
En reportage pour la première fois au stade de la Meinau, j’ai découvert le journalisme en milieu ultra-réglementé. Entre droits de diffusion, directives des associations de supporters et contrôle de la communication, l’enfer du reporter, c’est le stade de foot.
J’étais bien trop naïf. Vendredi soir, j’apprends que je pourrai me rendre au stade de la Meinau dimanche 4 octobre, au moment de la rencontre entre le Racing et le Losc. Le club strasbourgeois m’accepte, une exception car je ne suis pas inscrit à l’Union des journalistes de sport en France, seule autorité à réguler les accès de la presse dans les stades.
Ainsi je pensais bêtement que les problématiques de formalités étaient derrière moi. Je me réjouissais déjà d’un reportage plein d’action, au cœur de la cathédrale du football strasbourgeois, au milieu des ultras chantant leur retour auprès des joueurs. Mais ça n’allait pas se passer aussi simplement et je l’ai compris dès mon arrivée au stade.

Cantonné à la zone presse
Il est près de 15 heures. L’arbitre est sur le point de lancer le match entre Strasbourg et Lille. Je m’approche de la tribune Ouest, espérant m’imprégner de l’ambiance du kop, qu’on m’a déjà tant vantée. Sauf que mon badge presse ne me donne accès qu’à une seule zone : le bien nommé « espace presse. » C’est donc la mort dans l’âme que j’assiste au match entre les journalistes sportifs et les personnalités locales. Grosse ambiance pour mon reportage sur le retour des ultras au stade…
Le temps passe. Le Racing pousse. Je ne tiens pas en place et cherche mon appareil photo. Il me faudra bien quelques images d’illustration pour cet article. Autant profiter de cette mi-temps perdue. Jusqu’au moment où le responsable communication revient vers moi : « Il faut que je vois pour les autorisations de photographier et de filmer. »
Malgré moi, mes yeux montent vers le ciel. Je pense très fort : « Mieux vaut me dire ce que j’ai le droit de faire, ça ira plus vite… » S’ensuit une négociation avec deux responsables des droits télévisés. Je leur explique que je m’intéresse au retour des ultras, à l’ambiance dans le stade, pas au match. Ils finissent par m’autoriser à photographier la tribune Ouest. Mais attention : pas de vidéo !
« Pour l’instant, mon reportage est un foirage total »
Comme une sorte de compensation, le responsable communication du club me propose d’aller voir le référent supporters du Racing. Je reprends espoir. Enfin une porte semble s’entrouvrir sur la tribune ouest, où le kop bouillonne. Mais je suis vite déçu : Arnaud Szymanski annonce que les associations de supporters n’ont « pas souhaité communiquer. » Nouvelles négociations.
J’ai un rendez-vous pris auparavant avec un ultra, qui souhaite s’exprimer anonymement. Même refus catégorique de la part du Racing, qui ne voit aucun problème à s’ériger en barrière entre une personne et moi. Je retourne en zone presse. On me promet une interview en fin d’après-midi avec le secrétaire général du club. La promesse sera tenue.

Pour l’instant, mon reportage est un foirage total. Je m’en rends compte en même temps que j’aperçois le score : je n’ai même pas pu voir le premier but de Lille. Quel dimanche de merde.
Interview sous surveillance
À la mi-temps, je retrouve un ultra strasbourgeois près de la buvette. Comme je suis empêché de le rejoindre en tribune, je l’appelle du parvis pour qu’il descende à ma rencontre. Mais l’interview n’a pas encore commencé que le responsable communication refait son apparition… Direct, il explique au supporter que les associations d’ultras comme UB90 auraient refusé notre demande d’interview. En d’autres termes : « Ne parle pas au journaliste. »
Mais apparemment, le supporter en sait plus que le Racing sur la liberté d’expression individuelle. Il ne se démonte pas et répond à mes questions sur ces matchs sans kop, le sentiment d’un fan privé de stade, etc. En fin d’entretien (cinq minutes top chrono), je lui propose l’anonymat. Mais Robert (le prénom a été modifié) ne voit pas où serait le problème dans ses réponses. Elles n’ont rien de polémique. Il me rappellera dans la soirée en indiquant que le club l’a contacté… en lui demandant de répondre de manière anonyme.
