
Si l’avenir des Bains municipaux, situés boulevard de la Victoire dans la Neustadt, a échappé au menu de Noël du conseil municipal, il serait question d’y revenir bientôt et ce, de façon « toujours inquiétante ». C’est en tout cas ce que craignent Didier Laroche et Liane Zoppas, deux architectes qui connaissent le dossier sur le bout des doigts.
Fin 2014, nous apprenions que la Ville allait engager des procédures, aux plans technique et administratif, pour avancer dans le dossier des Bains municipaux qui fait figure de « patate chaude ». D’après nos informations, le projet de réhabilitation des Bains sera transféré à l’Eurométropole. Et l’on sait que son actuel président, Robert Herrmann, rêve d’en faire un équipement « prestigieux et d’exception » inscrit dans le rayonnement de Strasbourg Eurométropole, mais bien éloigné… des Strasbourgeois. Le qualificatif « municipaux » des Bains risque de passer au stade de souvenir.
Opacité du processus de décision
De plus, selon les règles de fonctionnement définies pour l’Eurométropole, les décisions peuvent être prises en commission permanente, sans l’aval du conseil municipal, ni de celui de l’Eurométropole. Le silence sur les Bains sera ainsi renforcé par l’opacité du processus de décision.
La SPL (société publique locale), solution miracle pour la gestion des Bains, pourrait être remplacée par une SEMOP (société d’économie mixte à opération unique), nouvelle structure publique-privée rappelant l’ancien projet de PPP. Alors que les Français découvrent le musellement des pouvoirs publics par les clauses draconiennes des concessions autoroutières, perdure localement le mirage de montages financiers qui n’ont qu’un effet : gratifier les générations futures d’ardoises monumentales !
Vendre les Bains par morceaux ?
L’idée maîtresse de la démarche des élus est que l’administration municipale ne serait pas en mesure de traiter ce dossier, dont on répète à satiété qu’il est extrêmement complexe et qu’une réhabilitation implique forcément des investissements trop importants : seule une entité plus ou moins publique – SPL ou SEMOP – pourrait faire face. Comment le miracle aurait-il lieu ? En donnant toute liberté à cet organisme de procéder à des opérations foncières dont on ne dit pas la nature, mais dont on se doute qu’il s’agit de concéder à des opérateurs privés des « morceaux » de l’établissement balnéaire : pourrait-on alors vendre l’aile gauche du bâtiment, la chaufferie… ou la cour arrière ?
Loin d’une opposition de principe à la présence du privé qui peut dans certains projets présenter un intérêt, nous nous inquiétons d’un fonctionnement consistant à envisager d’abord la gestion administrative et financière et à laisser ensuite le soin à l’entité créée d’adapter un programme.
Une expertise pour réinventer le fonctionnement
Il importe au contraire avant tout de concevoir un programme et un cahier des charges, en fonction desquels saisir ensuite la ou les structures adaptées. Cette juste démarche ne rencontre qu’un obstacle : l’absence de volonté de réaliser une réelle expertise du bâtiment, sur laquelle s’appuierait l’étude de faisabilité d’une intervention concernant l’entretien et la réparation, ainsi que son extension en vue de nouvelles activités susceptibles d’enrichir l’offre existante. Au-delà de diagnostics purement techniques, il faudrait soumettre le bâtiment à une expertise programmatique susceptible de réinventer son fonctionnement.
C’est bien évidemment sur une logique urbaine et non sur la base d’un accommodement administratif qu’il faut fonder le projet ambitieux de rénovation des Bains. Si la Ville veut valoriser la Neustadt, elle doit rester fidèle à l’ambition dont témoignent les grandes opérations urbaines du début du XXème siècle, auxquelles appartient la construction des Bains. Ainsi, cet équipement est voisin du pôle universitaire principal de Strasbourg et jamais les potentialités de cette situation particulière n’ont été envisagées.
Une piscine de natation, construite à l’arrière du bâtiment, ne rendrait en rien la gestion de l’établissement trop « complexe ». En revanche, l’utilisation de cet espace pour y bâtir un hôtel de luxe ou un casino créerait des contraintes de fonctionnement certaines.
Méconnaissance d’une culture balnéaire « santé »
L’argumentation développée pour légitimer le recours au privé a toujours été de dissocier la pratique de la baignade-natation, jugée « publique », de celle des bains romains et du sauna considérée comme un luxe, alors que c’est leur ensemble qui constitue l’originalité de l’établissement. De plus, ces arguments témoignent surtout de la méconnaissance d’une culture balnéaire qui retrouve un public nombreux du fait de son impact sur la santé.
