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Le tribunal relaxe la militante poursuivie pour une manifestation en soutien à la Palestine

Lundi 22 janvier, la militante strasbourgeoise Perrine Olff-Rastegar a été entendue par le tribunal correctionnel du tribunal judiciaire de Strasbourg. Après une heure d’audience, elle a été relaxée en fin de journée.

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Le tribunal relaxe la militante poursuivie pour une manifestation en soutien à la Palestine
Perrine Olff-Rastegar lundi matin avant son audience

8 heures, devant le tribunal judiciaire de Strasbourg, une trentaine de militants et militantes se sont rassemblées sous une tente, aux côtés de grands drapeaux palestiniens. Tous sont là pour apporter leur soutien à la militante strasbourgeoise Perrine Olff-Rastegar, accusée d’avoir organisé une manifestation illégale et d’y avoir participé.

“Je n’aurais jamais cru me retrouver dans une telle situation. Être arrêtée, placée en garde à vue pendant 48 heures…. Ça n’avait jamais été quelque chose que je percevais comme une menace, alors que des manifestations de soutien à la Palestine, on en avait déjà organisé plein qui s’étaient très bien passées.”

Perrine Olff-Rastegar

Le 9 octobre 2023, soit deux jours après les attaques du Hamas en Israël, Perrine Olff-Rastegar a déposé une déclaration de manifestation pour le 13 octobre intitulée « Information sur la Palestine » avec deux autres personnes. Elle est l’une des porte parole du Collectif judéo-arabe et citoyen pour la paix (CJACP), qui existe depuis une vingtaine d’années et organise régulièrement des manifestations de soutien aux palestiniens et palestiniennes.

Après une rencontre avec les forces de l’ordre pour fixer le cadre de la manifestation, elle et son collectif ne soupçonnent pas l’arrêté d’interdiction qui sera diffusé par la préfecture du Bas-Rhin, jeudi 12 octobre vers 18h – soit moins de 24 heures avant le début prévu de la manifestation. Elle relaie cette interdiction le jour même, par mail, aux journalistes notamment.

Deux infractions retenues contre elle

Le jour de la manifestation, la retraitée de 70 ans est contrôlée aux abords de la manifestation, puis interpellée et placée en garde à vue, pendant 48 heures – deux jours, deux nuits. Elle refuse la comparution immédiate et est poursuivie pour « organisation d’une manifestation interdite sur la voie publique » et « participation sans arme à un attroupement après sommation de se disperser ».

“Depuis ma sortie de garde à vue, je n’ai pas eu le droit de participer aux autres manifestations. Le collectif en a organisé plus d’une dizaine, toutes se sont très bien passées.”

Perrine Olff-Rastegar

Lundi, le tribunal correctionnel de Strasbourg l’a convoquée à 8h30. Petit à petit, les militants s’amassent dans la salle d’audience, bientôt trop petite pour les soutiens qui se serrent sur les bancs de bois clair. Les têtes grisonnantes se sourient en silence, certaines tentent de s’assoir à même le sol, rapidement rappelées à l’ordre par l’huissière en charge du bon déroulement des audiences.

Dès 8h le matin, des militants se sont positionnés devant le tribunal. Ils ont démonté leur tente vers midi – leur déclaration de manifestation s’arrêtait alors – mais ont tout de même attendu toute la journée pour connaître la sentence de leur camarade accusée.

Olivier, 65 ans, est venu de Grenoble pour la soutenir. « Parce que c’est une vieille amie mais surtout, car on devrait toujours avoir le droit de soutenir la Palestine », explique le membre du collectif Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS), qui milite pour que cessent les investissements qui profitent au régime israélien.

