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Anatomie du RSA : Alain, 61 ans, un cancer, un diabète et 715 euros pour vivre

Bénéficiaires du RSA, Alain, père de famille atteint d’un cancer, Sarah, mère célibataire, et Georges, trentenaire militant, décrivent leur quotidien. Une réalité sociale brutale où le budget ne permet que de survivre.

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Anatomie du RSA : Alain, 61 ans, un cancer, un diabète et 715 euros pour vivre

489 euros de revenu de solidarité active (RSA) et 226 euros d’aide au logement (APL). Alain connait ces chiffres par cœur. Il compte tout. « J’ai 61 ans, ça fait 11 ans que je suis au RSA. Au début ça allait encore, mais avec l’inflation, c’est devenu impossible », constate-t-il. Dans son appartement, au troisième étage d’un petit immeuble de Cronenbourg, des posters d’Elvis Presley et Johnny Hallyday sont accrochés au mur. Alain est allé plusieurs fois à des concerts du second. Mais les temps ont changé : « Maintenant je ne fais plus rien. Je dois décliner tout ce qu’on me propose. Ah si ! Parfois ma fille ainée me paye le McDo. »

« Je creuse des dettes en permanence »

Les 715 euros d’allocations qu’il reçoit tous les mois ne comblent pas les frais d’Alain : 580 euros de loyer pour son deux-pièces du parc privé, 80 euros de gaz et d’électricité « en moyenne », 60 euros pour la box internet, l’abonnement téléphonique et la télévision, ainsi que 100 euros de courses en Allemagne. Et toutes les semaines, en donnant 2,50 euros, il peut remplir un panier équivalent à 25 euros de courses à La Caravelle, l’épicerie solidaire de Caritas. Cela fait 830 euros à dépenser pour vivre :

« Le plus important pour moi, c’est le loyer. Je le règle parce que je veux garder un toit sur la tête. Je suis condamné à jongler en ne payant pas les autres factures, le gaz, l’électricité ou internet selon les mois. Je dépense le strict minimum, mais comme je dois dépenser plus que ce que je gagne, forcément je creuse des dettes en permanence. L’année dernière, pour les rembourser, j’ai utilisé le chèque énergie et mes enfants se sont cotisés pour payer le reste. Sinon, les années précédentes, j’ai souvent demandé une aide du fonds de solidarité logement (FSL) avec une assistante sociale. »

Alain se fait à manger avec les produits qu’il achète en Allemagne et à l’épicerie solidaire La Caravelle : « Heureusement que je sais cuisiner, ça coûte moins cher. » Photo : TV / Rue89 Strasbourg

Un problème de santé et tout bascule

Alain a « commencé à travailler à l’âge de 13 ans » comme forain, avant de faire de la menuiserie. Puis, la majeure partie de sa vie, il a été cariste en intérim. « J’étais comme tout le monde, je n’aurais jamais imaginé me retrouver dans une telle situation. » À 50 ans, subitement, il enchaine les coliques néphrétiques, avec des calculs dans les reins qui causent une douleur intense dans le dos et le ventre. Les médecins lui annoncent qu’il ne doit plus porter de charges de plus de 10 kilogrammes. « Plus aucun employeur ne voulait de moi. À partir de là, c’était la descente aux enfers », se souvient-il, en remuant sur sa chaise.

Alain est au RSA depuis 2012. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Dans les années qui suivent, son état de santé se dégrade. En mai 2022, il fait une biopsie et une prise de sang. On lui diagnostique un diabète de type 2 et un cancer : « pancréas et intestin grêle », liste-t-il, lapidaire : « J’ai du mal à me déplacer maintenant, je suis très faible. Quand je monte les escaliers de mon immeuble, je fais deux pauses. Le chirurgien m’a dit qu’il n’y aura pas d’amélioration. »

Alain désigne des boites de médicaments posées sur un meuble, « des antidépresseurs, des myorelaxants, des antidouleurs ». « Ça m’attaque le moral et m’emmène tout doucement vers la déprime », résume t-il, avec pudeur, avant de prendre une bouffée de cigarette. « C’est mon seul vice, j’ai commencé à 13 ans », glisse l’habitant de Cronenbourg, un sourire en coin.

« Le RSA ne me permet pas de vivre »

Pour respirer, le sexagénaire a demandé l’allocation adulte handicapé de 971 euros après une opération de son système digestif en juin 2022. Mais cette dernière lui a été refusée quelques mois plus tard : « Ils ont considéré que je n’étais handicapé qu’à 35%, ce qui ne suffit pas. Il faut atteindre 80% de handicap pour y prétendre », explique Alain. Il est dans l’attente du résultat d’une nouvelle demande. En attendant, il se démène pour survivre entre maladies sévères et soucis financiers.

