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« Il appelait son chauffeur tonton » : l’opposition presse la Collectivité d’Alsace à restaurer le transport des élèves handicapés

La rentrée a eu lieu sans eux. En Alsace, des enfants en situation de handicap attendent toujours un transport scolaire adapté, supprimé ou retardé par la Collectivité européenne d’Alsace. Trois élus d’opposition lancent un appel pour soutenir la mobilisation des familles révoltées.

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« Il appelait son chauffeur tonton » : l’opposition presse la Collectivité d’Alsace à restaurer le transport des élèves handicapés
Naïm, 10 ans, atteint de la myopathie de Duchêne, est transporté dans le véhicule que sa mère a acheté.

Naïm a fait sa rentrée en sixième lundi 13 octobre 2025. Un mois et demi après ses camarades de classe. Atteint d’une myopathie de Duchenne (une maladie dégénérative qui entraîne un affaiblissement progressif des muscles et une fatigue extrême), le jeune garçon attendait un transport scolaire adapté à son handicap pour aller au collège. Sa mère, Nassera, s’est battue pendant des mois pour obtenir cette autorisation de la Collectivité européenne Alsacienne (CeA).

« Nous lançons un appel pour le respect du droit à l’éducation des enfants en situation de handicap. La CeA se désengage de ses obligations de leur fournir un transport scolaire adapté », commence Fleur Laronze, élue communiste d’opposition, lors d’une conférence de presse organisée vendredi 17 octobre. Autour de la table, trois mères de famille sont venues témoigner du combat qu’elles mènent contre le barrage administratif érigé par la Collectivité d’Alsace. L’appel à soutenir la mobilisation de ces familles a recueilli 323 signatures d’élus, d’enseignants, de représentants associatifs et syndicaux ou bien de transporteurs.

La charge du transport laissée parents

La Collectivité d’Alsace a voté un nouveau règlement sur le transport scolaire des enfants handicapés, entré en vigueur le 1er septembre 2025. L’administration a décidé de prioriser le remboursement des frais kilométriques des trajets plutôt que le transport individualisé des enfants avec taxi et chauffeur. Considérant ainsi que la charge du transport repose sur les parents. Une décision qui révolte Ludivine Quintallet, élue écologiste d’opposition :

« La CeA fragilise volontairement les familles déjà fragiles ce qui provoque des situations de perte d’emploi, de dépression et de déscolarisation des enfants. Pourquoi quand vous êtes mère d’un enfant handicapé, vous devriez l’emmener tous les jours à l’école alors que les autres familles utilisent les transports scolaires ? C’est la compétence sociale de la CeA, c’est elle qui en a la responsabilité. »

En 2024, en Alsace, 1 780 jeunes étaient concernés par le dispositif. Parmi eux, 1 300 disposaient de transports individualisés. À la rentrée 2025, ils ne sont plus que 350 à avoir accès à un taxi et un chauffeur.

« Autonomie dans les transports en commun », voilà la justification donnée par la CeA pour le refus de transport scolaire pour Youssef, le fils d’Imanne.

Imanne habite à Ostwald et a dû scolariser son fils au collège privé Notre-Dame de Sion à l’Orangerie puisqu’aucun autre établissement ne pouvait lui fournir d’enseignement adapté. À 14 ans, Youssef est atteint de dysphasie sévère. Il connaît des difficultés pour se repérer dans l’espace, pour écrire ou pour lire les panneaux. Prendre les transports en commun pour aller en cours est donc impensable. Mais la CeA n’a pas accepté sa demande de transport individualisé. Imanne a dû quitter son travail d’assistante administrative pour emmener son fils au collège. Les larmes aux yeux elle raconte son quotidien :

« Je dépose Youssef à 6h40 le matin et je viens le chercher à 16h30. La journée est trop longue pour lui, il est rapidement fatigué. Mais je ne peux pas venir le chercher pendant la journée, j’ai un petit de 4 ans dont je dois aussi m’occuper. Je ne travaille plus et j’ai été obligée de payer un collège privé donc financièrement, ça devient très difficile. Avant, on partait en vacances chaque année mais là ça fait 4 ans qu’on n’est pas partis. »

« Faire baisser la facture »

Pour les trois élus d’opposition à la CeA à l’origine de l’appel à soutenir la mobilisation des familles, le nouveau dispositif mis en place par l’administration a pour objectif de « faire baisser la facture ». Pour faire des économies, la CeA fait désormais appel à des sociétés de transport moins coûteuses. « La plupart sont parisiennes et ne connaissent ni la géographie alsacienne, ni les familles contrairement aux transporteurs locaux », explique l’élue communiste Fleur Laronze. Deux chaises plus loin, Nassera ne cache pas sa colère : « Faire des économies sur le dos des enfants en situation de handicap ça me dégoûte. »

La priorisation de sociétés de transport nationales précarise les salariés des sociétés locales comme Christophe Mouaki.

Assis aux côtés des mères de famille, Christophe Mouaki apporte son témoignage en tant que transporteur. Lui qui a noué des liens avec ces enfants en situation de handicap, regrette cette nouvelle prise en charge du transport :

« Le règlement d’avant était humain : les rotations méridiennes étaient possibles, on s’adaptait au planning de l’enfant et ça soulageait les parents. Désormais, ce sont aux familles de s’habituer aux transporteurs. Le taxi vient les chercher à 8h et les ramène à 17h alors que certains jeunes n’assistent parfois qu’à deux heures de cours en raison de leur handicap et devraient pouvoir rentrer chez eux dès 10h. Ils errent dans l’établissement en attendant qu’on vienne les chercher. Ça n’a plus aucun sens. »

Nassera, la mère du jeune Naïm regrette la situation de l’année passée : « On avait des transporteurs et ça marchait très bien. Ils m’aidaient au quotidien et mon fils appelait son chauffeur tonton. Il y avait un lien humain et la CeA nous a retiré ce lien », s’exclame-t-elle. Si la mère du jeune Naïm a finalement obtenu un taxi pour son fils, de nombreuses familles luttent encore.

L’élue communiste Fleur Laronze et les élus écologistes Ludivine Quintallet et Damien Fremont accusent l’exécutif de la CeA de fuir ses responsabilités auprès des enfants handicapés.

Un barrage administratif

Afin d’obtenir une autorisation de transport, les familles doivent faire un recours auprès de la Collectivité d’Alsace. Une charge administrative importante, difficilement surmontable pour certains parents, qui ne parlent ou n’écrivent pas toujours très bien le français. Nassera explique avoir reçu des appels de mères de famille désemparées devant la paperasse à remplir. Pour l’élue communiste Fleur Laronze, ce barrage administratif est volontaire de la part de l’exécutif de la CeA :

« Les familles ont été mises devant le fait accompli, le nouveau règlement a été pensé sans concertations avec les familles. Plusieurs d’entre elles ne sont toujours pas au courant qu’elles doivent faire un recours pour espérer obtenir un transport pour leurs enfants. La CeA compte sur le fait que les familles ne fassent pas les démarches administratives pour obtenir un transport ou un remboursement et faire des économies. Ils ont volontairement rendu la demande de transport plus contraignante. »


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