« On assiste à la criminalisation de beaucoup de moyens d’expression. C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui avec Perrine. Elle est tombée dans le piège des interdictions de manifestation pour risque de trouble à l’ordre public mais preuve est faite que ces manifestations n’ont jamais troublé cet ordre public. »

Olivier Schultz, membre du collectif BDS

Parmi les militants mobilisés, beaucoup se battent pour les droits des Palestiniens et Palestiniennes depuis des années, comme Françoise, qui participait aux cercles de silence des Femmes en noir. Ou encore Micheline, 75 ans, qui y a fait son premier voyage en Israël en 2006 avec le Conseil de l’Europe et milite depuis 20 ans « contre l’apartheid et la la dépossession » des terres. Elle habite près de Sarreguemines et n’aurait manqué cette journée de lutte pour rien au monde. Tous disent avoir vécu la répression de leur lutte de manière continue, depuis le début de leurs engagements militants pour la Palestine.

Plus de deux heures après le début de l’audience, la présidente du tribunal correctionnel, Valentine Seyfritz, annonce l’affaire numéro sept, celle de Perrine Olff-Rastegar. Décrite comme « intègre et prudente » par Françoise, qui est venue la soutenir, l’accusée s’avance à la barre. Sa voix douce tranche avec celles des prévenus précédents, son pull saumon vif donne une touche de couleur à la salle 201.

« Le dossier est vide. »

Me Florence Dole

Après un rappel de son lieu et de sa date de naissance, Me Florence Dole, conseil de la militante, annonce soulever la nullité de l’interpellation de sa cliente, une notification trop tardive de son placement en garde à vue et l’irrégularité de l’arrêté d’interdiction de la préfecture du Bas-Rhin.

« Le dossier est vide. Il y a juste un procès verbal dressé par un officier de police basé uniquement sur les vidéosurveillances de la ville de Strasbourg. Il n’y a pas de fiche de mise à disposition, on ne sait pas où a été interpellée ma cliente ni par qui exactement, ni dans quel cadre. Il n’y a pas de vidéo, pas de photo, on ne sait pas pour quelle infraction constatée les agents ont décidé de l’interpeller. »

Me Florence Dole, avocate de Perrine Olff-Rastegar

Tout au long de l’audience, la défense, le tribunal et le ministère public tentent de savoir si Perrine Olff-Rastegar participait à la manifestation malgré son interdiction et surtout, si la militante avait effectivement communiqué que cette manifestation avait été interdite par les pouvoirs publics. « Ces deux infractions concernent la liberté de manifester », assène Me Dole. Il est fait note que la Strasbourgeoise de 70 ans n’a aucun antécédent judiciaire.

En trame de fond, une autre question s’impose : Perrine Olff-Rastegar a-t-elle été arrêtée et poursuivie pour en faire un exemple ? Le jour de l’interpellation de Perrine Olff-Rastegar, la préfecture du Bas-Rhin a annoncé sur X (ex-twitter) que « l’organisatrice » de la manifestation serait « présentée à la justice ».

Au cours des échanges, la présidente lit ce fameux procès verbal et retrace le déroulé de la manifestation. Quatorze personnes ont été interpellées. Ordre a notamment été donné, selon ce procès verbal, d’interpeller celles et ceux qui portaient des drapeaux palestiniens. Mais seule Perrine Olff-Rastegar a été finalement mise en examen.

« C’est sûr qu’ils voulaient en faire un exemple »

Me Alima Boumediene

Parmi ses soutiens, l’avocate Me Alima Boumediene a fait le déplacement depuis le Val d’Oise. « On assiste à un durcissement contre les droits liés à la liberté d’expression, qui sont de plus en plus bafoués », estime-t-elle, justifiant son voyage pour être aux côtés de la militante alsacienne. « C’est sur qu’ils voulaient en faire un exemple, Perrine a toujours respecté la loi », assène-t-elle.

Pour la première infraction reprochée, la retraitée doit convaincre le tribunal qu’elle n’était pas sur les lieux de la manifestation interdite. « J’étais à la terrasse du café Kléber, rue de la Grange », justifie t elle. À l’aide de schémas reproduisant les alentours de la rue du 22-Novembre et de la rue des Francs-Bourgeois, le tribunal débat : a-t-elle été interpellée sur les lieux, les policiers l’y ont-ils conduite, faisait-elle réellement partie de la manifestation interdite ? Et surtout, pourquoi était-elle aux alentours du rassemblement ?

