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Des associations de compost plantées par les bornes de biodéchets

La mise en place des bornes de ramassage des biodéchets depuis 2022 par l’Eurométropole de Strasbourg impacte la pratique du compost de proximité, gérée par des associations dans les quartiers.

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Des associations de compost plantées par les bornes de biodéchets
Le compost crée de la coopération entre les habitants.

« Les bornes de biodéchets ont un gros impact sur nos sites de compost, on a perdu la moitié de nos déposants », s’inquiète Éric Fries-Guggenheim, membre de l’association Compostra. Depuis 2022, le compost, bien qu’emblématique d’une société écologique et solidaire, est délaissé par les Strasbourgeois et les Strasbourgeoises. En effet, celles et ceux qui compostaient préfèrent désormais utiliser les bornes d’apport de biodéchets, déployées progressivement sur le territoire de l’Eurométropole de Strasbourg. Les associations de quartier, historiquement en charge de structurer la pratique du compost, regrettent le manque d’engouement pour le compostage.

D’un côté, la collecte publique des biodéchets, transportés et transformés industriellement, permet la production de biogaz. De l’autre, le compost associatif est utilisé comme fertilisant pour les sols des espaces verts et des jardins des quartiers. Dans les deux cas, ce sont les déchets issus de la cuisine et du jardinage qui sont transformés.

Une valorisation obligatoire

Depuis 2022, l’Eurométropole met progressivement en place des bornes de biodéchets : 2 400 tonnes de déchets verts et alimentaires ont été collectés en 2023. Au 17 avril 2025, près de 1 450 bornes ont déjà été installées sur les 1 800 prévues pour l’ensemble de la métropole d’ici fin 2025. Seuls quelques quartiers ne connaissent pas encore ces nouvelles bornes, tels que l’Elsau et le Neuhof, déjà peu équipés en matière de gestion de déchets.

Avec ce dispositif, l’Eurométropole applique la loi AGEC (anti-gaspillage pour une économie circulaire) qui la contraint à valoriser ses biodéchets depuis le 1er janvier 2024. Une fois collectés, ils sont envoyés à Oberschaeffolsheim, où le méthaniseur Méthamusau les transforme en biogaz injecté dans le réseau de gaz naturel.

À chaque tournée, près de 9 tonnes de biodéchets peuvent être collectées.

Des composteurs sans compost

L’association Compostra est présente dans les quartiers du Conseil des XV, de l’Esplanade, de Neudorf et de la Musau. Elle met à disposition douze sites de compostage. Si elle réunissait 870 adhérents en 2019, elle n’en compte plus que 430 en 2024. Même constat pour l’association des Compostiers du Landsberg, à Neudorf, qui est passée de 90 adhérents en 2021 à 35 en 2024. Le bilan de l’association Envie de Quartier est plus démonstratif encore : sa présidente, Lilli Papaloïzos se désole :

« On a perdu près de deux tiers de nos membres. Avant les bornes, nous en avions environ 120 membres. Maintenant nous en avons 40. »

En conséquence, la quantité de compost produite a fortement diminué depuis 2022. Lucas Chlémaire, chargé de mission à la Maison du compost, explique :

« Sur certains sites, au lieu de faire trois à quatre transferts par an des matières collectées vers des bacs de maturation, on est passé à un ou deux transferts, voire plus aucun. »

Ce manque de production de compost pèse sur les jardiniers, qui ne peuvent plus l’utiliser comme fertilisant naturel, mais aussi sur le moral des bénévoles, qui « voient moins l’intérêt de s’investir et s’essoufflent« , s’inquiète Lucas Chlémaire. Il constate également « une diminution des échanges entre les habitants ».

Le compost générateur de lien social

« Le compost permet la création de lien social », explique Valérie Vogel, membre des Compostiers du Landsberg, qui décrit également de la solidarité entre les habitants. Les apports de toutes et tous permet ensuite la distribution d’un compost pour les jardins alentours. Parmi eux, des potagers dont la production agricole est elle-même source de partage, tels que le jardin de la rue des Lentilles, dans le quartier de la Petite France.

« Le compost est un concept low-tech, on observe ensemble de quoi est composée la terre de notre quartier », ajoute Valérie Vogel. Avec les autres adhérents, ils découvrent les propriétés du sol au fil des saisons et le travail des vers de terre. Dans le même temps, les pratiques du compost se transmettent, les conseils et les équipements de jardinage s’échangent.

