jaulhac,  responsable de la bactériologie aux Hôpitaux de Strasbourg, ne veut pas commenter l’affaire en cours de procès. Il répond aux questions sur le dépistage de la maladie de Lyme en tant que responsable du centre national de référence des borrélioses.

Selon des partisans d’une nouvelle approche de la maladie de Lyme, le test ELISA n’est pas fiable. On pourrait même s’en passer et réaliser un test Western Blot immédiatement, prenant le contrepied de la méthodologie en vigueur qui stipule qu’un test ELISA doit toujours être réalisé en première intention.

« Tests ELISA et Western Blot complémentaires »

L’idée fait bondir le professeur Benoît Jaulhac, qui exprime deux remarques. Premièrement, il estime que ce genre de démarche n’est pas tout à fait désintéressée :

« J’aimerais que tout à chacun réalise qu’un test Western Blot coûte plus cher (40€) et est mieux remboursé qu’un test ELISA (environ 15€), il y a clairement un intérêt commercial à en vendre de la part des fabricants et ensuite a réaliser des tests Western Blot de la part des biologistes – comme ça je me mets tout le monde à dos. »

La deuxième remarque concerne la démarche biologique. Un test ELISA détermine un taux d’anticorps tandis qu’un test Western Blot détermine une réponse dite qualitative, en analysant « le spectre de cette réponse anticorps ». À cet égard, Benoît Jaulhac affirme :

« L’utilisation de tous ces tests, Western Blot, immunoblot, dotblot etc. directement en première intention, sans le coupler à une analyse quantitative, montre des résultats moindres que ce qu’on pouvait attendre, même si le test est un bon test. Ne pas tenir compte du taux d’anticorps, c’est une mauvaise chose ».

Benoît Jaulhac poursuit en expliquant que cette démarche n’est pas spécifique à la maladie de Lyme. Le SIDA, la toxoplasmose, la syphilis utilisent la même méthode. Mais la remise en cause des tests ELISA pour la borréliose de Lyme vient du fait que le SIDA, par exemple, présente un virus unique là où la maladie de Lyme compte plusieurs souches. Un patient testé avec une souche précise ne pourrait-il passer à côté de toutes les autres ?

La question des souches

Benoît Jaulhac explique qu’il y a « des antigènes dominants qui croisent entre les espèces » de bactéries de la maladie de Lyme et qu’il n’est pas nécessaire qu’un test ELISA possède toutes les souches, assénant au passage :

 » Je l’ai expliqué à certaines personnes, dire que le test de tel laboratoire est basé sur une souche uniquement américaine (borrelia burgdorferi, ndlr), donc moins bon, n’est pas un argument tenable. Ce n’est pas un mélange de deux antigènes qui rend un réactif mauvais ni le fait d’avoir un mélange de dix antigènes en ELISA qui le rend bon. Ce serait bien, mais ce n’est malheureusement pas aussi simple. »

Pourtant, le professeur a validé la technique VIDAS Lyme 2 des laboratoires bioMérieux qui ajoutent deux souches, borrelia garinii et borrelia afzelii, à la souche borrelia burgdorferi, en 2010. Tout laisse donc à penser que multiplier le nombre de souches le rend plus efficace. « Ce n’est pas parce qu’il contient une souche garinii ou afzelii qu’il sera meilleur stricto sensu » affirme le scientifique. Pour lui, l’innovation de ce nouveau test se trouve ailleurs, dans la séparation des IgG et des IgM (deux types d’anticorps) ainsi que dans la possibilité de l’utiliser sur le liquide céphalo-rachidien « permettant de faire la preuve d’une neuroborréliose ». Le rajout de deux souches est pour le professeur, est surtout dû à « la pression du marché » qui incite à lancer des nouveaux produits, comme pour n’importe quelle entreprise.

La maladie de Lyme est-elle à l’origine d’autres maladies ?

Adepte du camouflage, la maladie de Lyme serait non seulement difficile à détecter, mais serait en plus responsable d’autres pathologies, comme la sclérose en plaques, l’arthrite rhumatoïde, la fibromyalgie. Cela, avec une variabilité importante des symptômes. Pour Benoît Jaulhac beaucoup de patients voient dans la maladie de Lyme une réponse à des symptômes inexpliqués :

 « Trop souvent, quand on ne trouve pas ce que vous avez – et c’est bien normal – on cherche. Et à partir du moment où on trouve des anticorps contre quelque chose, et on se dit : « c’est ça l’origine ». Je n’ai pas vu ces patients en question, donc je ne peux pas me prononcer sur chacun de ces cas. Je dis juste que dans certains cas, ça peut être une façon facile de mettre un nom sur une maladie ».