La ville de Strasbourg devrait pourtant être sensible à cette question vu le succès de l’opération « sport santé sur Ordonnance, qui concerne, entre autres, la natation, le water-polo, la gym aquatique et qui gagnerait à s’appuyer sur des structures municipales historiquement engagées dans le domaine. Il faudrait évidemment inclure ces activités dans un projet de réhabilitation qui prendrait en compte toute idée renforçant la cohésion et l’offre des Bains : une clinique de kinésithérapie en annexe ?
Quant aux activités complémentaires, pourquoi la bière, spécificité strasbourgeoise, ne trouverait-elle pas sa place dans un projet où l’eau est à l’honneur : production locale en micro-brasserie, ou création d’un label Bière des Bains ? En son temps, la reconstruction de l’Ancienne Douane ne s’est-elle pas réalisée avec l’appui d’une brasserie-mécène ?
Une preuve de faiblesse face aux Allemands
Une logique prétendument « patrimoniale », usant de l’ancien pour l’associer au luxe et le réserver à des happy few susceptibles d’en financer le fonctionnement – avec quelques créneaux horaires d’ouverture au public pour adoucir la pilule – serait non seulement une trahison de l’idéal qui a présidé à la construction des Bains, mais une preuve de faiblesse dans le contexte rhénan, où nos voisins allemands ont su dans bien des cas, face au même patrimoine, veiller au maintien de sa vocation publique.
Valoriser le patrimoine, ce n’est plus, comme au XIXème siècle, se limiter à imposer des contraintes au renouvellement des infrastructures ; c’est tirer parti de leur caractère unique, impliquant non seulement le cadre bâti, mais aussi la fonction des lieux. Si la Ville veut faire valoir ses atouts dans le cadre d’un rayonnement européen, elle n’y parviendra pas en confisquant ce lieu aux Strasbourgeois pour en faire bénéficier quelques privilégiés, comme cela s’est produit à la Piscine Molitor à Paris. Il faudra, au contraire, ouvrir les Bains à un public non seulement attiré par le cadre exceptionnel mais par une offre élargie d’activités concernant l’eau et le corps.
100 ans de bons et loyaux services
Contrairement aux piscines plus récentes, les Bains n’ont jamais fait l’objet de rénovation. Or, rares sont les bâtiments qui, après cent ans de bons et loyaux services, peuvent se targuer d’une telle « durabilité » : ceci devrait parler aux élus attachés au développement durable et concernés par une gestion à long terme de notre patrimoine.
Didier Laroche et Liane Zoppas
Architectes
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : Bains municipaux, Strasbourg navigue en eaux troubles
Sur Rue89 Strasbourg : Des emprunts citoyens pour financer la réfection des Bains (tribune)
Suite à vos commentaires : c’est vrai que « des opposants au détournement de fonds publics à l’usage d’intérêts privés » de hier (et je me souviens de l’affaires des marronniers de la Place des Halles) sont, en partie, ceux qui permettent aujourd’hui l’avancée du projet de privatisation des Bains… Et c’est bien dommage !
Concernant les avantages du droit local – et des différents interlocuteurs à trouver pour s’opposer – j’avoue que j’aimerais en savoir davantage.
Merci de me contacter : zoppas.liane@gmail.com
Au moment du passage aux 35h ..la ville s'était contenté de bloquer les heures sup etc..de déqualifier des agents en poste à la victoire (formés par ex au suivi des bains ou sauna : hygiène, santé, sécurité, et surtout formés aux "frottages de relaxation" très appréciés et valorisant les abonnements..qui avaient disparu perdant ainsi pas mal d'habitués et transformant en dame ou homme -pipi des agents polyvalents a la carrière cus de longue date.
Une pétition ou deux avaient circulé en vain, des abonnés s'étaient même proposé d'acheter à l'avance des entrées avec massages calculant que cela pourrait maintenir ou ouvrir un ou deux postes.
Une sorte "d'actionnariat concret" s'il était possible, et ouverts à des associations d'usagers etc... aurait plus de poids que du blabla.
Par ailleurs n'y aurait il pas matière à consulter le médiateur , le conseil constiutionnel ou autre avis autorisé AVANT de projeter à tout va...? pour savoir si lors de la cession- transformation de patrimoine public la valeur d'usage doit être prise en compte autant que les qualités architecturales?
ex une eglise desaffectée peut elle devenir boite de nuit , bordel etxc...un orgue de cathedrale devenir piece de cirque ou de musée, un cimetiere desaffecté peut il devenir parking ou hlm ?
Pour ceux qui ont suivi l'aventure du cine-bal de l'aubette, et son prix ! passionnante pour les historiens de l'art mais qui se résume à une 15 ou vingtaine d'heures hebdo "d'usage"passif ..qui n'amortiront jamais les travaux faits et surtout pas l'usage initilal prévu tout à fait transposable et réactualisable disait on à la réouverture.