La seconde mi-temps est sur le point de commencer. J’appelle mon rédacteur en chef, désespéré : « Je veux faire un reportage sur les ultras, je peux pas aller les voir, et quand je les interviewe, un responsable comm’ reste derrière moi… » « Débrouille toi » me répond Pierre France. Je m’exécute.
« On ne vous a pas vu en zone presse en deuxième-mi temps. Vous étiez où ? »
Le responsable comm’
Alors je me débrouille : j’ai berné les surveillants à l’entrée de la tribune ouest. Dire « je suis journaliste » et montrer très vite sa carte, ça marche parfois. Mais à peine en haut des escaliers, je fais face à mon échec. Le responsable supporters est là. Il me voit et me demande ce que je fais là. « Mon métier, » ai-je envie de lui répondre. Mais je bredouille « je me suis perdu » et je fais demi-tour.
Toute la deuxième mi-temps, j’ai pu exercer le journalisme que j’aime… dans les couloirs du stade. J’ai échangé avec quelques membres de la protection civile, une serveuse à la buvette et un stadier. Leurs témoignages ont aussi été utiles pour mon article. Pour parler à d’autres supporters présents dans le kop, il me faudra attendre le coup de sifflet final.
La police du Racing ne semble pas avoir préempté le droit d’interviewer quelqu’un sur le parvis du stade. Au milieu des fans de foot pressés de sortir, je tente d’arrêter l’un ou l’autre. Les échanges ne durent jamais plus de cinq minutes. Alors que je m’approche d’un « bon client », tout vêtu de bleu et blanc et équipé d’un mégaphone et d’un tambour, je sens mon portable vibrer. Le responsable communication, encore… Je décroche et entends : « On ne vous a pas vu en zone presse en deuxième mi-temps, vous étiez où ? »
@Jean-François Gérard : loin de moi l'idée de nier de manière générale votre travail. J'avais lu votre article sur Nîmes à l'époque, pas de souci avec ça, idem pour, de mémoire, les exploits des quelques brillants intellectuels de la mouvance indep' qui s'étaient illustrés en marge du match de Haïfa. J'essayais juste d'expliquer, sans doute maladroitement, pourquoi les assos de supporters sont à mon avis légitimement méfiantes de manière générale face au médias et pourquoi en particulier dans le cadre du match de Lille il était assez logique de craindre un énorme bad buzz dans un contexte où beaucoup de gens cherchent des clusters et des irresponsables un peu partout, avec les restrictions que ça engendre. Chose que votre journaliste n'a visiblement pas saisie. Cela étant je ne suis en rien habilité à être le porte-parole et des supporters et je n'ai as été mêlé aux détails de l'orga.
Moi je vous aime bien et je trouve que vous avez toute votre place dans les médias strasbourgeois, c'est juste qu'en ce moment il y a beaucoup trop d'articles brouillons et superficiels qui sortent. Et c'est justement parce j'ai des attentes que je critique, si c'était les DNA j'aurai juste haussé les épaules. Mais là vraiment faut que vous vous relisiez plus entre vous plutôt que de remplir votre une à outrance avec des sujets bâcles :(
Le football professionnel s'est vendu pieds et poings liés aux diffuseurs, il en découle des règles parfois picrocholines sur l'accès des médias, les droits à l'image, mais aussi des matches programmés au lance pierre à des horaires abscons. C'est navrant mais guère nouveau. Au passage, les ultras sont parmi les rares dans le monde du football à dénoncer cela depuis très longtemps, avec très peu d'écho dans l'ensemble. Vous en avez fait l'expérience et vous le relatez, fort bien. Sauf qu'au final vous avez pu assister au match, parler avec plusieurs salariés du club, circuler un peu dans un espace certes cloisonné. On peut certes voir le verre à moitié vide, mais parler de "censure" ou de "zone [...] interdite" c'est inutilement racoleur. Au passage, le responsable com' du Racing qui a été en partie restrictif, mais aussi arrangeant, avec vous risque lui même des ennuis avec la Ligue et son opaque financeur Mediapro si jamais vous franchissez certaines lignes jaunes. Ca aurait été fair-play de le rappeler.
