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Accueil des réfugiés: 2 mois après, 6 arrivées à Strasbourg

Début septembre, la France annonçait son intention d’accueillir 30 000 réfugiés en deux ans. Comme d’autres villes, Strasbourg s’est portée volontaire pour prendre sa part du quota. Mais deux mois après l’annonce du maire de rejoindre le réseau des villes solidaires, six personnes seulement ont été accueillies par la Ville. La plupart des associations d’aide aux réfugiés ignorent encore leur arrivée.

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La France s'est engagée à accueillir 30 000 réfugiés. Fuyant l'Irak et la Syrie, beaucoup arrivent par l'Europe, comme ici, en Hongrie.

La France s'est engagée à accueillir 30 000 réfugiés. Fuyant l'Irak et la Syrie, beaucoup arrivent par l'Europe, comme ici, en Hongrie.
La France s’est engagée à accueillir 30 000 réfugiés. Fuyant l’Irak et la Syrie, beaucoup arrivent par l’Europe, comme ici, en Hongrie. (Crédit : Martin Leveneur / Flickr / cc)

En deux ans, la France doit accueillir 30 784 réfugiés, dans le cadre du plan européen de relocalisation des réfugiés, mis en place par la Commission européenne pour accueillir 160 000 demandeurs d’asile qui fuient la guerre ou la torture. Ils viennent principalement de Syrie, d’Irak ou d’Érythrée et ont déjà été enregistrés dans un autre pays européen.

La France s’est déjà engagée cet été à accueillir avant la fin de l’année le « quota Merkel », soit un millier de réfugiés en provenance d’Allemagne. Parmi eux, 600 demandeurs d’asile ont déjà été orientés vers la région parisienne, où leur demande est traitée de façon accélérée avant d’être renvoyés en province.

D’autres sont sélectionnés dans des camps de réfugiés au Liban et en Jordanie, par des équipes de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra)

En novembre, les choses s’accélèrent

Pour répartir les arrivées, le gouvernement a créé six pôles d’accueil sur tout le territoire. Situés à Lyon, Bordeaux, Nantes, Metz, Besançon et en région parisienne, ces centres réceptionnent les demandeurs d’asile et traitent leurs dossiers. Si l’Ofpra leur reconnaît le statut de réfugié, ils sont ensuite répartis dans les différents départements.

À Strasbourg, c’est la préfecture du Bas-Rhin qui gère les arrivées. Le sous-préfet Jean-Luc Jaeg a pour cela été nommé coordinateur départemental par le préfet. Son rôle : structurer l’accueil, en concertation avec les différents acteurs impliqués par la question du logement, l’ouverture des droits sociaux, l’insertion professionnelle ou la scolarisation des enfants :

« Les choses vont s’accélérer car, à partir du mois de novembre, des quotas de migrants actuellement en Grèce ou en Italie vont arriver en France. L’accueil est planifié et le département est prêt à prendre en charge les réfugiés même si pour le moment, aucun effectif n’a été arrêté. »

À Strasbourg, six réfugiés arrivés du Moyen-Orient

Le 2 novembre, la Ville a pris en charge quatre personnes, d’origine irakienne. Trois hommes et une femme, âgés de 25-30 ans, exerçant des professions diverses : informaticien, professeur de mathématiques ou encore mécanicien. Venues d’Allemagne, elles ont été prises en charge dans un premier temps en région parisienne. Selon la préfecture, ce sont les premiers réfugiés arrivés à Strasbourg dans le cadre de relocalisation des 30 000.

Un couple les a rejoints lundi 16 novembre. Ils sont logés et pris en charge par Adoma, l’une des cinq associations de logement chargées par la préfecture de gérer l’accueil des réfugiés et demandeurs d’asile. Ces opérateurs sont les seuls habilités à recevoir des moyens financiers du gouvernement : selon la préfecture, le budget prévoit une enveloppe globale de 1 500 euros par réfugié pour le logement et 330 euros supplémentaires pour l’aide à l’installation.