Et pourtant nous avions à la ville un ex prof d'histoire, un architecte au nom bien connu de l'histoire de la tour Klotz., un éminent directeur des musées et cie.
Si vous l'avez sous la main offrez à notre maire la drôle de brochure de 1973 (Siffer) Strasbourg Ho...ou les polémiques à l'abattage des arbres devant la place des halles (tram oblige) pour vérifier qu'il n'est pas atteint pas AlZheimer!
Et vous avez raison : interdire les massages aux Bains Romains/Sauna n’était alors qu’une manœuvre pour en diminuer la fréquentation - en plus de disqualifier les agents, c’est vrai !
Concernant la mobilisation, je suis encore d’accord avec vous : il faut chercher les bons moyens. Car parfois des propositions venues « d’en haut » ne songent qu’à faire croire à une « concertation »… qui ne sert qu’a conforter toute et quelconque décision prise par la suite. Exemple : le fameux « atelier projet » (encore évoqué récemment par Ries), qui s’est soldé par un enfumage, sous prétexte de « démocratie participative » – ceux qui y ont participé peuvent le dire !
Concernant la restructuration du patrimoine (public ou privé, d’ailleurs), justement, la valeur d’usage est aujourd’hui très importante, et doit être prise en compte (surtout pour les édifices publics) tout autant que les qualités architecturales. Mais il ne suffit pas, a notre avis, de transformer des « bains publics » en « bains privés » : c’est ce que nous avons voulu dire avec cette tribune.
Pour l’interlocuteur, c’est vrai : il faudrait creuser des idées…
A suivre ?
Toujours à l'époque de la "place des halles" des opposants au détournement de fonds publics à l'usage d'intérets privés pour les acces depuis l'autoroute avaient je crois obtenu qqch: Comme ils étaient copains de l'actuelle municipalité j'espère qu'on pourra trouver des limites aux détournements de patrimoines publics à des fins privées cette fois!
Les Bains municipaux et la natation scolaire c'est moins bien adapté, je l'ai testé pendant deux ans avec des classes de CP strasbourgeoises.
Ah si on avait les moyens d'outre-Rhin....on peut rêver.
mais par contre avec quelques adaptations, notamment concernant hygiène et sécurité les piscines pourraient toujours convenir aux tout petits (température, calme et dimensions) ainsi qu'aux ainés et éventuellement aux handicapés ou personnes nécessitant de nager tranquillement sur le dos..en rééducation...etc
de l'aqua bike etc..n'y serait pas impossible dans un des 2 bassins.
Si parallèment on ressuscitait des cabinets paramédicaux à coté (kiné, ostheo pedicure etc..) on parlerait enfin du vrai patrimoine historique qui est non pas celui de la pierre et des cuivres..mais de l'usage pour la santé (les bains romains étaient remboursés par la SS il y a quelques décades si l'on en croit les vielles plaques qui y étaient affichées.)
Si je loue l'intervention de praticiens de la pierre, du beton et de l'immobilier je pense qu'un comité d'usagers ex et futurs devrait être constitué et appelé à faire des propositions partagées par des expériences et avis de professionnels..
Si pour une fois avant de dire quoi et combien...on commençait par dire pour QUI , pourquoi et comment...cela serait de la politique urbaine et de la responsabilité urbaine un peu mieux partagée...qui me couperait l'envie de renvoyer ma carte d'électeur reçue cette semaine!
Seule une piscine resterait « publique » (et pour combien de temps ?).
Il y a 5 ans, une forte mobilisation des Strasbourgeois avait évité le Bail Emphytéotique et le PPP (privatisation). Aujourd’hui il y a moins de transparence au niveau des décisions des élus. Et une SPL n’apporte aucune garantie : avec une part d’investissement privé (et la gestion qui suit tel montage), les bains deviendront impraticables pour la plupart des Strasbourgeois. C’est bien ce qu’il faut éviter et, vous avez raison, la mobilisation des usagers peut encore changer la donne !
ça ressemble fortement à ça pour les bains : on fait trainer depuis des années pour plein de raisons différentes à chaque fois, laissant le bâtiments devenir de plus en plus difficile à entretenir/rénover. Encore quelques années d'inaction est ça ne sera plus récupérable et la ville pourra s'en débarrasser sans faire trop de vagues, après quelques années d'inutilisation. On prend les paris ?
Le parti ouvrier indépendant avait déjà il y a de cela quatre ans, organisé des réunions pour dénoncer cela...
Le problème n'est pas de ce que l'on doit faire ...
