L’affaire a démarré sur Facebook, et c’est encore là que la publication de notre enquête a trouvé une première caisse de résonance. L’opposition municipale s’est d’abord indignée de la situation. Puis dans la foulée, Philippe Bies, adjoint au maire chargé du logement, s’est emparé de l’affaire, et a posté un message sur le réseau social, invitant les internautes concernés à transmettre leurs plaintes au service santé publique et environnementale de la CUS.
Eric Elkouby, adjoint de quartier, s’est aussi impliqué, comme le racontent les DNA (8 mars). Des locataires se seraient plaint à lui lors de ses permanences, aussi a-t-il rencontré le propriétaire. « Il fallait rompre le silence, c’est le rôle d’un élu, mettre du liant, rétablir le dialogue », explique Eric Elkouby. Le propriétaire, « dépassé par les évènements », selon les mots de l’adjoint, se serait par ailleurs engagé à mettre en place un « plan pluriannuel de réhabilitation » pour lequel « la ville peut lui apporter une assistance », ajoute-t-il.
Benamran connu de longue date
A la ville justement, Philippe Bies affirme que Joseph Benamran est en réalité « connu depuis 1996 ». Et de souligner que « deux logements, situés dans des caves, ont été fermés pour insalubrité en 2008 ». Deux logements, sur un patrimoine qui en compterait entre 400 et 500. Même si tous ne sont pas en mauvais état, la toile bruisse : pourquoi avoir attendu aussi longtemps ? Dans son bureau, l’adjoint se défend : « Nous agissons quand nous avons des plaintes et, c’est très surprenant, mais comparé à l’étendu du patrimoine, nous en avons eu très peu ». En même temps, pour que la ville intervienne, « il faut que le locataire prouve qu’il a déjà tenté d’agir auprès de son propriétaire, avec des copies de courriers, etc. », détaille l’élu. Mais cette fois, Philippe Bies s’engage « à intervenir sans attendre ».
Dans le même temps, plusieurs membres de l’UMP se sont lancés dans un porte-à-porte. Et ils n’ont « pas été déçus du voyage », selon le conseiller municipal UMP Jean-Emmanuel Robert, qui devrait interpeller le maire sur sa politique en matière de « lutte contre les marchands de sommeil » lors du conseil municipal, cet après-midi. Il s’émeut de l’image désastreuse que garderont de Strasbourg, capitale européenne, les étudiants étrangers locataires de Joseph Benamran, et redoute un drame à l’instar des incendies qui ont ravagés plusieurs immeubles parisiens dernièrement. Lui propose de créer une « cellule de veille » rassemblant services publiques et associations, de mettre en place un numéro vert…
Les témoignages affluent sur le groupe Facebook
Pour les locataires, les choses semblent enfin bouger. Le nombre de membres du groupe Facebook a presque triplé en quelques semaines, les témoignages affluent, photos à l’appui. Yves, le créateur de la page, met patiemment à jour la carte interactive à chaque nouvel immeuble découvert. « Les médias reprennent toujours les premières adresses citées, mais il y a beaucoup d’autres immeubles s’ils veulent aller sur le terrain. »
Afficher Benamran SCI – Strasbourg sur une carte plus grande
« La loi n’est pas très coercitive et il la connaît bien. »
Le jeune homme a rencontré le fils de Joseph Benamaran, Daniel. « Il essaie de reprendre les choses en main et nous a envoyé des signes positifs, il veut faire un courrier à tous les locataires. J’ai eu l’impression qu’il considérait finalement la médiatisation de l’affaire comme un mal pour un bien. » Mais les travaux nécessaires seront-ils réalisés ? « Même son entourage est dubitatif, il sait comment contourner la loi : il commence les réparations qu’on lui impose, envoie ses ouvriers une demi-journée tous les six mois et fait traîner en demandant des délais supplémentaires », explique un locataire qui souhaite rester anonyme. Cette technique, Philippe Bies la connaît aussi : « Quand on demande à M. Benamran de faire des travaux, il s’y plie puisqu’il les débute, mais il bricole… La loi n’est pas très coercitive et il la connaît bien ».
Du coup, la Confédération syndicale des familles (CSF) a décidé de remédier aux éventuelles lacunes des locataires en matière de droit, en organisant une réunion publique mardi 13 mars. Une trentaine de locataires étaient présents. En face, trois bénévoles distribuent la parole et tentent de consigner par écrit le flot de témoignages. « J’ai eu des champignons qui poussaient au plafond », raconte un jeune homme au fond de la salle. Aussitôt une autre main se lève, « moi aussi j’ai eu un dégât des eaux ». Et puis, rue du Jeu-de-Paume, « une vieille dame n’a plus d’eau chaude depuis décembre ». Les locataires vident leur sac, les bénévoles juristes tentent de différencier les plaintes entre insalubrité, indécence et trouble de la jouissance d’un bien. Ils rassurent les participants qui disent « avoir peur d’être confronté au propriétaire et mis à la porte de leur appartement s’ils se plaignent ».
« Une assistance de la ville pour le propriétaire ? »
Une jeune femme, Julia, revient sur les déclarations lues dans la presse et interroge : « Comment le propriétaire pourrait bénéficier de l’assistance de la ville et donc de nos impôts, alors qu’il n’a pas de soucis financiers puisqu’il continue à acheter des immeubles ? » Soudain, l’adjoint au maire Olivier Bitz, jusque là silencieux au premier rang avec Pascale Rouillard (directrice du service santé publique et environnementale à la CUS), se lève pour répondre et, accessoirement, rectifier le tir. « Nous ne sommes pas sur une logique d’aides, d’arrangement ou de plan plurinanuel de réhabilitation. Nous travaillons sur la légalité, le respect de la loi. La lutte contre l’habitat indigne est une priorité depuis 2009, quatre personnes à temps plein s’y consacrent, 500 dossiers ont été traités l’année dernière. »
L’élu n’était pas invité, les bénévoles de la CSF essaient de reprendre la main, on s’interroge sur la manière de procéder pour fédérer les locataires lésés. Vaut-il mieux désigner des référents d’immeubles, organiser une autre réunion, tracter dans les boîtes aux lettres ? « Nous sommes un outil à votre disposition, nous avons les moyens de vous aider mais nous ne pouvons rien faire sans vous », rappellent les membres de la CSF. « Mais, il faut adhérer ? », interrompt Julia. « Non, c’est sur la base du volontariat, répond Colin Riegger de la CSF, tout en précisant: « Seulement, nous n’avons la capacité de représenter que nos adhérents ». Petit flottement. Olivier Bitz en profite pour faire une annonce : « Par redéploiement, deux personnes supplémentaires travailleront au service santé publique et environnementale. Et trois personnes seront affectées à plein temps sur cette affaire précise, dès demain. »
Julia, locataire au 6 place Sainte-Aurélie et qui ne se considère « pas comme la plus mal logée », a décidé de s’impliquer davantage dans le mouvement. Elle aide à la modération des propos sur la page du groupe Facebook et relaie les informations dans les boîtes aux lettres car ses « affichettes sont systématiquement arrachées ». Et dans sa cage d’escalier aussi, désormais, « ça sent bon ». Enfin… « On a l’impression que c’est propre mais je me repère aux confettis qui sont là depuis Halloween. Avant ils étaient partout, aujourd’hui ils sont dans les coins. »
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