Environ 35 logements répertoriés

Suite à l’appel lancé le 12 septembre par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve à tous les maires de France pour leur demander de répertorier les logements disponibles, la Ville de Strasbourg a mené son enquête. Jean-Luc Jaeg dresse le bilan :

« Actuellement on a 35 logements que la Ville de Strasbourg a fait remonter. Ils sont déjà disponibles ou seront libérés avant le 31 décembre. Ils appartiennent à la Ville de Strasbourg ou aux bailleurs sociaux. Les communes environnantes ont également été sollicitées. Sur une dizaine de commune, on peut ajouter environ 15 logements. »

La taille de ces logements varie de la simple chambre à l’appartement familial. D’autres ont été répertoriés par la Ville de Strasbourg dans le privé comme le public pour être débloqués si nécessaires. Selon Marie-Dominique Dreyssé, adjointe au maire (EELV) chargée de la solidarité, une centaine de places feraient ainsi partie du contingent. L’adjointe au maire se veut rassurante :

« On n’est pas comme en Allemagne. On a le temps d’accueillir les réfugiés, de les répartir. Au pire, il y a l’hôtel mais cela reste une solution de secours, à éviter pour ne pas entraver le marché immobilier et touristique. »

À la mairie, on passe le relais

Le 9 septembre, le maire Roland Ries (PS) avait annoncé que Strasbourg rejoignait le réseau des villes solidaires et s’engageait à accueillir les réfugiés rapidement. Depuis, un numéro vert a été mis en place par la mairie. En deux mois, il a récolté plus de 2 000 appels. À la question de savoir si les réfugiés sont déjà arrivés, le standard répond qu’il n’a pas de nouvelles mais prend volontiers toutes les propositions :

« Vous pouvez donner des vêtements, des chaussures, du petit mobilier ou des affaires de puériculture. Les affaires ne sont pas stockées à la mairie mais données aux associations partenaires qui les redistribuent ensuite. »

Car pour Marie-Dominique Dreyssé, l’accueil des réfugiés repose en grande partie sur le tissu bénévole et associatif de Strasbourg :

« L’Alsace est une région habituée à accueillir. Les Alsaciens eux aussi ont été réfugiés au moment de la guerre. Et puis, la présence des institutions européennes influence. Il y a beaucoup d’associations à Strasbourg et différentes religions s’entrecroisent. Tout cela joue un rôle. »

Des réunions, pour information

Les images liées à l’actualité ont aussi incité de nombreux Alsaciens à donner. La photo du petit Aylan, retrouvé mort sur une plage turque alors que lui et sa famille tentaient de rejoindre l’Europe, a fait le tour du monde et réveillé les consciences. C’est sur cet élan de générosité que les élus comptent désormais.

Depuis l’annonce du maire, deux réunions se sont tenues pour mettre en relation les bénévoles et les associations. La troisième, qui devait avoir lieu mi-novembre, a été annulée faute d’accord sur l’horaire. Leur but : canaliser les bonnes volontés et informer. Aucun moyen matériel et financier n’est toutefois prévu par la municipalité ou la préfecture, comme le précise Jean-Luc Jaeg :

« On est dans le cadre de la mobilisation citoyenne, pour ce qui concerne les dons matériels, l’aide ou l’accompagnement. Aucune aide aux associations ou aux particuliers n’est prévue car nous avons assez de logements et encore peu d’arrivées à gérer. »

Sur le terrain, aucune nouvelle des réfugiés

Contactées par téléphone, les associations, elles, n’ont pas entendu parler de l’arrivée des réfugiés. Sur les deux réunions, Germain Mignot, responsable de l’une des permanences d’accueil de l’association Caritas, n’a assisté qu’à la première :

« Les gens étaient assez mécontents car ils ont envie d’aider mais la mairie se contente de les envoyer vers des associations qu’ils pourraient trouver par eux-mêmes sur Internet. En dehors de ces réunions, aucune aide concrète ou financière n’a encore été versée et nous ne savons pas si les réfugiés sont déjà arrivés. »

Même constat pour Nazih Kussaibi, le président de l’association Alsace-Syrie. Il n’a pas attendu l’annonce de la mairie pour venir en aide à la communauté syrienne :