Ceci est évident, refaire la piscine payé intégralement par la Ville de Strasbourg.
mais ce qu'il ne faut pas faire: toute forme quelconques de privatisation ou délégation de service public!
C'est seulement un retour à un usage "normal" qui est fait ! C'est l'était d'avant qui était une moquerie face aux usagers lambdas et payants !
.... mais ce débat n'a rien à voir avec le sujet de cet article !
Et merci pour cette tribune !
Une SPL avec mandat de vente ou une SEMOP à privatisation « soutenue », sinon carrément un PPP en bonne et due forme :
La décision, intervenue dans l’opacité des « commissions permanentes » devrait être présentée dans quelques jours – ou vont-ils encore pousser le silence sur les Bains, pour éviter tout débat avant les départementales ?
Je ne suis pas sûr qu'on retrouve Ehrmann, Ries ou Trautmann, ni Keller autour de la table du légiste, ou de la mise "en bière"...
Avant les architectes , les monuments historiques, ne pourrait on solliciter la boite à idées des usagers passés ou futurs qui n'ont nul besoin d'un bassin olympique pour faire du bébé nageur ou du papy flotteur-surnageur, du hammam intergénérationnel et interculturel quand il s'agissait du vendredi veille de shabath ou de prière, ou on entendait autant le "pied noir", l'arabe que l'alsaco au temps du partage du gant de crin, autant que d'échanges de recettes de cuisine ou de potins de tout bords (c'est la que j'ai appris que la grande Catherine avait un amant turc!) qu'on pourrait retrouver dans un stammtisch aquatique avant qu'alcoolique!
La Cus qui a déja saboté faute d'entretien ou d'organisation les installations "festives" des 2rives renvoyant outre rhin tous ceux qui peuvent s'offir quelques kilometres ou dm de plus...va t elle a nouveau réserver aux hotes de la capitale de noel le patrimoine et la mémoire commune en oubliant que Strasbourg a aussi besoin de faire survivre ses citoyens de base et fideles contributeurs aux taxes, abonnements de tram etc.. ?
Hopla ! vive un pole santé au quotidien et sans oublier la santé mentale !
Je trouve triste qu'ils ne fassent pas l'objet d'une mesure réellement publique ! Tant d'éléments sont classés !
ça pourrait d'ailleurs faire l'objet d'un chantier/école afin de permettre de faire (re)découvrir certains métiers et/ou approches qui ont été remplacées par les techniques modernes.
Mais juste "laisser en l'état" ne peux en effet pas suffire, car ils ne peuvent plus répondre aux besoins de l'époque de leur construction. Comme cité dans l'article, l'idée d'un bassin dans la cour est une des piste les plus intéressantes afin d'élargir l'offre à la nage sportive qui manque en ville !
La partie curative ne devrait elle non plus pas être cédée au privé, pas quand ont voit les contraintes que cela a apporté aux chantiers Strasbourgeois ! Ces partenariats public/privé sont ce qui ressemble le plus à de la corruption masquée à mes yeux car elle ne profite qu'au privé et aux facilitateurs qui en ont permis l’existence !
Les potentiels d'exploitation de ce lieu sont titanesques ! les superficies disponibles du bâtiment donnent le vertige quand on voit l'infirme partie qui est accessible au public !
Quel dommage qu'il n'y ai pas un projet courageux et ambitieux qui permette de remettre le bâtiment dans l'état de ses plus beaux jours tout en apportant des éléments modernes mais respectueux de l'ensemble !
Merci de le mentionner : il y a des expériences intéressants dans ce sens, notamment en Allemagne.
Puis cela pourrait tout aussi se faire en ce qui concerne l’entretien du bâtiment : trouver des solutions aux problèmes d’entretien de l’ancien, savoir parfois adapter sans détruire… Garder cette belle robinetterie ancienne en l’état, cela n’aurait pu se faire sans les techniciens qui travaillent aux Bains, que l’on ne voit pas et qui seraient difficilement remplaçables par une « externalisation » des services.
Chaque Strasbourgeois peut se sentir concerné par l'avenir des Bains municipaux: en fonction de ce qui sera décidé, lui et sa famille auront accès ,ou pas, à ce lieu assez extraordinaire.
De même, il aura à subir , ou pas, une incidence sur ses impôts locaux. On peut aussi très bien imaginer le pire : accès public très réservé + impact important sur le budget de la ville, dans une logique "municipalisation " des pertes - privatisation des gains déjà maintes fois éprouvée.
C'est un vrai choix de politique locale. Je ne sais pas si c'est possible mais il serait pertinent de recourir à un outil de type référendaire mettant en compétition différentes alternatives, assorties de leur coût.