« Je me suis dit que j’allais aller sur place au cas où certains et certaines n’avaient pas vu que la manifestation était annulée. Mais j’étais à la terrasse d’un café, pas sur place exactement. »

Perrine Olff-Rastegar

Annule ou annule pas ?

Pour la seconde infraction, il est question de l’annulation même de la manifestation. La militante a-t-elle bien transmis le message après l’arrêté d’interdiction ? Son mail, adressé aux journalistes et aux membres de son collectif explique trouver l’interdiction injustifiée et promet de tenir au courant les destinataires des futures actions du collectif. « N’est-ce pas là un message un peu ambigu, selon vous ? », soulève la procureure de la République adjointe, Agnès Robine. Selon ses termes, elle aurait préféré que l’organisatrice précise que se rendre malgré l’interdiction sur la place Kléber, vendredi 13 octobre 2023 à 17h, constituait une infraction.

« Peut-on accuser quelqu’un d’avoir organisé une manifestation qui a été par la suite interdite, c’est là toute la question. Et nous n’aurions pas ce débat si l’accusée était restée chez elle le jour même. Enfin madame, vous n’êtes pas une délinquante ! »

Agnès Robine, procureure de la République adjointe

« Je trouvais ça injuste que d’autres aient eu le droit de manifester et pas nous », concède la retraitée, faisant référence à d’autres manifestations à Strasbourg à la suite des attaques du Hamas. « Mais tout le monde a très bien compris que la manifestation que nous avions organisé était bien annulée », estime-t-elle.

Pour Me Dole, il appartient à la préfecture de faire la publicité de l’interdiction. « Les arrêtés de la préfecture du Bas-Rhin sont très compliqués à trouver sur le site web », constate-t-elle. « Ma cliente a communiqué par mail l’interdiction, il n’est pas écrit dans la loi qu’elle aurait dû appeler les participants un à un ! », poursuit-elle, estimant qu’une telle responsabilité ne devrait pas peser sur la militante.

Peu avant l’interruption de séance à midi, la représentante du ministère public requiert 1 000 euros d’amende dont 500 avec sursis. Elle ne demande pas d’interdiction de manifester mais estime que la militante, au vu des éléments qui lui sont présentés, doit être reconnue coupable des deux infractions.

« Tout ça pour ça », souffle Ihssane, 31 ans. Avec son grand drapeau palestinien et son keffieh rouge et blanc, elle aura attendu toute la journée que le délibéré soit prononcé. « Ça m’a choqué qu’il ait été dit que des slogans appelant à tuer les Israéliens ont été scandés, on dit “Israël assassin” mais jamais “mort aux Israéliens”, ça jamais », assure-t-elle. Elle dénonce un acharnement contre les militants pro palestiniens. « Je suis en colère », concède-t-elle.

Ihssane, 31 ans, a passé toute sa journée lundi 22 janvier 2024 à attendre le délibéré de l’audience visant Perrine Olff-Rastegar.Photo : Camille Balzinger / Rue89 Strasbourg

Relaxe totale pour la militante

Finalement, le jugement tombe peu après 18 heures : Perrine Olff-Rastegar est relaxée des deux chefs d’accusation. « La preuve n’a pas été rapportée que l’accusée est à l’origine de la manifestation qui s’est tenue malgré l’interdiction le 13 octobre », entame la juge. Quant à sa participation à un rassemblement interdit, la présidente Valentine Seyfritz estime que « la procédure était trop imprécise » et qu’il n’y a pas moyen « de savoir si les sommations ont été faites conformément au code de sécurité intérieure ». Comprendre : faute de preuve, la militante n’est pas condamnée.

Plus de dix heures après leur rassemblement matinal, les soutiens de Perrine Olff-Rastegar, inépuisables, semblent satisfaits et surtout, soulagés. « On te l’avait bien dit », « Ça valait la peine d’attendre depuis ce matin », « On va aller fêter ça »

La militante se dit elle aussi soulagée et rassurée de ne plus être poursuivie. Elle sera parmi les participantes à la prochaine manifestation de soutien à la Palestine, affirme-t-elle en souriant.


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