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Avec ces Strasbourgeois qui vivent sur l’eau

La copropriété ? Très peu pour eux. Au Port de plaisance de Strasbourg, le long du quai des Belges, ils sont une vingtaine de Strasbourgeois à avoir troqué leur appartement ou leur maison pour vivre sur une péniche. Entre soif de liberté, contraintes administratives et relations de camaraderie parmi voisins de quais, rencontre avec ces bateliers qui ont fait le choix de quitter la terre ferme pour les remous du bassin de la Citadelle.

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Il est 18 heures, le soleil se couche à peine et des files de joggeurs se succèdent déjà le long du parc de la Citadelle à Strasbourg. Avec leurs lampes frontales et leurs bonnets bien vissés sur la tête, ils bravent le froid et la nuit. Dans leur parcours, entre Rivétoile et le quai des Belges, ils côtoient des habitants un peu particuliers : des Strasbourgeois qui « vivent sur l’eau », dans des péniches ou des bateaux de plaisance.

Lisa, neuf ans, et Hélène, 29 ans, en route pour la terre ferme. Destination : l’école. (Photo GK/ Rue 89 Strasbourg/ cc)

À la nuit tombée, les lumières commencent à s’allumer sur le port, géré par le concessionnaire de bateaux Europe Boat Trading. Ici, un peu à l’écart de la route, une vingtaine d’habitants, venus des quatre coins de la France, vivent à l’année sur des monstres de ferraille et d’acier.

Sylvain, la quarantaine, nous retrouve à l’entrée, derrière un grand portail à code. Ne rentre pas qui veut dans ce port privé. Une fois la nuit tombée, les lumières du Vaisseau et des grues de Rivétoile, se reflètent dans l’eau calme, à peine troublée par le passage d’un canard, d’un cygne ou d’un ragondin.

Le bateau de Sylvain est au bout des quais flottants, un peu à l’écart. « Il s’appelle le Passat, comme la voiture : ça signifie « alizé » en allemand, ça ne s’invente pas pour un bateau ! », explique-t-il dans un sourire. Il n’est pourtant pas question ici d’un voilier : Sylvain vit depuis quelques années sur ce bateau à moteur d’environ 50 mètres carrés, d’une longueur totale de 14 mètres sur 4 mètres de large. « En hiver c’est un peu exigu. Mais en été, on peut utiliser comme terrasse tout le ponton supérieur, c’est que du bonheur ! »

Une vingtaine installés au port de Strasbourg

Ils sont une vingtaine, comme Sylvain, à vivre dans ce petit port en face du parc de la Citadelle. Pas seulement quand les beaux jours sont là, mais aussi en hiver, à la recherche d’un mode de vie particulier, d’un peu plus de liberté… Tous les habitants de ce petit port, ce « petit village » flottant, partagent la même soif de sortir des sentiers battus… et de quitter la terre ferme.

Sur le petit espace d’herbe entre les quais flottants et la route, en pleine conversation avec Sylvain, nous croisons un petit lapin noir, rencontre un peu inhabituelle dans un port. C’est Precious, le lapin de la petite Lisa, qui vient de rentrer de l’école.

« Un port c’est un environnement un peu hostile pour un lapin, ce serait con qu’il tombe à l’eau, surtout par cette température ! » soupire Jean, le père de Lisa. Originaire de Toulouse, la petite famille vit à Strasbourg depuis quatre ans.

Nous laissons là Lisa et son lapin échappé ; Sylvain nous fait le tour du port, nous montre les bateaux, entre petite barque mignonnette et grands yachts. Mais la plupart ne sont occupés que l’été ; les péniches, elles, sont pour la plupart habitées à l’année.

Des logements exigus mais fonctionnels et optimisés

Direction « Le Passat », la péniche de Sylvain : l’entrée sur le pont se fait par une petite échelle sur le côté : il faut ensuite courber la tête pour pénétrer dans l’espace entrée-salon. Un peu en contrebas, l’espace cuisine-salle à manger : c’est un peu exigu, assez sommaire, mais fonctionnel. De l’autre côté, un petit couloir qui mène à la salle de bain (équipée de toilettes électriques), et la chambre de Sylvain. Tout est en bois ; le tout ne manque pas de charme. Étonnamment, il fait assez chaud. Le thermomètre affiche zéro degrés dehors, mais il fait bon à l’intérieur :

« Ce genre de bateaux est assez bien isolé, et le chauffage central marche très bien ! On peut aussi chauffer au bois, ça permet d’éliminer un peu de l’humidité ambiante. Mais honnêtement, il ne fait pas plus humide que dans un appartement. Quand il n’y a pas de fuite dans la coque ! »

Pour éviter les fuites justement, il est obligatoire de sortir sa péniche de l’eau tous les 10 ans. C’est l’occasion de refaire un coup de peinture, et surtout de vérifier que l’épaisseur de la coque (souvent en acier) est homogène.