« Ici, on a de nouvelles personnes qui frappent à la porte toutes les semaines. Elles fuient les conflits en Syrie. Nous essayons de les loger avec notre propre circuit. Bien sûr, on a fait une réunion à la mairie au début mais il n’y a pas eu de suite sur le terrain. »

Aucune suite concrète mais de nombreuses propositions d’aide émanant des citoyens. Ces propositions concernent les dons mais aussi le bénévolat. Caritas a reçu beaucoup de bénévoles et n’a pour le moment refusé personne. Suite à l’annonce du gouvernement, aucune action supplémentaire n’a été mise en place mais l’association a continué ses missions habituelles : service de domiciliation postale, cours de français, accompagnement scolaire, vacances pour les plus démunis, accueil, écoute et aide aux démarches administratives. Ces actions s’adressent à toutes les personnes vivant dans la précarité. Parmi elles, 49% sont des migrants.

Les réfugiés… et tous les autres

L’urgence ne concerne pas seulement les réfugiés, mais également les migrants, venus en France à la recherche d’un travail, pour étudier ou demander l’asile. Depuis janvier 2015, près de 1500 migrants ont enregistré une demande d’asile dans le Bas-Rhin, un chiffre stable selon le collectif Casas, par rapport aux années précédentes.

En attendant que leur dossier soit traité, certains sont hébergés dans un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada). Selon l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), l’Alsace compte 14 Cadas et 12 centres d’hébergement d’urgence (Huda). Mais les places sont rares et beaucoup se retrouvent à la rue ou sans domicile fixe.

Contrairement à l’Allemagne, les demandeurs d’asile n’ont pas le droit de travailler. Ils touchent des allocations dont le montant a été diminué suite à une réforme de l’asile votée cet été. Ils ne recevront plus que 6,80 euros par jour au lieu des 11,45 euros prévus jusqu’à présent. Un supplément de 4,20 euros est accordé pour les familles, comme le confirme Leandro Montello, le directeur territorial de l’Ofii :

« Le changement est effectif pour les nouveaux demandeurs d’asile enregistrés depuis le 2 novembre 2015 et pour les demandeurs d’asile hébergés en Cada. Les premiers versements interviendront fin novembre. »

La réforme prévoit aussi de réduire le délai de traitement de la demande, qui s’étale souvent sur deux ans. Selon Eurostat, sur les 62 735 demandes d’asile déposées en France l’année dernière, 20 640 seulement ont été validées par l’Ofpra, soit environ une sur trois.

« Il n’y a pas de mauvais migrants »

Les migrants dont la demande est refusée se retrouvent souvent confrontés à une situation d’extrême précarité, comme ceux pris en charge par la Cimade qui gère en grande partie des migrants déboutés d’asile. Chaque année, près de 8 000 personnes sollicitent son aide. Parmi elles, seules 1 200 sont accompagnées. Avec deux salariés, deux stagiaires et une cinquantaine de bénévoles, l’association ne peut traiter toutes les demandes, comme l’explique Françoise Poujoulet, déléguée nationale de la Cimade sur le secteur Alsace-Lorraine :

« Les autres personnes se débrouillent par leurs propres moyens, sont réorientées ou laissées car ce sont des personnes pour qui on ne peut rien faire pour le moment. Avec la réforme de l’asile, la procédure ne sera pas forcément mieux adaptée. Généralement en France, quand on simplifie les choses, ça devient encore plus compliqué. »

Depuis le début des annonces concernant l’accueil des réfugiés, l’association met en garde contre le risque d’opposition des populations. Pour Françoise Poujoulet, il n’existe pas de mauvaises raisons de migrer :

« On ne peut pas dire qu’il y a de bons réfugiés, qui sont partis pour fuir un pays en guerre, et des mauvais migrants qui ont quitté leur pays pour des raisons économiques ou climatiques. Fuir devant la famine est tout aussi légitime que devant la guerre. »

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Sur Rue89 Strasbourg : comment aider les réfugiés ?

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#Françoise Poujoulet

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