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Anne Thevenot, psychologue : « Aucune discipline seule ne pourra réduire les violences conjugales et intrafamiliales »

La psychologue Anne Thevenot a co-dirigé la rédaction de l’ouvrage « Faire face aux violences conjugales » publié aux Presses Universitaires de Strasbourg. Pour mieux lutter contre les violences intrafamiliales, la professeure de psychologie défend une approche pluridisciplinaire.

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Anne Thevenot, psychologue : « Aucune discipline seule ne pourra réduire les violences conjugales et intrafamiliales »

L’Université de Strasbourg est prolifique dans la recherche sur les violences conjugales et intrafamiliales. En janvier 2021, la maîtresse de conférence en sociologie Alice Debauche présentait les résultats d’une enquête sur les violences de genre. L’étude était alimentée par de nombreuses chercheuses strasbourgeoises. En octobre 2021, un autre ouvrage publié aux Presses Universitaires de Strasbourg abordait la même problématique. « Faire face aux violences conjugales – approches croisées d’un phénomène complexe » est le résultat de recherches en psychologie, en histoire, en droit ou encore en sociologie. Objectif : contribuer à l’amélioration des actions de prévention à court ou moyen termes.

Interview de l’une des co-directrices de ce travail universitaire, la psychologue et professeure de psychologie Anne Thevenot. Elle sera présente avec l’autre co-directrice de cette recherche, la psychologue et maître de conférence en psychologie Claire Metz pour une rencontre le mardi 8 février à 18h30 à la bibliothèque nationale universitaire.

Anne Thevenot, psychologue et professeure de psychologie et de psychopathologie cliniques à l’université de Strasbourg, codirectrices l’ouvrage « Faire face aux violences conjugales – Approches croisées d’un phénomène complexe » Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Rue89 Strasbourg : Comment est né le projet de recherche qui a abouti à la publication de l’ouvrage « Faire face aux violences conjugales » ?

Anne Thevenot : Ce projet est celui du laboratoire « Subjectivité, lien social et modernité ». Ma collègue C Metz a commencé à s’intéresser à la famille par le biais des violences intrafamiliales et des enfants qui les subissent. Nous sommes toutes les deux psychologues avec une expérience clinique, donc un accès à ce qui se passe en société. Nos recherches sont donc liées à ce que nous rencontrons sur le terrain.

Il y aussi eu en 2016 un premier groupe de travail pluridisciplinaire dirigé par Frédérique Granet, professeure de droit privé à l’Université de Strasbourg. Le travail de juristes, de sociologues et de psychologues, en lien avec des policiers, éducateurs, gendarmes et assistantes sociaux avait abouti à un rapport visant à mieux prévenir les violences conjugales. Nous avons persisté dans cette approche pluridisciplinaire, car aucune discipline seule ne pourra permettre de réduire les violences conjugales et intrafamiliales.

Pourquoi la pluridisciplinarité vous paraît indispensable lorsqu’on cherche à comprendre les violences conjugales ?

Notre ouvrage commence par une volonté d’apporter un éclairage historique, avec la contribution de Christine Hue-Arcé « Amour ou destruction ? Le couple et la violence : Égypte du Nouvel Empire et époque gréco-romaine ». Mais nous avons aussi besoin de la sociologie et des études de genre, qui ont permis de mettre en lumière l’organisation de nos sociétés autour du patriarcat et de la domination masculine, qui participe à la socialisation et la construction subjective dès le plus jeune âge.

« La victime et l’auteur des violences ne se retrouvent pas ensemble par hasard »

D’un point de vue de psychologue enfin, la dichotomie auteur/victime n’est pas pertinente. Ce que nous développons, c’est que la victime et l’auteur des violences ne se retrouvent pas ensemble par hasard. À travers la violence, il y a quelque chose qui se rejoue entre les deux personnes. Nous avons rencontré des personnes qui sont engagées durablement dans une relation violente et qui n’arrivent pas à s’en défaire. Bien sûr, il y a encore matière à améliorer la protection des victimes par la police et la justice. Mais il faut aussi voir qu’il y a d’autres freins pour les victimes de violences conjugales.

Il n’y aurait donc pas seulement des freins institutionnels pour sortir d’une situation de violences conjugales. Comment expliquez-vous les freins individuels ?

Dans une situation de violences intrafamiliales, il y a souvent quelque chose de leur passé qui se rejoue. L’enjeu dans ce cas, c’est de repérer ce qui se joue pour pouvoir s’en défaire. Je repense, par exemple, à une femme rencontrée lors d’un entretien. Elle a beaucoup parlé de la pitié qu’elle avait à l’égard de l’homme extrêmement violent à son égard. A travers l’homme violent, elle distinguait aussi une victime de violences dans son enfance. Cette femme donc, quand elle parlait de son enfance, on retrouve le sentiment de pitié mais cette fois pour sa mère, car son père la trompait sans se cacher. Elle pleurait avec sa mère et avait pitié d’elle. Le fil rouge ici, c’est la pitié. Pour pouvoir aider la personne à sortir de la violence, il faut qu’elle s’en rende compte.

« La justice s’est tournée plus vers la sanction que le soin »

Vous êtes aussi critique vis-à-vis de la prise en charge des auteurs de violences conjugales. Pourquoi ?

Du côté des hommes, il y a eu des tentatives de prise en charge. Mais du fait des baisses de budget, l’institution judiciaire s’est tournée plus vers la sanction que le soin. Certes, la prise en charge des auteurs de violence renaît de ses cendres par des groupes de parole (lire notre reportage-dessiné en 4 épisodes), notamment des groupes qui mêlent auteurs et victimes de violences conjugales. Il faut voir si cette piste peut permettre aux hommes violents de mieux comprendre ce qui se passe pour les victimes.

L’une de nos doctorantes travaille justement sur la prise en charge des auteurs de violences conjugales. Elle étudie l’évolution des auteurs après un stage de responsabilisation. Personnellement, je m’interroge sur l’efficacité d’un stage de deux jours. D’autres stages, avec un même volume horaire, dure cinq à six semaines. Ceci permet aux moins aux participants d’être confrontés à leurs montées de violence pendant leur stage.

Plus de violences lors des grossesses

L’un des articles de l’ouvrage « Faire face aux violences conjugales » souligne l’importance des urgences dans la lutte contre les violences conjugales. Pouvez-vous nous expliquer ?

La grossesse est souvent un moment de déclenchement ou d’accroissement des violences conjugales. Il est donc essentiel que les urgences hospitalières, ainsi que les services de maternité ou de gynécologie soient attentifs à ces problématiques. C’est pour cette raison que les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg doivent bientôt disposer d’une psychologue et d’une assistante sociale, pour aiguiller les victimes de violences conjugales vers le dépôt de plainte.

Le mardi 8 février à 18h30 vous serez présente ainsi que votre collègue Claire Metz pour une rencontre autour de votre ouvrage à la bibliothèque national universitaire. Est-ce que cet événement s’adresse aux professionnels et autres experts du sujet, ou au grand public ?

À travers cette rencontre, nous cherchons aussi à sensibiliser le grand public sur ce sujet. En France, nous avons encore tendance à être très respectueux de la vie privée de chacun, on va hésiter à intervenir. Or, ce qu’on entend parfois des victimes, c’est que « si quelqu’un m’avait tendu la main, je m’en serais peut-être sortie ». J’espère donc qu’à travers cet événement le grand public puisse trouver une entrée dans ce sujet difficile.


#violences conjugales

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