Nous retrouvons Jean sur sa péniche, achetée il y a 4 ans pour 130 000 euros, pour 60 mètres-carrés. Sa fille Lisa a récupéré son lapin entre temps, nous voilà rassurés. Avec son accent chantant du Sud, Jean retrace leur parcours :

« On habitait à Toulouse avant, sur une péniche. Une fois arrivés à Strasbourg, nous avons voulu acheter, mais pas un appartement ! Habiter sur une péniche, ça nous va très bien. La copropriété, non merci. »

Une vie de liberté…

Cette volonté de s’échapper d’un habitat « classique », de poursuivre une certaine idée de la liberté, se retrouve chez nombre de bateliers. Christophe et Cloé, anciens restaurateurs à Saint-Malo, ont fait 800 kilomètres jusqu’aux Pays Bas pour acheter leur péniche :

« On venait de faire la fermeture du restaurant, il était deux heures du matin. On avait vu l’annonce pour cette péniche sur un site Internet hollandais, on a sauté dans la voiture pour la visiter. Le lendemain, on avait signé le bail. »

Aujourd’hui, ils revendent leur bateau, pour la bagatelle de 120 000 euros (« négociables bien sûr ») pour aller s’installer au Panama : ils y reprennent un hôtel. Christophe, boulimique de nouvelles expériences (il est aussi passionné de photographie, de cuisine et… de couteaux), revendique ce mode de vie, toujours en mouvement :

« Le métro-boulot-dodo, c’est pas notre truc. On en avait assez de vivre en appartement… Un bateau comme ça, ça demande de l’entretien et de la débrouille : il faut être très polyvalent et ne pas avoir peur de toucher à tout. Au début je ne savais pas réparer grand-chose, mais des amis m’ont aidé. Maintenant que je sais comment fonctionne le moteur d’un bateau, c’est que du bonheur ! C’est ça aussi qui est intéressant, de se sortir de sa zone de confort et toujours apprendre. »

La péniche de Christophe et Cloé dispose d’une surface habitable de 40 mètres carrés. A l’intérieur, tout est optimisé… seule contrainte, ne pas être trop grand ! (Photo remise)

… mais aussi beaucoup de contraintes

Mais au-delà du rêve d’embrasser un mode de vie un peu décalé, habiter à l’année sur une péniche c’est aussi accepter les (nombreuses) contraintes qui vont avec : l’entretien, souvent onéreux (plusieurs milliers d’euros pour une révision complète), la lenteur de ce mode de transport (une moyenne de 6 km/h…), et les obligations administratives et légales auxquelles sont soumis chaque propriétaire de péniche.

Tout propriétaire de bateau doit payer chaque année une « vignette plaisance », en fonction de la longueur de son bateau et la puissance de son moteur, à Voies navigables de France, pour pouvoir naviguer. (Photo EB – Rue89 Strasbourg)

Vincent, jeune retraité et propriétaire d’une péniche qu’il propose en location sur le site Airbnb, reconnaît qu’il existe de nombreuses contraintes inhérentes à la vie sur un bateau. Sur la collecte des eaux d’abord : les « eaux noires » (issues des sanitaires ou des douches par exemple) comme les « eaux grises » (eaux de cuisine, ou contenant des produits ménagers) doivent en théorie être collectées dans des cuves pour être ensuite récupérées et traitées. « Dans la pratique, les gens rejettent souvent leurs eaux directement dans l’eau, surtout s’ils vivent sur de vieux bateaux qui ne sont pas équipés. Mais certains ont des petites stations d’épuration à bord ! » explique Vincent.

L’électricité est fournie par le biais de bornes placées sur le quai. Dans le port de plaisance de Strasbourg, elle doit être payée en plus du « loyer » que doit chaque plaisancier à Europe Boat Trading, entre 4 000 et 6 000 euros par an pour une péniche de taille standard. Mais tous s’y retrouvent : « comme on réside dans un port privé, on ne paie ni taxe d’habitation ni taxe foncière. Au final ça ne coûte pas plus cher à l’année de vivre dans un port que dans un appartement ou une maison », explique Sylvain.

Un « petit village » sur l’eau, où tout le monde se connait

Et niveau vie de quartier, Jean et ses voisins de quai n’ont rien à envier à la terre ferme. Selon Jean, leur besoin d’autonomie revendiqué n’empêche pas à ce microcosme un peu « en marge » d’avoir créé un « petit village » :

« Ici tout le monde se connaît, on surveille les bateaux des copains et inversement. Les ragots vont bon train, mais globalement tout le monde respecte l’intimité des autres. On boit des bières ensemble, on fait des soirées tartes flambées au printemps… C’est comme la fête du village quoi ! »

Pour Lisa, la fille de Jean, il a fallu intégrer quelques règles bien spécifiques : ne pas courir sur le pont, toujours être accompagnée quand elle quitte la péniche… et apprendre à nager très tôt.  (Photo EB – Rue89 Strasbourg)

Un village flottant donc, qui vit au grès des arrivées, et des départs. Mais qui a su profiter d’une meilleure image au fur et à mesure, selon Jean :

« Pendant longtemps, les mariniers étaient considérés un peu comme des manouches, des gitans, et avaient mauvaise réputation. Aujourd’hui les gens qui vivent sur des bateaux viennent d’un peu partout, font tous les métiers. Ici à Strasbourg on a de tout : un plombier, des retraités, une agente d’entretien, une maître de conférence, un architecte… »

La porte de sa péniche refermée, le calme retombe sur le port : avec les beaux jours, Sylvain, Jean et les autres seront rejoints par ceux qui ne restent sur leur bateau que quelques semaines par an. Le port accueillera deux fois plus de bateliers, sans compter ceux qui louent un bateau à la journée.

En attendant, l’eau du bassin de la Citadelle continue de refléter les lumières au loin du Vaisseau… et des petites fenêtres de ces habitats posés sur l’eau.


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