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Atteintes de vulvodynie, la galère de deux Alsaciennes pour se faire soigner

La vulvodynie est une maladie encore méconnue et taboue qui touche entre 8 et 16% des femmes. Il faut des années pour obtenir un diagnostic, en raison du manque de professionnels formés.

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Atteintes de vulvodynie, la galère de deux Alsaciennes pour se faire soigner

« Lorsque je faisais une crise de vulvodynie, j’avais l’impression qu’on me brûlait la vulve avec un briquet et je ne pouvais ni m’habiller, ni sortir. » Élodie est atteinte de vulvodynie. Cette maladie encore méconnue et taboue touche entre 8 et 16% des femmes, selon les chiffres de l’ISSVD (une organisation américaine spécialisée dans l’étude des maladies vulvo-vaginales). Elle se définit comme une douleur chronique ou périodique localisée sur la vulve. C’est une pathologie difficile à traiter et à diagnostiquer car elle ne comporte pas de symptômes visibles.

Un délai moyen entre 5 et 7 ans pour se faire diagnostiquer

Habitante de Schlierbach, Élodie, 26 ans, a commencé à ressentir des douleurs à la vulve il y a environ trois ans :

« J’avais l’impression qu’on me brûlait la vulve avec un briquet. Lorsque je faisais une crise, je ne pouvais ni m’habiller, ni sortir. Heureusement, mes patrons étaient compréhensifs et je pouvais me mettre en télétravail, sinon je ne sais pas comment j’aurais fait. Cela me gâchait la vie, je n’osais même pas en parler à mon conjoint. »

En un an, cette habitante de Schlierbach s’est rendue trois fois aux urgences de Mulhouse. On lui a diagnostiqué des cystites, des mycoses et prescrit des antibiotiques. La jeune femme a ensuite consulté cinq gynécologues et trois sages-femmes à Colmar et Mulhouse. C’est finalement Jennifer Trubaluk, sage-femme à Rixheim, qui lui diagnostique une vulvodynie, à l’aide du « test du coton-tige ». Ce test consiste à poser un coton-tige au niveau de l’abouchement des glandes de Bartholin, situées de part et d’autre de la vulve. Si la douleur est immédiate à la pression du coton-tige, le test est positif. Cette douleur peut être plus importante d’un côté que de l’autre.

Le test du coton-tige permet de diagnostiquer une vulvodynie. Si la douleur est immédiate à la pression du coton-tige, le test est positif. Photo : document remis

Élodie a eu de la chance : le délai moyen entre le début de la douleur et le diagnostic d’une vulvodynie se situe entre cinq et sept ans, selon le Centre Hospitalier Lyon Sud. Corinne Claudot, sage-femme à Golbey dans les Vosges, abonde :

« La plupart de mes patientes ne viennent pas pour ce motif, mais on s’en rend compte lors de la consultation. J’ai une patiente qui a été diagnostiquée au bout de sept ans, après sa deuxième grossesse. »

Une douleur physique et psychologique

Pour Morgane (le prénom a été modifié), 18 ans et à peine sortie du lycée, les douleurs ont commencé il y a deux ans, lors de vacances aux États-Unis avec sa famille. Au début, elle pensait qu’il s’agissait d’une mycose. Elle suit donc un traitement. Une fois de retour en France, elle consulte plusieurs gynécologues et spécialistes. La douleur était de pire en pire alors qu’elle n’avait pas de mycose :

« J’étais prête à tout essayer. Je ne pouvais pas vivre ma vie normalement : je n’allais presque pas en cours, je ne pouvais pas m’habiller comme je voulais, ni sortir avec mes amis. Ce n’était pas possible d’avoir une sexualité comme les autres… Psychologiquement, c’est très difficile. J’avais l’impression que je n’allais jamais m’en sortir. »

« Au bout de 6 mois, les douleurs étaient toujours là »

Désespérée, la lycéenne cherche des remèdes sur Internet et finit par se convaincre de suivre un régime très strict, pendant six mois, car elle pense qu’une alimentation déséquilibrée pourrait être à l’origine de ce qui lui arrive. Pas de sucre, pas de lactose, pas de gluten… « Mais au bout de 6 mois, les douleurs étaient toujours là. » 

Morgane décide alors de voir une psychologue, ce qui est le cas pour de nombreuses patientes. Mais la vulvodynie n’est pas pour autant une maladie psychologique :

« C’est une maladie qui a des répercussions psychologiques. Ressentir de la douleur en permanence est très difficile psychologiquement. De plus, comme elles sont diagnostiquées au bout de plusieurs années, c’est une inquiétude permanente. Et enfin, cette maladie a un impact sur leur sexualité puisqu’elles ne peuvent pas avoir de relations comme elles le souhaiteraient. »

Jennifer Trubaluk, sage-femme à Rixheim

Les traitements ne fonctionnent pas toujours

Morgane continue ses recherches sur Internet et tombe sur un article qui mentionne les symptômes de la vulvodynie et se dit que cela pourrait être ce qui lui arrive. Prête à faire le déplacement partout en France, elle contacte une sage-femme à Lyon qui mentionne la vulvodynie sur son site, Camille Tallet. Cette dernière lui recommande Jennifer Trubaluk, plus proche du domicile de la lycéenne.

