Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Bruno Teboul : « l’uberisation n’est que la première étape vers l’automatisation de la société »

Bruno Teboul est philosophe. Et en tant que pionnier de l’Internet, il plaide pour que les innovations technologiques s’accompagnent d’autres valeurs que celles de la Silicon Valley. Il sera jeudi soir au Shadok pour une rencontre-débat « Tous connectés et après », avec Grégoire Leclerc, président de l’Obervatoire de l’uberisation, en partenariat avec Rue89 Strasbourg.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

Bruno Teboul : « l’uberisation n’est que la première étape vers l’automatisation de la société »

Invité jeudi 18 mai au Shadok à Strasbourg, Bruno Teboul, philosophe, auteur de « Robotariat, critique de l’automatisation de la société », chercheur en données, alerte sur les risques que poserait une société dépendante des algorithmes et des robots.

Rue89 Strasbourg : les évolutions technologies sont généralement vues comme des sources de progrès. En quoi elles vous dérangent ?

Bruno Teboul : « je ne suis pas technophobe ! Bien au contraire, j’apprécie les technologies numériques, je les utilise et je conseille les grandes entreprises face aux mutations qu’elles génèrent. Elles ont permis un accès sans précédent au savoir, elles ont dépolarisé le monde. Mais je ne suis pas non plus un techno-béat. Contrairement aux gourous de la Silicon Valley, je ne crois pas que tous les problèmes du monde peuvent se régler à coups d’applications et d’algorithmes. Tous les grands décideurs qui s’immiscent dans nos vies aujourd’hui, via nos téléphones, sont des libertariens. Ils ont une vision de la société qu’il faut au moins connaître, sinon combattre.

Leurs solutions conviennent peut-être aux États-Unis, mais elles sont dangereuses pour l’Europe, où s’est construit une culture d’entraide et de solidarité. Prenons Uber par exemple, qu’est-ce que cette entreprise a apporté comme valeur en Europe ? Rien du tout, Uber horizontalise tout mais elle ne contribue ni au développement des transports ni aux coûts sociaux. »

Bruno Teboul aimerait qu'une réponse sociétale se constitue face au modèle de la Silicon Valley (doc remis / Keyrus)
Bruno Teboul aimerait qu’une réponse sociétale se constitue face au modèle de la Silicon Valley (doc remis / Keyrus)

Faut-il alors refuser les technologies et leurs solutions ?

« C’est une partie du problème : il n’existe pas d’alternative. Mais ça va se construire, quelque chose va émerger, autour des valeurs de partage et de la coopération. Jusqu’alors, il était compliqué de critiquer les technologies sans passer pour un illuminé ou un conspirationniste. Dans le mouvement des start-ups, seul le discours « à la cool » était audible, tout écart était immédiatement taxé de conservatisme.

Aujourd’hui, on voit bien que ces technologies détruisent parfois plus qu’elles ne créent et qu’on ne peut pas tous se transformer en esclaves des applications… Donc avec quelques uns, comme Bernard Stiegler, Ariel Kyrou, nous avons fondé un « Institut de la contre-culture numérique », pas pour refuser le numérique mais pour y associer des valeurs qui nous semblent essentielles. Nous proposons des solutions, nous sommes optimistes et combatifs. La parution de plusieurs de nos tribunes dans de grands médias sont nos premières victoires. »

Est-ce que vous constatez des prises de conscience dans le monde politique ?

« Hélas, à part quelques propositions dans le programme présidentiel de Benoit Hamon, aucun candidat n’a posé pendant la campagne comme question centrale les enjeux du passage d’une économie post-industrielle à une économie uberisée… Or il faudra bien que l’État s’empare de ces dossiers car les innovations à venir, l’automatisation, la robotisation, les algorithmes vont détruire plus d’emplois qu’ils ne vont en créer. C’est pourquoi nous parlons de « disruption destructrice » pour évoquer les enjeux du numérique aujourd’hui.

Dans cet univers où toute la valeur est captée par les fournisseurs services, comment allons-nous maintenir nos services publics si plus personne ne paie de taxes ? Quant aux millions d’emplois robotisés, qui ne concernent pas seulement les cols bleus mais tout autant les chirurgiens ou les assureurs, qu’allons-nous faire de tous ces gens ? Il y a de vraies questions à se poser, en terme de société, d’urgence. »

« Construire un modèle incluant la solidarité »


#Le ShadoK

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

Autres mots-clés :

#robotisation#Société#travail
Partager
Plus d'options