Juste un mois avant que l’Euro 2024 soit lancé, un tournoi d’un autre genre prenait place à Strasbourg. Loin des stades clinquants, une vingtaine de jeunes se donnaient pour terrain de jeu un large carré de béton, situé sous les fenêtres du Centre administratif. Lors du match, lundi 23 mai 2024, l’enjeu était moins la performance sportive que politique : les joueurs répondaient à l’appel de leurs clubs amateurs, qui cherchaient à interpeller les élus pendant la tenue du conseil municipal. Ils reprochaient notamment le manque d’investissements financiers de la ville, un dialogue complexe et des besoins en termes d’équipements.
Six mois plus tard, la municipalité écologiste joue le match retour. Lors du premier conseil municipal de l’année, lundi 3 février, elle présentera les conclusions d’un groupe de travail mêlant des élus de la majorité et de l’opposition, ayant mené une série d’entretiens sur l’état du foot amateur à Strasbourg. Objectif annoncé : clore la guerre ouverte avec le monde du foot amateur en mettant à plat tous les sujets.
Mission de paix
Pour tout mettre sur la table, l’exécutif a concédé aux clubs mobilisés et à son opposition municipale la tenue d’une « mission d’information et d’évaluation », lors du conseil du 24 juin 2024. Cette « MIE » regroupe un groupe d’élus, créé ad hoc pour plancher sur la question.
De septembre à novembre 2024, 15 élus municipaux (11 venant de la majorité, quatre de l’opposition) ont pu s’entretenir avec des représentants des 24 clubs de foot amateurs, représentant ensemble près de 7 000 licenciés foot, en organisant une série de visites. Les membres de la MIE se sont divisé le travail entre quatre commissions, dédiées à la situation économique des clubs, aux créneaux de terrains, aux bâtiments et à « l’environnement urbain ».
« Ils sont passés fin novembre au club, ils étaient sept ou huit. On a d’abord pris un café au clubhouse, puis on a fait un tour des installations ». Hamza Bensiali, président du club Inter Meinau, se rappelle d’une ambiance cordiale ; les conseillers sont principalement venus pour écouter la direction du club et la questionner sur ses difficultés. « Notre principal problème, ce sont nos finances », reprend Hamza Bensiali.
Il s’insurge contre des difficultés comptables perpétuelles :
« Au niveau financier, on n’est pas assez suivis par la municipalité. Une initiative positive, comme la bourse d’aide aux licences (qui exonère de 80€ le paiement de la licence pour les enfants de famille ayant un quotient familial inférieur à 720€, ndlr) peut devenir un gros problème pour nous, puisqu’on doit avancer la somme directement à la place des parents, sans attendre qu’ils fassent la demande de bourse. L’année dernière, on a perdu 5 000€ avec ça. »
Question finances
La question financière, qu’aborde Hamza Bensiali, est longuement évoquée dans le rapport. Dans son texte, la MIE Foot distingue « trois leviers principaux » pour le soutien économique aux clubs, la mise à disposition d’équipements et l’Office des sports (avec la formation de bénévoles ou encore l’aide à la recherche de financements).
Concernant le soutien économique, l’élément central reste la subvention de fonctionnement des clubs. Pour le foot, elle représente environ 300 000 euros en 2023, soit 20% de l’enveloppe globale d’1,5 millions d’euros pour le sport amateur. Ces subventions sont calculées selon six critères, dont le nombre de licenciés, les efforts des clubs en faveur du sport « citoyen », « solidaire », « durable » et « éducatif », et les contraintes liées aux déplacements pour les clubs jouant aux niveaux régional et national. Ils peuvent bénéficier en plus d’une subvention d’investissement, pour « effectuer de petits travaux ou acheter du matériel ».

