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Aux marges de Strasbourg, bataille autour d’un lopin de terre agricole

Depuis 6 ans, la mairie d’Eckbolsheim, qui a rallié à sa cause la communauté urbaine de Strasbourg, compte urbaniser ses marges, en lisière du Parc des Poteries, là où le tram A arrivera bientôt et le tram sur pneu peut-être un jour. Or sur le terrain de cette future ZAC Jean-Monnet, un horticulteur refuse de quitter sa terre. La bataille pourrait aboutir à une expropriation. Décryptage.

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Aux marges de Strasbourg, bataille autour d’un lopin de terre agricole

A la limite des bans communaux d’Eckbolsheim et de Strasbourg, l’urbanisation en marche (Photo MM)

C’est une histoire humaine difficile, un dossier lourd où les intérêts divergents semblent désormais irréconciliables. D’un côté, une famille, celle de Jean-Marc Herr, propriétaire d’un peu moins de deux hectares de terres agricoles en bordure Est du ban communal d’Eckbolsheim depuis les années 1930. De l’autre, une municipalité menée par André Lobstein (UMP) qui a pour projet d’urbaniser cette zone en y construisant 350 logements neufs, dont 35 à 40% de logements sociaux. Eckbolsheim, soumise à la loi SRU qui impose 20% de logements aidés aux communes de plus de 3 500 habitants (la ville en compte 6515 au 1er janvier 2012), n’en compte pour le moment que 5%. Grâce à cet ensemble urbain, la ville se rapprochera de ses obligations légales, qui plus est, en lisière du ban communal, dans le prolongement du Parc des Poteries.

Drame familial et rupture d’activité

Jusqu’en 1999, c’est le père de Jean-Marc Herr qui exploitait la parcelle de deux hectares. Il y produit des légumes qu’il revend à un grossiste. En 2000, alors qu’il doit reprendre l’exploitation, Jean-Marc Herr est touché par un drame familial : son fils de 2 ans et demi est atteint d’une grave maladie. De 2001 à 2005, le couple doit s’installer à Paris pour le faire soigner. Il se réinstalle en 2005 à Eckbolsheim, avec leur petit garçon invalide à 80%. Entre-temps, c’est le père retraité qui a fait tourner au ralenti l’affaire familiale, sur des terres en partie en friche. Alors que son fils veut relancer l’activité, le projet de ZAC voit le jour.

Le Parc des Poteries, tout proche, ne cesse de se développer (Photo MM)

A partir de 2006, la bataille s’engage. Herr fils veut ouvrir un magasin de vente directe de productions maraîchères bio mais son permis de construire est refusé. A cette date, il démarre un blog pour exposer ses arguments, toujours actif aujourd’hui. Le maire lui propose maladroitement un autre terrain dans la commune, en zone inondable, qu’Herr bien sûr refuse. La situation s’envenime. Jean-Marc Herr intègre la liste d’opposition menée par Marc Teychenné en vue des élections municipales de 2008. La liste perd les élections, mais il rentre au conseil municipal.

Un soutien à demi de l’opposition

La position de Marc Teychenné (MoDem) concernant la ZAC est claire : oui à nouveau quartier en haute qualité environnementale (HQE), non à la méthode employée par le maire et son équipe. Pour ce conseiller municipal à la fibre verte, pas question que la SERS soit l’aménageur désigné sans concertation et que soit rayée de la carte l’exploitation Herr. Il note néanmoins :

« Attention, dans notre groupe Réagir pour l’avenir, un membre a vendu ses terrains pour réaliser la ZAC, un autre s’y oppose : il ne faut pas faire d’amalgame entre les affaires privées de Monsieur Herr et les positions du groupe. De même, dans le groupe majoritaire un membre de la commission de choix de l’aménageur (Gabrielle Mauclaire) a exprimé officiellement son opposition à la ZAC dans le registre d’enquête publique de la CUS. (voir ci-dessous) »

Après 2008, de nouvelles négociations s’engagent entre Jean-Marc Herr et Christian Dupont, adjoint au maire en charge de l’urbanisme et par ailleurs urbaniste employé par l’Adeus (Agence de développement et d’urbanisme de l’agglomération strasbourgeoise). « Un mélange des genres malsain », selon l’opposition municipale. « Je ne traite que des dossiers hors-CUS », se défend l’intéressé… Ces contacts se révèlent infructueux. Explications de l’adjoint Christian Dupont :

« On a accédé à toutes les demandes de monsieur Herr : un magasin pour vendre ses légumes, le maintien de son activité sur place ou une relocalisation de son activité, etc. Mais il nous a finalement expliqué que son exploitation ne pouvait pas coexister avec des habitations ! Après des mois de discussions, la mâchoire m’en est tombée ! Ce monsieur n’est pas fiable.