La où ça se corse vraiment, c'est quand vous vous attaquez aux associations de supporters (et non aux "associations d'ultras" comme dans le chapô de l'article précédent - il n'y a qu'un seul groupe ultra à Strasbourg). Avant de déplorer leur mutisme, il eût été bon de s'intéresser un minimum aux modalités dantesques d'organisation du match. Sujet qui n'est pas évoqué dans cet article et à peine effleuré dans le précédent. Pour rouvrir le kop, il a fallu négocier pied à pied avec la préfecture. Il la fallu ensuite que les associations se substituent en partie à la billetterie du racing pour contacter individuellement leurs membres. Les assoc' se sont portées garantes d'un fragile équilibre qui aurait pu très vite voler en éclats si des gens ne respectant pas les gestes barrières étaient captés par une caméra et exposés à un énième shitstorm médiatique.
Ces dizaines d'heures de travail dans l'urgence et ce climat d'anxiété peuvent peut-être expliquer que vos demandes en marge de match n'aient pas toutes abouties ? Sachant que le milieu supporter à Strasbourg est bien plus ouvert qu'ailleurs. Les ultras sont certes les plus discrets mais c'est dans la culture de leur mouvement. La Fédération des supporters en revanche communique abondamment, son local est public et ouvert à tous, son président parle régulièrement à la presse et vous pouviez même allez sur sa page facebook voir comment s'organisait l'avant match. Quant au référent supporter que vous caricaturez en flicaillon, son travail est unanimement salué aussi bien par les autorités que par les supporters et il a déjà répondu à bon nombres de vos confrères, y compris en direct sur une station périphérique de grande écoute.
S'il y a une impression de "foirage total" c'est peut-être parce qu'il y a un travail préparatoire de compréhension du contexte bâclé et que le mode journalisme encarté n'était de toute façon pas le bon pour faire un reportage axé tribunes. Ca serait honnête de le reconnaître plutôt que de rejeter la faute sur la com' du Racing et les pauvres assos, qui n'y sont pour rien.
Enfin, c'est assez déroutant de voir la qualité inégale des articles en une de R89S. Il y a quelques jours un salutaire pied de nez au confrère sur le concours bidon de cathédrale avec une vraie distance critique et mise en contexte. Suivi par ce très superficiel plaidoyer pro-domo qui ferait à la rigueur un passable thread twitter semi ironique, mais n'a à mon sens aucune place en une.
Je vous invite vraiment à vous documenter davantage sur le mouvement supporter à Strasbourg, ça vous aidera à comprendre la méfiance rencontrée et ce type de réaction. Les supporters sont des sous-citoyens dont la liberté d'aller et venir est entravée depuis une quinzaine d'année par le scandale des IAS sur lesquels les journalistes se sont tus jusqu'à un timide réveil au moment de la crise des GJ. Ils sont victimes d'amalgames permanents, y compris dans votre article précédent où l'auteur n'a pas bien saisi les nuances du paysage associatif. Et enfin on leur ressort systématiquement des préjugés qui ont la vie dure sur la violence ou le fait d'être "braillards" comme ça a été le cas là aussi dès le premier commentaire de votre article précédent.
Non vraiment, désolé de croire qu'en pleine crise Covid 19 avec une orga dans l'urgence il n'est peut être pas opportun de répondre à un journaliste qu'on ne connaît pas vraiment. Quelle offense. Au final vous avez eu une partie de vos réponses, on ne vous a pas maltraités... mais vous n'avez pas vraiment traité le sujet. Ca sera pour la prochaine fois peut-être.
L'avant dernière fois que nous avons parlé des supporters c'était là, il y a un an. C'était bien sûr différent car ce n'était pas un reportage.
Je vous laisse vous faire votre avis, mais il me semble nous ne sommes pas tombés dans les amalgames que vous évoquez. Donc vos a priori ne me semblent pas justifiés
https://www.rue89strasbourg.com/arrives-a-nimes-en-train-ces-supporters-du-racing-pointent-desormais-au-commissariat-plutot-quau-stade-159906