Par exemple, une personne ayant le cancer peut s’estimer infectée, parce qu’elle présente des anticorps contre la maladie de Lyme dans le sang. « On préférerait que ce soit une maladie pour laquelle il y a un traitement antibiotique plutôt que d’avoir à faire chimiothérapie » explique le professeur, précisant que ce genre de réaction est « humaine ».

Les anticorps présents dans le sang peuvent-ils prouver qu’il existe des porteurs sains ? « Si ça existe, c’est extrêmement rare » estime Benoît Jaulhac, pensant plutôt que chaque personne peut-être en contact avec la maladie sans la contracter, comme des « cicatrices ».

Benoît Jaulhac admet que « certains tableaux cliniques » entre la sclérose en plaques et la neuroborréliose peuvent aisément se confondre. Pour le professeur, des outils existent et sont capables de distinguer les deux à l’heure actuelle. Mais pour utiliser ces outils, encore faut-il faire les bons diagnostics…

La maladie de Lyme peut-elle se transmettre lors d’une perfusion ?

Le scandale du sang contaminé avec le virus du SIDA appelle naturellement cette question dans le cas de la maladie de Lyme. Très franc sur ce point, Benoît Jaulhac dit ne pas « souscrire à cette peur ». Tout d’abord, selon Benoît Jaulhac, le sang, c’est « la mort assurée pour la bactérie ». La bactérie n’y résisterait pas, car le sang aurait « des facteurs solubles » qui la tuerait.

Surtout, s’il est avéré que la bactérie circule dans le sang de petits rongeurs, Benoît Jaulhac explique que chez les grands mammifères, comme l’homme par exemple, la « charge en bactéries » est très faible dans le sang. Dans le cas d’une perfusion, le professeur estime que la probabilité est trop faible pour qu’une bactérie se trouve précisément à ce moment là, en appuyant d’ailleurs sur le fait que le sang est traité pour qu’il ne soit pas trop immunogène.

Néanmoins, le professeur explique que le doute est naturel puisqu’il existe effectivement des expériences dans lesquelles des bactéries de la maladie de Lyme ont survécu dans des concentrés de globules rouges pendant plusieurs semaines. Mais pour le scientifique, c’est un procédé artificiel qui a peu à voir avec les situations réelles.

Existe-t-il des cas de transmission de la maladie de Lyme entre une mère et son fœtus ?

Pour Benoît Jaulhac, la crainte d’une contamination intra-utérine est liée à une confusion :

« Il y a un principe de précaution installé dans plusieurs pays européens. Par précaution, on ne va pas prendre de risque et on va traiter toute femme enceinte qui ferait un érythème migrant (symptôme typique de la maladie de Lyme, ndlr). On la traite non seulement pour l’érythème migrant mais pour éviter tout risque de transmission. Mon opinion, sur cette base là, c’est qu’on a mélangé la précaution avec l’idée d’avoir quelque chose. Cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas avoir un cas par ci ou par là, et c’est pour ça qu’on a mis en place un processus préventif, ce qui me paraît tout à fait justifié ».

La transmission serait donc « exceptionnelle ». Dans la littérature scientifique, Benoît Jaulhac référence seulement deux cas suspects de transmission de la maladie de Lyme de la mère à l’enfant, dont un quasi-certain. À cet égard, le scientifique estime que le principe de précaution est suffisant et estime peut-être qu’une vingtaine d’enfants au maximum ont pu naître dans le monde, sur vingt ans, avec la maladie de Lyme. Benoît Jaulhac se dit par ailleurs « choqué » par cette « peur générée » qui a amené une mère à lui demander si elle devait avorter.

Aller plus loin

Sur Futura-Sciences : Les secrets de la maladie de Lyme par Benoît Jaulhac

Sur L’Alsace.fr : « Tout n’est pas Lyme et Lyme se traite facilement » Interview du Dr Pierre Kieffer, du CH Mulhouse.

Sur Rue89 Strasbourg : tous nos articles sur la maladie de Lyme et notre dossier.


#Benoît Jaulhac

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