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Au procès Walter, les absences du Dr Moog pèsent lourd

Oui, ne pas se rendre au chevet de Maxime Walter immédiatement a été une faute du Dr Raphaël Moog, selon les experts entendus mardi au procès de ce chirurgien de Strasbourg pour homicide involontaire.

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Le Dr Raphaël Moog reçoit les conseils de son avocat Me Alexandre au début de la deuxième journée d'audience. (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)

Le Dr Raphaël Moog reçoit les conseils de son avocat Me Alexandre au début de la deuxième journée d'audience. (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)
Le Dr Raphaël Moog reçoit les conseils de son avocat Me Alexandre au début de la deuxième journée d’audience. (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)

À 12h57 le dimanche 21 septembre 2008, le téléphone portable du Dr Raphaël Moog sonne. Chirurgien d’astreinte pour les urgences pédiatriques de l’hôpital de Strasbourg – Hautepierre, il se trouve à Truchtersheim. Il décroche et en quelques secondes, il va prendre l’une des plus mauvaises décisions de sa vie : alors qu’il apprend qu’un adolescent victime d’une chute à vélo est diagnostiqué avec un fort épanchement interne au niveau de la rate, il demande un scanner alors qu’il aurait dû simplement dire : « j’arrive ».

Cette décision, de ne pas voir le patient pour un examen initial, est peut-être à l’origine de l’invraisemblable enchaînement d’événements qui ont conduit à la mort de l’adolescent, Maxime Walter, deux jours plus tard. Un drame qui vaut au Dr Moog d’être poursuivi devant le tribunal correctionnel de Strasbourg pour homicide involontaire. Lors de la deuxième journée de ce procès mardi, les quatre experts auteurs de deux rapports médico-légaux sur l’affaire, ont tous répondu que le chirurgien d’astreinte aurait dû se déplacer.

L’un d’eux, le Pr Pierre-Yves Mure, chirurgien pédiatrique aux hôpitaux de Lyon, précise :

« En ne réalisant pas lui-même l’examen initial, le Dr Moog s’est privé d’un outil qui lui aurait sans doute permis de prendre la mesure de la dégradation de l’état de son patient tout au long de l’après-midi. La discussion avec l’équipe sur place aurait aussi été facilitée, ce qui aurait permis de prendre une meilleure décision ou en tout cas, que tout le monde sache que le patient devait être très surveillé. »

Une fois le scanner réalisé, la lacération de la rate est confirmée et elle est énorme : grade 4 sur 5 possible. Un blush artériel est détecté, ce qui indique qu’une artère est touchée, fuit, et que l’hémorragie interne est importante. Hémopéritoine massif, autrement dit l’abdomen se remplit de sang. Toute l’équipe se prépare pour une intervention au bloc. Mais pas le Dr Moog qui prescrit un traitement non opératoire (TNO) par téléphone. Ce choix est classique, il permet de conserver la rate et d’éviter les complications post-opératoires, importantes avec une ablation de cet organe (splénectomie).

Conserver la rate : un choix valide… au début

Bien que le TNO soit risqué compte-tenu de l’ampleur des lésions, aucun des experts cités mardi n’a contesté ce choix, jugé valide au début de l’après-midi. Mais l’instabilité hémodynamique de Maxime ne permettait pas la poursuite de la solution conservatrice. Selon les premiers experts, les Drs Coudane et Grosdidier, la laparotomie et la splénectomie auraient dû être effectuées plus tôt.

Oui mais voilà, on est dimanche et à Truchtersheim, le club de football dont le Dr Moog est vice-président et entraîneur doit se qualifier pour une nouvelle étape dans la Coupe de France.

Pour les avocats de la partie civiles, c’est clair, le Dr Raphaël Moog était au foot, comme le détaille Me Nicolas Fady :

« Le match commençait à 15h. Ce qui explique qu’à 15h34, le Dr Moog ne réponde pas, mais rappelle à 15h51, car c’est la mi-temps. Le FC Truchtersheim a remporté ce match. Il faut bien fêter la victoire. C’est aussi ce qui explique que le Dr Moog ne se soit rendu que vers 18h30 au chevet de son patient, et non à 16h30 comme il essaie de nous le faire croire. »

Y a-t-il un problème au service des urgences pédiatriques ?

De son côté, le Dr Moog affirme qu’il était chez lui. Les seconds experts cités, Pr Christian Gouillat, et Pr Pierre-Yves Mure, ont insisté sur un cruel manque de communication au sein du service :

« Il y a eu une erreur d’appréciation, dont une des origines est l’absence de collégialité dans la décision. Le Dr Moog a pris sa décision seul et les médecins présents n’ont pas été en mesure de le faire changer d’avis. Ça résulte d’un problème de culture dans ce service. À 21h, un médecin senior sur place aurait dû rattraper le Dr Moog par le col en lui disant que maintenant il fallait opérer. »

Ce passage à partir de 21h, c’est justement ce sur quoi a insisté la défense du Dr Moog. Pour elle, le chirurgien d’astreinte n’avait aucune raison d’être inquiet alors qu’il était rentré chez lui, rassuré après un bref entretien avec le médecin réanimateur de garde. L’ennui, c’est qu’à ce moment là, Maxime Walter s’enfonçait irrémédiablement et que personne ne semblait être en mesure de savoir quoi faire ou qui appeler. Tout s’est déroulé comme si Maxime Walter avait été constamment le problème d’un autre médecin…

Lorsque le Dr Moog est rappelé à minuit, il est déjà presque trop tard. Les analyses sanguines de Maxime Walter sont catastrophique et les deux opérations menées dans la matinée du lundi sont qualifiées de « chirurgie de sauvetage. »

Me Renaud Bettcher : « tout me choque dans ce procès »

Une famille face à la caste des médecins

Pour Thierry Walter, le père de Maxime, l’arrogance des médecins est en partie responsable de la mort de son fils :

« J’ai demandé mille fois, sur tous les tons, au Dr Moog que soit opéré mon fils. On m’a répondu que mon métier, c’était conducteur de tramways. Mais quand on voit son fils, attaché à un lit la tête vers le bas, les yeux exorbités, crier pour qu’on l’achève, vomissant du sang… Il n’y a pas besoin d’être un génie pour comprendre que le traitement choisi ne fonctionne pas ! Et au début, on a accompagné Maxime au bloc pour qu’il soit stabilisé. On nous avait dit qu’on serait tenus au courant, mais ils l’ont fait sortir du bloc par une porte arrière ! Il a fallu qu’on lui courre après. Voilà le mépris de ces gens-là ! »

Les médecins, surtout hospitaliers, sont souvent décriés pour leur manque d’humanisme. Le Dr Moog a un côté taciturne, comme l’a rappelé un ancien collègue cité comme témoin, et c’est probablement ce qui le fait passer pour quelqu’un d’insensible aux souffrances exprimées par la famille Walter. Mais en début d’audience, le Pr Jean-Michel Clavert, également médecin aux urgences pédiatriques de Hautepierre, n’a pas craint de dire à la barre que Maxime était « un glandeur » et qu’il « n’avait aucune envie de devenir un champion ». Une déclaration qui a contribué à donner l’impression que les médecins hospitaliers sont insensibles.

Aller plus loin

Sur Rue89 Strasbourg : les compte-rendus minute par minute de la première journée, de la deuxième journée et de la troisième journée.

Sur Rue89 Strasbourg : Au procès de l’affaire Walter, comment juger de la médecine ?

Sur Rue89 Strasbourg : Accusé d’homicide involontaire, un médecin de Strasbourg a-t-il été négligent ?


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