Dans le cadre du projet de loi « plein emploi », l’Assemblée nationale a voté jeudi 28 septembre une mesure qui conditionne l’obtention du RSA à une quinzaine d’heures de bénévolat. Le gouvernement s’est allié aux députés du parti Les Républicains pour faire passer cette vieille obsession de droite portée par Nicolas Sarkozy depuis 2015 : assortir le RSA d’obligations au nom de la lutte contre « l’assistanat ». Le vote final de la loi « plein-emploi » est prévu le 10 octobre.

Alain ne se sent pas concerné : « Comment voulez-vous que je fasse du bénévolat ? Ils ne se rendent pas compte de comment on vit. » Le père de famille ne regarde plus la télévision. Il exprime sa colère contre les politiques qui montrent du doigt les bénéficiaires du RSA :

« Quand je vois ce qu’ils peuvent dire aux informations, ça me hérisse le poil. Je n’ai pas choisi d’être malade et cela peut arriver à n’importe qui. Je n’ai jamais rechigné à la tâche, j’ai travaillé pendant 37 ans. Le RSA est une aberration, c’est ma seule solution mais il ne me permet pas de vivre. J’échangerai ma place avec celle d’une personne en bonne santé qui travaille sans aucune hésitation. »

Alain a commencé à travailler « à l’âge de 13 ans ». Photo : TV / Rue89 Strasbourg

Sarah, mère célibataire au RSA

Pour Sarah, mère célibataire de 25 ans (lire son témoignage), ces discours stigmatisants ne passent plus :

« On nous prend pour des fainéants qui sont contents d’avoir 500 euros par mois. Je paye le loyer et ensuite, avec ce qu’il me reste, je peux juste mourir chez moi. J’ai résilié mes abonnements Netflix, Deezer et internet. Et en plus de ça, je dois subir les remarques des gens qui jugent les personnes au RSA alors que je me démène comme je peux. »

Avec Ezra, son fils de trois ans et demi, Sarah habite dans un petit appartement du quartier Laiterie. À 14 ans elle a commencé son CAP vente et a travaillé jusqu’à ses 21 ans pour Promod, en intérim avec l’agence Manpower et à la boulangerie Woerlé. En 2020, l’année du confinement contre le Covid, elle a perdu son emploi et rompu avec son copain. Sarah s’est retrouvée seule avec Ezra.

« Aucun employeur ne veut de moi, j’ai trop de contraintes horaires avec mon enfant. Quand le RSA, les APL et la pension alimentaire ne suffisent pas, je fais des ménages au noir pour payer les courses et les charges », souffle-t-elle, en donnant un morceau de chocolat à son fils pour le goûter : « Je veux qu’il ne manque de rien. »

Les Restos du cœur et les chèques services

Sarah dénonce les variations du montant de son RSA, qui change sans qu’elle n’ait d’explications :

« Au début il était à presque 500 euros, mais depuis cet été il est passé à 372 euros. Quand on demande à la CAF pourquoi, ils ne répondent pas. C’est hyper violent parce que le budget est déjà très serré. Je suis obligée d’aller aux Restos du cœur et j’ai eu 200 euros de chèques services pour faire les courses après une demande chez une assistante sociale. Je n’ai pas le choix. »

Dernière solution trouvée en septembre : un CAP pâtisserie avec une alternance à l’hypermarché Auchan de Hautepierre, qui devrait enfin lui permettre de toucher un salaire début octobre. Mais si Sarah peut se permettre cette formation, c’est parce que son oncle s’occupe de son fils pendant son absence.

Sarah est mère célibataire depuis trois ans. Photo : TV / Rue89 Strasbourg

« Pour Noël et mon anniversaire, je demande des paniers de légumes »

Georges, 34 ans, touche les minima sociaux depuis 2021. Avec 750 euros de RSA et d’APL pour 400 euros de loyer charges comprises, il lui reste 350 euros pour vivre. À Noël et son anniversaire, il demande à sa famille de lui offrir un abonnement annuel pour un panier de légumes hebdomadaire. Tout en balayant le sol de sa cuisine, il constate qu’il parvient à trouver des solutions grâce à son ancrage dans des réseaux militants :

« Je me déplace à vélo et je ne paye quasiment rien pour le réparer parce que je suis inscrit au Stick (un atelier d’autoréparation, NDLR). Je suis bénévole aux Petites roues (association de distribution alimentaire, NDLR) donc de temps en temps je mange un repas. J’ai des espaces de socialisation qui ne passent pas par la consommation, avec des groupes militants, et je vais souvent à des soirées au Molodoï quand l’entrée est à prix libre. »

Sa propriétaire ne sait pas qu’il est bénéficiaire du RSA. Georges était encore en CDI quand il a emménagé. Même s’il vit plutôt bien, il compte retrouver du travail pour aider sa petite sœur étudiante qui n’a plus de revenu. En attendant, il se consacre à ses engagements, notamment un groupe d’entraide du syndicat de la CNT destiné aux personnes en difficulté pour trouver ou conserver un appartement. George prend une gorgée de café et parcourt du regard un tract de son organisation intitulé « Galère de logement ? ».


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