Les subventions perçues dépendent donc de la taille des clubs. Pour les « petits » clubs, la somme annuelle est en moyenne de 5 600€. Pour les clubs moyens, cette somme monte à 34 350€, et pour ceux « de grandes tailles » d’environ 66 800€ par an.
Dans son rapport, la MIE n’est pas très rassurante sur l’état de santé financier des clubs :
« De manière globale, la majorité des clubs de football et les sections football des omnisports
étudiés lors de la MIE réalisent un résultat comptable négatif. Les cotisations et les subventions
constituent les principales recettes des clubs quelle que soit leur taille (…). »
Sur tous les terrains
Autre grand sujet de débat pour les clubs : les infrastructures. La Ville compte 24 stades de foot dispersés au quatre coins de la commune, pour un total de 57 terrains. 27 sont en « herbe », 27 sont en « gazon synthétique », et 3 terrains sont sur « sol stabilisé ».
En matière d’équipements sportifs pour le foot, la Ville y a alloué près de 30 millions d’euros entre 2020 et 2026, dont 18 millions versés pour financer les travaux d’extension du stade de la Meinau. En tout, cette somme représente 44% de l’ensemble des sommes dépensées pour les infrastructures des sports amateurs – 69 millions euros.

Le rapport relève plusieurs investissements, dont la création d’un terrain en gazon synthétique au Centre sportif Ouest pour 1,7 millions d’euros, la réfection de deux terrains à la Ganzau (500 000€) et à la Rotonde (550 000€). Plus récemment, la Ville a engagé des travaux pour éclairer le stade Charles Frey, et a aussi voté pour l’attribution d’une subvention d’un million d’euros pour la construction d’un stade éclairé avec un gazon synthétique dans la même zone, ainsi qu’un vestiaire.
Le rapport relève plusieurs critiques récurrentes de la part des clubs, qui regrettent « des délais d’intervention trop longs », des « pannes régulières » pour la ventilation, les douches ou encore le chauffage, l’absence d’entretien préventif et un nettoyage souvent insuffisant. Certains clubs reprochent également à la mairie un « manque de communication sur ses interventions ».
Question de priorités
Politiquement, la MIE aura eu un mérite : apaiser la situation. « On a joué le jeu, en prenant notre part dans la remise en question », résume la co-présidente du groupe Strasbourg écologiste et citoyenne, Floriane Varieras, membre de la MIE. Si l’élu municipal d’opposition Pierre Jakubowicz (Horizons) reconnaît à son tour que la MIE s’est déroulée « dans un climat plutôt serein » et a permis de « sortir d’une ambiance de guerre de tranchées en renouant le dialogue », il regrette qu’elle n’en dise pas plus sur la politique sportive de la Ville :
« La question de la performance reste entière. Est-ce que la Ville veut aider les clubs à monter, ou juste à accompagner les enfants ? Dans le sport, quand tu fais de la compétition, le but reste de gagner. Mais on a le sentiment que c’est un aspect du sport que la municipalité a voulu laisser de côté, qu’elle ne voit pas forcément d’un bon œil que des clubs du territoires montent en national, à cause des conséquences budgétaires. »
En creux, la saillie de Pierre Jakubowicz rappelle la situation du FCOSK06, un club de Koenigshoffen ayant connu une épopée en coupe de France deux ans plus tôt et une montée en N3. Le club s’était fortement mobilisé contre la municipalité en septembre 2023 et pouvait s’appuyer sur plusieurs relais dans l’opposition. Dans les rangs de la majorité écologiste, on soupçonne d’ailleurs le club d’animer activement la fronde des clubs amateurs.

« La performance est une nécessité bien sûr, mais le rôle social des clubs est très important », tempère Owusu Tufuor, l’adjoint en charge des Sports :
« Si un club a une bonne structure et une bonne gestion, il peut bien faire les deux. Il faut pousser pour la formation des jeunes du club. Combien de joueurs de l’équipe 1 du FCOSK06 ont été formé au club? »
Surtout, l’adjoint assume d’opérer une rééquilibrage entre le foot et les autres sports : « Jusqu’à présent, le foot a bénéficié d’un regard privilégié vis-à-vis des autres disciplines, mais ces dernières aussi ont besoin d’être accompagnées. »
Les conclusions et les préconisations du rapport de la MIE seront présentés lors du point 11 de l’ordre du jour, en milieu de conseil municipal.
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