Une fois diagnostiquée, le traitement peut commencer. Dr Émilie Faller, gynécologue médical et obstétrique au centre hospitalier universitaire à Strasbourg détaille un processus qui prend au minimum 6 mois :

« Nous sommes souvent démunies car les traitements que nous proposons à nos patientes ne fonctionnent pas toujours. Nous leur prescrivons des médicaments, des crèmes, de la kinésithérapie et nous adaptons en fonction des cas. Il y a peu de recherches en France sur le sujet. Quand on tape « vulvodynie » dans Pubmed, le principal moteur de recherche en médecine, on compte 65 articles sur la vulvodynie dans l’année en cours contre 1914 pour l’endométriose. »

Un traitement pluridisciplinaire

Élodie et Morgane sont toutes les deux suivies par Jennifer Trubaluk. Cette sage-femme a fait ses études en Belgique et est spécialisée dans les pathologies vulvaires :

« Lorsqu’on parvient à mettre un nom sur la maladie, souvent les patientes se mettent à pleurer de soulagement. Un bon diagnostic est la première étape du traitement. Ensuite, il faut une prise en charge pluridisciplinaire : être suivie par une sage-femme et un.e kinésithérapeute pour les exercices de rééducation du périnée, une dermatologue pour se faire prescrire des crèmes à appliquer sur la vulve, un.e gynécologue qui prescrit les médicaments contre la douleur et enfin, consulter un.e psychologue ou sexothérapeute pour les femmes qui en ressentent le besoin.« 

Élodie a dû se rendre à Lyon pour voir un gynécologue, le Dr Étienne Beaufils :

« Je n’ai pas trouvé de gynécologue formé pour me suivre et qui soit proche de mon domicile. J’ai donc préféré faire le déplacement, même si cela a un coût financier. Heureusement je n’ai fait qu’un seul rendez-vous en présentiel, les consultations se font maintenant en visioconférence.« 

Certains médicaments utilisés dans le traitement de la vulvodynie ne peuvent être prescrits par la sage-femme, notamment ceux qui diminuent les douleurs.

Cette maladie est à la fois dermatologique, car elle touche les tissus de la vulve, gynécologique, musculaire et a une dimension psychologique. Il faut donc allier différentes méthodes pour la guérir. Élodie se rend chez une sage-femme pour une séance de rééducation avec par semaine. Elle prend des médicaments pour réduire la douleur et consulte un ostéopathe une fois par mois. Elle a aussi des crèmes à appliquer au niveau de la vulve. De son côté, Morgane voit la sage-femme une fois par semaine, prend des médicaments toutes les semaines, ainsi que de l’homéopathie :

« Je ne suis pas encore guérie mais ça va beaucoup mieux. Le plus frustrant avec cette maladie, c’est qu’il faut être patiente. Il faut se réjouir des petites victoires. La douleur peut revenir et c’est ça qui fait le plus peur. »

Les patientes atteintes de vulvodynie doivent souvent prendre des médicaments toutes les semaines, notamment pour diminuer la douleur. Photo : Volodymyr Hryshchenko / Unsplash

Virginie Lutz-Chaussemy, dermatologue spécialisée dans la prise en charge des pathologies vulvaires à Strasbourg, oriente ses patientes vers des kinésithérapeutes qui s’occupent de la dimension musculaire de la vulvodynie : 

« Ces professionnels ont des techniques particulières. Ils font des exercices de rééducation du périnée, ce qui permet de relâcher les muscles internes et externes des patientes. De mon point de vue, cela fonctionne vraiment. J’ai beaucoup de patientes qui vont mieux rien qu’avec ce type d’exercice. »

Pas assez de spécialistes formés en Alsace

Il existe très peu de formations en France, spécialisées dans les pathologies vulvaires. Contactés, plusieurs professionnels indiquent à Rue89 Strasbourg avoir suivi une formation à Paris ou à Lyon. Le Centre hospitalier Lyon Sud a ouvert une consultation spécialisée en 2019, alliant gynécologie et dermatologie.

Les gynécologues sont censés être formés sur ces questions pendant leurs études. Cependant, Élodie et Morgane ont toutes les deux consulté plusieurs gynécologues qui ne leur ont pas détecté de vulvodynie et leur ont répondu que « c’était dans leur tête ».

Les causes des vulvodynies sont encore inconnues. En France, les douleurs des femmes intéressent peu la recherche. Rappelons que l’endométriose (une maladie qui déclenche des douleurs pendant les règles) a été décrite pour la première fois par le médecin tchèque Karel Rokitansky en 1860, mais n’est entré dans les programmes des études de médecine qu’en septembre 2020.


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