Trop loin, trop contraignants et pas assez accessibles

Les associations sont conscientes que le compostage présente des inconvénients par rapport à la collecte industrielle, qui justifient la baisse de fréquentation observée. Il faut par exemple adhérer à une association de quartier. Cela coûte environ cinq euros et aide à leur gestion, tel que l’équipement en outils – le renouvellement des bacs de compostage est quasi-intégralement financé par l’Eurométropole.

Faute de cotisations suffisantes, Compostra connaît des difficultés de fonctionnement : avant 2022, elle percevait 6 000 euros de cotisations, contre 2 200 euros en 2025. « On se déplaçait, pour rendre service à nos adhérents, mais on ne peut plus le faire comme avant », déplore Éric Fries-Guggenheim.

Autre inconvénient : selon les associations, les bacs de dépot de compost ne sont pas accessibles en permanence. Olivier, membre de l’association « Petite France », le regrette :

« On ne peut déposer nos déchets que pendant les permanences, les samedis avant midi. J’ai bien compris l’intérêt du compost, mais ça reste sacrément contraignant. »

Les valeurs de coopération et de solidarité mises en avant par les associations ne suffisent plus à convaincre, face à la facilité d’accès des bornes. Celles-ci fonctionnent comme des poubelles de tri et sont accessibles 24h/24, sept jours sur sept. Lilli Papaloïzos, présidente d’Envie de quartier, s’en désole :

« Tout le monde est paresseux. La baisse de fréquentation montre que la facilité prime sur la prise de conscience d’un cercle vertueux. »

Les mythes du compostage

Une autre entrave au compostage est le tri entre les déchets verts et les déchets alimentaires. Certaines associations refusent ainsi la viande, le pain ou les agrumes dans leurs bacs de dépot… Tandis qu’aux bornes de collecte, les habitants peuvent déposer tous leurs biodéchets, sans distinction.

Pour échapper à cette contrainte, la Maison du Compost a effectué des essais sur les différentes matières compostables. Elle assure ainsi qu’en effectuant certains gestes, tous les déchets alimentaires sont compostables, comme le revendique Lucas Chlémaire :

« On peut composter les agrumes et les condiments. On dit que la viande attire les rats, mais les rongeurs sont tout autant attirés par les légumes. »

Fort de ces résultats, le chargé de mission a tenté de convaincre les associations de quartier d’élargir le compostage à l’ensemble des déchets originaires des cuisines. Mais malgré sa tentative, certaines restent sceptiques et préfèrent conserver leurs pratiques.

Le compost de proximité ne peut pas être la seule solution

L’avantage principal du compost réside dans sa valorisation de proximité. En effet, les déplacements du compost restent locaux et nécessitent très peu d’énergie. La méthanisation quant à elle permet la production de biogaz et celle d’un digestat (composé d’éléments organiques et de minéraux, pouvant être utilisé comme fertilisant sur les sols agricoles).

Selon une étude de 2019, commanditée par l’agence de la transition écologique, « les bénéfices environnementaux potentiels » sont plus nombreux dans les processus de méthanisation que dans ceux du compostage industriel. Même si les deux techniques ont des impacts sur l’environnement, le rapport coût-bénéfice est plus avantageux dans la méthanisation.

Les deux méthodes peuvent cependant coexister. Car les associations interrogées savent ne pas être capables de traiter l’entierteté des biodéchets des habitantes et habitants de l’Eurométropole. Eric Fries-Guggenheim, de Compostra, estime le « flux annuel à 26 000 tonnes de déchets originaires des cuisines. En ajoutant les déchets verts, créés par les jardins, on arrive à 45 000 tonnes de biodéchets en tout ». Sur les sites de compostage, les associations ont traité 200 tonnes de biodéchets en 2023, soit 0,9% du flux annuel.

Malgré tout, les activités liées au compostage parviennent à se maintenir avec difficulté sur les différents sites. Eric Fries-Guggenheim s’inquiète pour le futur de La Maison du Compost :

« Avec la baisse de fréquentation, on craint que la convention annuelle d’objectifs (une aide financière délivrée par l’Eurométropole à La Maison du Compost, NDLR) disparaisse. »


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