Nous avons la responsabilité de familles qui cherchent à se loger et nous ne pouvons pas développer ailleurs, ni au nord, coupé du reste de la commune par l’autoroute, où des projets de Parc expo à côté du Zénith [sous Keller-Grossmann en 2001-2008, ndlr] et d’Eurostadium ont été envisagés. Ni à l’ouest où devrait passer la VLIO… Nous ne pouvons plus perdre notre temps avec les désirs évolutifs de monsieur Herr ! »

Jean-Marc Herr a proposé à la CUS une solution d’échanges de terres qui n’a pas été retenue par la collectivité (Photo MM)

Du côté de Jean-Marc Herr, le son de cloche est bien sûr différent. L’homme se sent seul dans son combat. Ses voisins, dit-il, « n’en ont rien à faire ». Usé par des années de lutte, il semble à bout, combatif un instant, défaitiste la minute d’après :

« Ce projet de ZAC ne se fera pas ! J’irai jusqu’au bout, j’attaquerai la déclaration d’utilité publique [qui devrait être effective en 2013], l’expropriation, tout ! Aujourd’hui, supprimer des exploitations agricoles, c’est aller contre l’intérêt général ! Si Eckbolsheim manque si cruellement de logements, pourquoi étaient-ils prêts à sacrifier 70 hectares de terres pour faire le Zénith et le Parc expo ? C’est cette terre qu’ils veulent, pour des raisons purement économiques, pour faire plaisir à des investisseurs privés ! »

Les sapins qui plombent le dossier

Ce qui plombe la crédibilité du dossier de Jean-Marc Herr, c’est ce qu’il fait actuellement de ses terres. Plutôt que du maraîchage, l’opposant s’est mis à l’horticulture dès 2005-2006, et cultive des ifs, des noyers, des sapins « en bio », pour des raisons financières. Il argue :

« Ce serait du suicide de faire des légumes sans magasin de vente directe ! Et puis avec ces arbres à 300€ pièce, m’indemniser devient plus cher que si je faisais des salades… Je le regrette parce qu’ici c’est un jardin avec des points d’eau tous les 15 mètres. Mais je n’ai pas le choix. »

Seulement voilà, à la CUS, ce sont les cultures vivrières qui sont choyées dans le cadre de la politique d’agriculture périurbaine. Françoise Buffet, adjointe au maire de Strasbourg en charge de ces questions, a hérité de ce dossier « qui n’a pas avancé depuis 4 ans ». Elle note :

« Un tiers des terres de la CUS, 11 000 hectares, sont encore agricoles et toutes ces terres sont bonnes. Nous travaillons aujourd’hui avec la chambre d’agriculture au maintien et au développement de cultures en circuits courts, nourricières. Or ici, on a un monsieur avec lequel aucun terrain d’entente n’est visiblement plus possible.

On ne sait pas trop de quoi il vit, il n’a présenté aucun bilan de son exploitation, n’accepte aucune de nos propositions. Chaque année, des terres sont urbanisées quand un agriculteur part à la retraite par exemple, mais aucune situation n’est aussi compliquée que sur ce dossier-là… »

La CUS s’est donc prononcée le 22 octobre 2010 pour l’urbanisation de la zone, sans pour autant fermer la porte à une « relocalisation » de l’activité des Etablissements Herr (l’indivision qui englobe les terres et la maison de la famille Herr). Une proposition à laquelle Jean-Marc Herr n’a pas donné suite.

Courrier daté de janvier 2012 de Jacques Bigot, président de la CUS, à Jean-Marc Herr (Document remis)

Marc Teychenné, l’opposant, regrette :

« Ce n’est pas très sérieux de la part de la CUS ! Ils sont arrivés en 2008 et ont repris la position de Robert Grossmann (pro-ZAC) sans même essayer de jouer leur rôle d’arbitre entre M. Herr et André Lobstein, pour trouver une solution humainement acceptable. Alors qu’on prône le maraîchage en ville, ce n’est pas cohérent. Si l’on va jusqu’à l’expropriation, ce sera un échec. Ce n’est pas moi qui le dit, ce sont les services de la CUS… »

De son terrain, la famille Herr pourra tirer environ 5000€ de l’are, selon Christian Dupont, soit environ un million d’euros pour la totalité du bien, si ce n’est plus. « Assez pour redémarrer ailleurs », reconnait Jean-Marc Herr. Les premiers immeubles, de un à trois étages, toujours selon l’urbaniste (voire projet complet ci-dessous), pourraient sortir de terre en 2016 ou 2017. En même temps que devrait arriver par la route de Wasselonne, en prolongement de la route des Romains, le si décrié tram sur pneus ?


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